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Végé mais pas trop : bienvenue chez les réductariens

Cette nouvelle « famille » veut repenser les frontières qui séparent les omnivores des herbivores.
Screengrab via YouTube user TEDx Talks

Franchement, vous n'en avez pas un peu ras-le-bol de tous ces mots en –isme qui débarquent dans le langage courant ? Surtout dans la sphère des « foodies » où tout le monde semble kiffer atterrir dans une case : végétarisme, véganisme, pesco-végétarisme, flexitarisme ou carnivorisme. On a trouvé un type qui lui, n'en a rien à faire de cette prolifération lexicale puisqu'il a inventé son propre mot : le réductarisme.

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Brian Kateman l'a trouvé avec son pote Tyler Alterman. Vous n'en avez jamais entendu parler ? C'est normal. Les deux viennent de fonder la Fondation Réductarienne, une association à but non lucratif qui espère améliorer la santé publique, protéger l'environnement et sauver les animaux d'élevage de toute forme de cruauté.

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Leur idée : arrêter de se crêper le chignon pour savoir dans quelle catégorie on appartient réellement et, accepter tous ensemble de réduire la quantité de viande que l'on consomme. Brian vient de publier un livre à ce sujet : The Reducetarian Solution et il prépare actuellement le premier Grand Sommet International du Réductarisme qui devrait se tenir un peu plus tard ce mois-ci à New-York. Intrigués par un tel projet d'avenir, on est allé discuter avec Brian des arguments qui supportent sa cause et de ce qu'il espère accomplir par ce travail.

MUNCHIES : Peux-tu nous expliquer comment le réductarisme a vu le jour et aussi en quoi il diffère du végétarisme, du véganisme et du flexitarisme ?
Brian Kateman : J'ai passé toute mon enfance à Staten Island dans l'État de New York. Ce n'est pas la ville la plus moderne qui soit. Quand on allait manger en famille au Applebee's, je prenais un hamburger ; quand on allait au Chili's, je choisissais les Buffalo wings. Mais ce que j'aimais à Staten Island, c'est qu'il y avait beaucoup de parcs, beaucoup d'espaces verts. Je suis très vite tombé sous le charme de la nature et des animaux qui l'habitent.

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À l'université, j'étais l'écolo lambda jusqu'au jour où un pote m'a prêté L'éthique à table : Pourquoi nos choix alimentaires importent de Peter Singer. Ce livre m'a choqué. J'y ai appris que l'élevage industriel était responsable des problèmes écologiques qui m'importaient mais aussi de la mort de sept milliards d'animaux chaque année aux États-Unis et ce chiffre est dix fois supérieur à l'échelle de la planète.

Je suis alors devenu végétarien. Le souci étant que je n'étais pas parfait. Un jour, à Thanksgiving, j'ai mangé un morceau de dinde au dîner et ma sœur me l'a reproché. Du coup, je me suis justifié en disant que « je n'essaye pas d'être parfait. J'essaye juste de faire le plus souvent possible le meilleur choix pour moi et pour la planète ». Je me suis dit qu'il fallait que je cherche s'il existait un mot pour décrire ça. J'ai trouvé les termes de flexitarien, de semi-végétarien, de presque végétarien… Et même si tous ces mots sont géniaux, ils ne désignent pas toutes ces personnes dans le monde qui ne cherchent pas à ne manger presque que, ou que des plantes. Je me suis dit qu'il faudrait se concentrer sur le citoyen moyen pour l'encourager à modifier petit à petit ses habitudes. Tout ce qu'on dit autour de la perfection ou de la pureté, c'est débile. La seule chose qui compte, c'est de réduire la consommation des produits animaux à l'échelle globale. C'est ainsi que j'ai inventé le terme « réductarien » avec un ami. Et depuis lors, je me suis fixé comme mission de transmettre cette idée.

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On a souvent tendance à imaginer la résolution d'un problème de manière très binaire – soit tout noir, soit tout blanc – alors que toi, tu proposes un entre-deux pour résoudre certains grands problèmes de notre époque. Je suppose que tu te fais parfois lyncher des deux côtés, par des végétaliens extrémistes ou par des omnivores assumés. Comment tu fais pour faire comprendre aux gens ta position et leur faire accepter ta solution diplomatique ?
Eh bien, il faut penser à adapter ses arguments en fonction du public visé. Par exemple, pour mes parents : ils ont la soixantaine et ils sont préoccupés par leur santé. Alors que mes amis, des millenials, sont plutôt préoccupés par le changement climatique ou bien ils réfléchissent en termes éthiques et philosophiques et ils adhèrent à mon projet parce qu'ils estiment que les animaux méritent d'être traités moralement. Mais tu as raison : c'est souvent plus simple d'avoir un esprit binaire.

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À ton avis, faut-il critiquer le point de vue végan absolu qui voudrait mettre en avant une idéologie de la pureté plutôt qu'un objectif concret de réduction de la consommation ?
Quand je parle avec des végans ou des végétariens qui me disent que notre message n'est pas assez engagé, j'essaye de leur montrer que nous sommes malgré tout dans la même équipe. Freud appelait ça le narcissisme des petites différences. D'autres psychologues appelleront ça de l'hostilité horizontale. L'idée est que les gens qui partagent certaines valeurs ou certaines opinions vont se tirer mutuellement dans les pattes plutôt que de s'allier contre un ennemi commun.

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J'essaye donc d'unifier le mouvement entre les écolos, les défenseurs de la cause animale, les professionnels de santé, les végans et les végétariens pour qu'ils réalisent tout ce qu'ils ont en commun. Ils partagent 99 % de leurs opinions : ils sont tous d'accord pour dire que l'élevage industriel est mauvais, qu'on vivrait tous mieux dans un monde où l'on consommerait moins de viande – et en général, même les omnivores sont d'accord là-dessus. Il faut se montrer pragmatique.

Je pense qu'il y a effectivement une petite minorité de végans ou de défenseurs de la cause animale qui refusent de reconnaître cette parenté de pensée entre ces différents groupes et qui refusent de faire des compromis ou de modifier leur idéal pour le monde. Mais pour moi, mieux vaut réfléchir en termes d'impact. La plupart des végés ne font pas partie de cette catégorie mais malheureusement, certains se font beaucoup entendre ; ils vont crier sur les gens, leur dire que manger de la viande c'est du meurtre et ça va les dégoûter. Je pense qu'il ne faut pas seulement souligner la compassion qu'il faut avoir envers les animaux mais aussi celle qu'il faut avoir envers les êtres humains : il faut bien comprendre que la capacité de l'être humain à prendre des décisions est limitée et que celles-ci ne sont souvent pas prises dans le seul intérêt de la planète. Il faut comprendre que les êtres humains choisissent leur nourriture en fonction du prix, de la facilité, du goût ou des normes sociales, c'est-à-dire simplement ce que les autres mangent autour d'eux. Parfois, c'est surtout une question d'accessibilité.

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En quoi les problèmes identitaires font partie du projet réductarien ?
Je pense que les questions autour de l'identité sont importantes. Beaucoup d'études en sciences cognitives montrent que les gens qui doivent agir en accord avec leur identité ont plus de chance de réussir ces actions. Des faits tendent à montrer que parmi les jeunes qui font l'expérience du bénévolat, beaucoup s'identifieront plus tard comme « une personne bénévole » et seront plus enclins à faire du bénévolat à l'avenir.

J'aime ce mot de réductarien parce qu'il fournit une identité à la fois sur le plan personnel et sur le plan social. Ce mot permet à une personne non seulement d'agir une fois mais de fixer un principe qui va s'agglomérer à sa définition d'elle-même. Cela va lui permettre de se rendre plus cohérente avec son identité. Mais ça m'est égal que certaines personnes refusent de se dire réductariennes ou véganes – moi-même, je suis d'ailleurs de cette catégorie. Personnellement, je n'aime pas me dire « végan » parce que ce mot ne décrit pas tout à fait qui je suis. Je ne suis pas irréprochable dans ma conduite donc je refuse de m'appeler ainsi. Souvent, quand je discute avec des végans et que je parle de moi, ils me disent : « Brian, tu es végan. Ce que tu décris fait de toi un végan » mais cette identité ne fonctionne pas pour moi. Cela dit, je suis ravi que cela fonctionne pour tant de personnes parce que je pense que le véganisme est génial et j'aimerais que plus de personnes le soient.

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Le réductarisme décrit ce que je suis et il est cohérent avec ce que je ressens. Je reçois tout le temps des messages qui me disent : « ça fait des années que je mange moins de viande et j'ai toujours cherché un mot pour décrire ce que je suis. Maintenant, je peux dire aux gens que je suis réductarien. » Ça aide à diffuser le mot.

Les personnes qui se refusent à manger de la viande, surtout les végans, sont souvent moquées par les mangeurs de viande. Penses-tu qu'il s'agit en général d'un manque de compréhension ? Ou bien est-ce une réaction de rejet envers « ces personnes qui s'estiment moralement meilleures » à eux ?
Prenons la situation suivante : un végan et un omnivore vont au restaurant ensemble pour la première fois. Ils commentent le menu et l'omnivore dit « ce poulet a l'air délicieux » et là, le végan lui répond « ah, au fait : je suis végan. » Cela crée une tension : d'un coup, la moralité a été mise sur le tapis entre les deux. Il y a une tension inhérente qui vient du fait de parler d'un sujet aussi chargé moralement que la viande. On a tendance à séparer notre identité de nos actions et ce voile vient perturber les relations qu'entretiennent les omnivores avec les végans.

Peux-tu nous parler un peu du sommet qui s'organise en ce moment même ?
Le but de ce sommet est de rassembler toutes les figures de proue du mouvement réductarien pour essayer de réfléchir à une stratégie pour réduire la consommation de viande à l'échelle sociétale. On ne s'attardera pas trop sur le « pourquoi » parce qu'on est déjà tous d'accord là-dessus. La question sera de trouver comment atteindre nos objectifs – qui sont communs aux végans, aux végétariens, aux flexitariens, aux défenseurs de la cause animale, aux écologistes et aux professionnels de santé. Nous recherchons l'unité. Cet événement permettra de placer tout le monde dans la même pièce en disant « nous avons quelques petites différences mais nous sommes d'accord sur l'essentiel et c'est suffisant pour nous rendre efficaces. »

Merci pour ces clarifications, Brian.


Cette interview a été éditée pour des soucis de longueur et de clarté.