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Je suis mortellement allergique à la patate – mais la vie continue

À la moindre trace de pomme de terre, j’ai des difficultés à respirer, la gorge gonflée, des crampes horribles et je transpire abondamment.

La vie est un fardeau pour tout le monde. Mais certaines personnes doivent en plus se coltiner une bonne dose d'ironie durant leur existence. Elle peut parfois être poétique, comme quand le gosse qui est né sans oreille musicale devient un zicos accompli, ou simplement pénible, pour celui qui a deux pieds gauches et dont le nom de famille est Pelé.

Moi aussi je suis victime de ce sort. Mais mon ironie est deux fois plus dangereuse : je suis Irlandais et je suis mortellement allergique aux pommes de terre. En dépit de mon prénom d'origine, de mon patrimoine et de la citoyenneté (que j'ai obtenue des années plus tard aux États-Unis), les tubercules sont pour moi l'équivalent d'un poison – poison que la plupart des gens adorent.

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Ce n'est pas une simple aversion. La moindre trace de pomme de terre déclenche chez moi d'atroces réactions : ma gorge gonfle, j'ai des difficultés à respirer, des crampes horribles et je transpire abondamment. Je dois toujours transporter sur moi de l'EpiPen ou, dans le pire des cas, une boîte de Benadryl.

Ce qui rend cette allergie super chiante, c'est que les patates sont partout. On les retrouve, sans surprise, dans les paquets de chips, les cottages pies et les frites de chez Wendy's. Mais là où ça devient vicieux, c'est qu'on les trouve aussi là où on les attend moins.

La fécule est souvent utilisée pour le pain et les pâtisseries. Elle se planque dans les paquets fromage râpé et se glisse dans les crackers, les bouillons de potage, les buns de hot dog, les bonbons, la farce, les snacks à réchauffer au micro-ondes et un tas d'autres choses.

Quand vous savourez votre dîner, moi je scanne les microscopiques listes d'ingrédients à la recherche de ces terribles mots : « contient des traces de fécule ». Ou alors je harcèle avec insistance les serveurs en leur demandant si le bœuf braisé est accompagné de patates

J'ai frôlé la mort un peu partout. De la table d'un diner, accompagné d'un sandwich à la dinde, au pique-nique du 4 juillet - à cause d'un pain de hamburger qui cachait bien son jeu.

De fait, j'ai frôlé la mort à peu près partout. À la table d'un diner alors que j'étais accompagné d'un sandwich à la dinde. Au pique-nique du 4 juillet à cause d'un pain de hamburger qui cachait bien son jeu. Rien que l'odeur de frites s'échappant d'un fast-food me donne la gerbe. Une fois, j'ai même été à deux doigts de finir aux urgences après avoir mangé un sandwich au fromage grillé.

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Les pommes de terre ont même entravé quelques-unes de mes amourettes. Quand j'étais ado, une de mes petites amies m'a gentiment préparé un plat de tortellini. C'est seulement après avoir fini nos assiettes que nous avons lu sur la liste des ingrédients, horrifiés : « contient des traces de fécule ».

« Ça va aller », ai-je marmonné en titubant derrière la porte. Je me suis barré parce que je ne voulais pas qu'elle assiste à ce spectacle. La pauvre, je pense qu'elle est encore traumatisée.

Aujourd'hui, je n'ose toujours pas embrasser ma fiancée après un plat de pommes de terre tant qu'elle ne s'est pas brossé les dents. Un simple bécot pourrait avoir des conséquences désastreuses. Ce serait presque trop facile pour une maîtresse en colère de m'envoyer ad patres : un petit flirt, une petite galette de pomme de terre et hop.

Les personnes allergiques aux pommes de terre n'ont même pas de page Wikipédia

Quand je suis arrivé à la fac, totalement ignorant que j'étais en matière d'alcool et désireux d'impressionner mes camarades, j'ai descendu une série de shots de vodka. Je l'ai payé très cher. J'ai passé le plus gros de la nuit complètement déchiré, malade et dans les vapes. Je me rappelle avoir confessé à mon pote John que « l'alcool, c'était pas mon truc ». Je n'ai appris que plus tard la présence de patates dans la vodka.

La misère est souvent plus acceptable quand elle est partagée. Moi, je supporte mon fardeau tout seul. Dans la famille, des rumeurs courent à propos d'une arrière-grand-mère de ma mère qui avait des éruptions cutanées quand elle épluchait des pommes de terre. Mais ça ne l'empêchait pas de les manger comme tout dublinois qui se respecte.

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Je n'ai encore jamais croisé la route de quelqu'un partageant mes souffrances. Les intolérants au gluten ont des fondations ou des communautés et les personnes allergiques à l'arachide bataillent infatigablement pour que les fruits à coque soient supprimés des avions et des écoles. Les personnes allergiques aux pommes de terre n'ont même pas de page Wikipédia.

Selon Stephen Taylor, co-fondateur et co-directeur de la FARRP (Food Allergy Research and Resource Program) de l'université du Nebraska de Lincoln, cette allergie est extrêmement rare. « La plupart des individus affectés sont allergiques à la pomme de terre non-transformée », me confie-t-il. « Mais il existe de très rares individus allergiques à ce produit même s'il est transformé. Et les manifestations sévères de cette allergie sont encore plus rares. »

« Si vous aviez été un paysan pauvre ou un ouvrier agricole, ça aurait été très dur pour vous de survivre au XIXe siècle. »

Mon patrimoine génétique a-t-il joué un rôle ? Je suis également polonais, un autre groupe ethnique réputé pour sa consommation à outrance des fameux tubercules. A priori, non. Selon Taylor, il y a peu de chance qu'il ait quelque chose à voir avec mon allergie.

Aussi cruelle que puisse être cette ironie, je suis quand même méga soulagé. Je préfère mille fois devoir la supporter ici plutôt qu'être en danger de mort dans l'Irlande du XIXe siècle. Je me suis toujours demandé à quoi aurait ressemblé ma vie si j'avais foulé cette terre il y a 200 ans.

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« Tout aurait été une question de géographie et de classe », m'explique John Waters, professeur adjoint d'études irlandaises à l'université de New York. Si j'étais né riche en Irlande du nord, je m'en serais très bien sorti avec de l'avoine et du porridge. Par contre je n'aurais pas survécu en tant que prolo partout ailleurs sur l'île.

« Si vous aviez été un paysan pauvre ou un ouvrier agricole, ça aurait été très dur pour vous de survivre », me dit Waters.

Kerby Miller, professeur d'histoire spécialisé dans l'immigration irlandaise à l'université du Missouri, est plus direct : « Vous seriez probablement mort. Même si vous aviez survécu à l'enfance et à l'adolescence, vous auriez été dans une situation très difficile ».

Miller m'informe qu'un Irlandais moyen mangeait plus de 5 kg de pommes de terre quotidiennement. Il me fait également remarquer que mon allergie n'aurait pas vraiment été un avantage pendant la Grande Famine. « Vous n'auriez pas été aussi bien nourri que vos voisins, vous auriez donc été plus faible et seriez mort plus tôt ». Chouette.

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En revanche, Waters et Miller s'accordent à dire que mes chances de survie auraient été bien meilleures dans l'Irlande du Moyen-Âge, des siècles avant que la pomme de terre n'arrive d'Amérique du sud. « Vous auriez vécu en grande partie avec un régime à base de produits laitiers », décrit Miller. « Du lait, du beurre et du fromage. »

« L'Irlande médiévale consommait une quantité gargantuesque de produits laitiers », ajoute-t-il. « Parfois, ils ne mangeaient que du beurre au repas. » Une grosse meule de beurre, ça ne me fait pas vraiment rêver mais c'est certainement mieux que rien.

Et puis, ce n'est pas comme si j'étais intolérant au lactose.