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Les compét' de dégustation de vin à l’aveugle d’Oxford ont changé ma vie

Comment des étudiants en nœud pap’ pratiquant un sport extrêmement difficile ont transformé ma vision du pinard.

Quand je suis arrivé à Oxford pour mes études supérieures, je n'ai commencé à souffrir du « choc culturel » promis par la traversée d'un océan qu'en me rendant à la Fresher's Fair. Cette journée d'intégration est plus connue sous le nom de « bordel gigantesque rempli de nouveaux étudiants tombés du nid et bruyamment courtisés par des asso en quête d'adhérents ».

À Oxford, bastion d'une vie aristocratique un poil archaïque, on m'a supplié de rejoindre des groupes que je n'aurais probablement jamais trouvé ailleurs. Il y a par exemple la Country Sports Society, autrefois réservée à la pratique en vestes vertes de la chasse aux lièvres et aux lapins à l'aide de beagles.

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Depuis la loi sur la chasse de 2004, elle ressemble davantage à un club de promeneurs de chiens. Mais il y aussi la Société de Dégustation de Thé (sans blague), la Société de Reconstitution Historique, des clubs de croquet, de tir au pigeon, de polo, de numismatique, d'aviron et de dégustation de vin.

J'avais passé les quatre années précédentes dans des fraternités à Philadelphie, et je me demandais si, en étant admis à Poudlard, j'allais devoir porter une foutue robe de sorcier. Vous savez ce qu'on dit : « À Rome, fais comme les romains ». Alors je me suis inscris à absolument tous les clubs. Et même si je laissais la plupart des mails pourrir dans mes spams, je prenais néanmoins la peine d'en consulter un : celui de La Société de Dégustation de Vin à l'Aveugle.

La dégustation à l'aveugle est une compétition pendant laquelle les participants doivent identifier la vigne, le terroir et le cru des vins qu'ils goûtent. Les bouteilles sont préalablement enveloppées dans des capuchons de velours.

Même si j'avais sincèrement envie d'en apprendre plus sur le vin, je restais sceptique. J'étais convaincu que tous les vins rouges avaient un goût de vin rouge et que les subtils et prolixes commentaires de dégustation (« Notes de cassis et arôme de barbe du vigneron ») n'étaient juste qu'un charabia illusoire pour décrire ce qui crève les yeux.

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En consultant ces documents, j'ai eu la même impression que lorsque j'ai lu les règles des Colons de Catane pour la première fois. C'était super compliqué.

De plus, j'avais lu pas mal d'études psychologiques démontrant que notre perception du vin était influencée par le prix indiqué sur l'étiquette – même lorsque des prix élevés étaient placés de manière aléatoire sur de la piquette.

J'avais aussi lu que des supposés experts avaient classé, malgré eux, des vins provenant du New Jersey au même niveau que certains Bordeaux Premiers Crus. À la base, mon intérêt pour ce club était surtout anthropologique. C'était le club le plus prétentieux que l'on puisse imaginer et je pensais pouvoir obtenir un aperçu des jeunes aristos, cette race en voie d'extinction, dans leur milieu naturel.

La première réunion eut lieu au Christ Church College, dont le réfectoire a été utilisé pour tourner des scènes de Harry Potter et où Edward VII lui-même a étudié. Certains des gars portaient des nœuds pap' ce lundi-là. De leur plein gré.

J'y ai entendu, partout autour de moi, cet accent britannique si raffiné que j'avais apprivoisé en matant les Monty Python se moquer des hommes politiques. Mais j'ai été surpris par la diversité géographique et ethnique des personnes venues mettre à l'épreuve leurs connaissances en matière de jus de raisin hors de prix. Le président du club venait par exemple de Brunei.

Après une courte introduction, on nous a distribué des documents jetant les bases de la dégustation de vin. Il y avait des conseils pour analyser la robe, le nez et le palais ainsi qu'un traité expliquant les raisons pour lesquelles un vin a une saveur qui lui est propre.

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En consultant ces documents, j'ai eu la même impression que lorsque j'ai lu les règles des Colons de Catane pour la première fois. C'était super compliqué. Il y avait pas mal d'informations utiles mais d'autres me laissaient beaucoup plus perplexes.

J'étais motivé par la volonté d'apprendre et encore plus par l'envie d'observer ces étudiants en nœud pap' pratiquer un sport qui était en réalité extrêmement difficile.

« Si vous voulez que tous les arômes soient révélés, inspirez de l'air dans le vin, mais ne vous étouffez pas. » Bien vu. Pour les vins blancs : « Il est assez commun de sentir des odeurs un peu fibreuses comme celle des orties ». Mais qu'est-ce que ça sent une ortie ? Il y a une palette d'arômes possibles allant du tampon au plastique en passant par le linalol, le bouchon de liège ou le chien mouillé.

Mais parmi l'ésotérisme verbal et œnologique, la chose la plus marquante pour moi était les références répétées à des arômes dits de « cheval » ou « chevalins ». Je ne savais tout simplement pas ce que sentait un cheval. Peut-être qu'avoir fait du polo était un prérequis pour ce club. Alors j'ai levé la main et j'ai posé la question.

« Non, pas du tout », m'a répondu de manière un brin dédaigneuse David, un Américain détenant une licence en poésie. « Ce n'est pas l'odeur du cheval dont on parle, mais du fumier. » J'ai vraiment dû faire une tête cheloue. « C'est une qualité en réalité. Dans le terroir du Ribera del Duero en Espagne, il y a un vignoble appelé Vega Sicilia dont les vignes poussent à proximité des chevaux. Voilà comment on retrouve leur fumier dans le vin. »

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OK, je commençais à le reconnaître. Ces gars savaient ce qu'ils faisaient. Et si ce genre de nuance est utile pour déterminer l'origine d'un vignoble en Espagne, alors la dégustation de vin à l'aveugle n'était peut-être pas la grosse arnaque que j'imaginais. Est-ce que j'avais vraiment envie d'être capable de discerner ces subtiles notes de merde de cheval ? Est-ce que l'ignorance n'était pas une bénédiction en œnologie ?

Plus les semaines s'égrenaient, moins les réunions de la Société de Dégustation à l'Aveugle ressemblaient à des séminaires mais davantage à une préparation de haut niveau pour les compétitions à venir. L'assistance s'est réduite progressivement, jusqu'à ce que les rencontres ne réunissent que le noyau compétitif de l'équipe, de jeunes recrues qui avaient chopé le truc et qui espéraient une place dans l'équipe. Et moi.

J'étais hors-catégorie, mais j'étais sincèrement motivé par la volonté d'apprendre et encore plus par l'envie d'observer ces étudiants en nœud pap' pratiquer un sport qui était en réalité extrêmement difficile et prodigieusement impressionnant. Ils étaient bons, ils comptaient peut-être même parmi les meilleurs du monde. C'était comme être au premier rang d'un entraînement d'une équipe de la NBA.

Quelques personnes parvenaient à deviner l'année exacte, la vigne et le terroir (en allant même jusqu'à identifier la rive où avait poussé le raisin). C'était hyper impressionnant.

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Une fois que les vins avaient été versés depuis leurs bouteilles encapuchonnées, on passait tous quelques minutes à renifler, grumer bruyamment, glouglouter et recracher. Ensuite, on écrivait quelques notes d'observation et ce qu'on pensait avoir deviné. Le chef passait alors dans les rangs et guettait nos hypothèses.

La plupart du temps, je réitérais une combinaison de ce qui avait été dit précédemment par mes camarades. Une fois que toutes les réponses étaient consignées, notre président disait souvent une phrase du genre : « À ceux qui ont cru deviner un Cabernet Sauvignon du Médoc de 1988, pauvres fous que vous êtes ! Ce fût un printemps pluvieux sur la rive gauche et la récolte a été précoce. Le vin aurait été beaucoup plus tannique. »

Ensuite, les participants grommelaient d'un air entendu : « Mais bien sûr… ! ». La plupart du temps, quelques personnes avaient deviné l'année exacte, la vigne et le terroir (en allant même jusqu'à identifier la rive où avait poussé le raisin). C'était hyper bluffant.

J'ai fini par ne plus m'y rendre. Je savais que je n'avais pas le niveau pour les compétitions et j'ai fini par m'inscrire à d'autres activités. Je jouais notamment des reprises médiocres de Pearl Jam avec un psychologue israélien. Mais la plupart de ce que j'ai appris pendant ces séances de dégustation à l'aveugle m'est resté.

J'ai compris que le vin était incroyablement nuancé. Le vin rouge n'a pas juste le goût de vin rouge. Et même si c'est difficile, il est possible de les distinguer. Maintenant, je sais aussi que les vins du nouveau monde ont tendance à être plus alcoolisés et fruités alors que les vins d'Europe sont plus subtils et raffinés.

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J'ai appris que faire vieillir le vin dans des tonneaux de chêne neufs lui donnait un goût de popcorn au beurre Jelly Belly. J'ai également appris comment déterminer si un vin serait meilleur avec un peu plus d'âge ou d'aération.

Lors de l'équivalent du Super Bowl de la dégustation de vin chez les étudiants - remporté par Oxford - David a réussi à identifier correctement le vin le plus complexe de la compétition.

Mais le plus important, c'est que j'ai appris ce que j'aimais et ce que je n'aimais pas. J'ai appris que j'aimais les Carménère, Cabernet sauvignon, Sauternes et Sauvignon blanc de Nouvelle Zélande. J'ai appris que je n'aimais pas le pinot noir, le riesling ou tous les Sauvignons blancs qui ne viennent pas de Nouvelle Zélande.

Cette révélation m'a permis de développer une relation avec le vin. Car même si le prix de l'étiquette peut renseigner de manière « objective » la qualité d'un vin, il reste qu'on peut aimer un vin pour des raisons qui nous sont propres. En règle générale, une fois que vous avez compris comment déguster le vin et quels étaient vos goûts, vous trouverez toujours un vin que vous aimerez et à un prix raisonnable.

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En février, ma mère m'a transféré un article qu'elle a lu dans le New York Times sur la compétition de dégustation confrontant Oxford vs Cambridge. L'équivalent du Super Bowl de la dégustation de vin chez les étudiants. Oxford en est ressorti vainqueur. Le point décisif a été marqué grâce à un Vega Sicilia de 1953.

Ce fameux David a apparemment réussi à reconnaître l'odeur du fumier et à identifier correctement le vin le plus complexe de la compétition. C'était une bouteille à 1 000$. Après avoir assisté à leurs efforts, j'étais sincèrement content pour l'équipe. Mais j'étais surtout content d'avoir appris qu'il valait mieux que j'évite de dépenser 1 000$ pour quelque chose qui a le goût de merde de cheval.