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Food

On a lu le « polar moléculaire » écrit par Thierry Marx

Ça parle d’un flic du 36 qui aime le champagne et enquête sur la mort mystérieuse d’une bande de yakuzas.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Illustration de Lucile Lissandre.

Quand on a appris que Thierry Marx se lançait dans le thriller – par un mail des Éditions Plon intitulé « Attention, manger tue… » – on a immédiatement pensé aux reconversions professionnelles un peu chelou, du genre celle du directeur adjoint de la campagne de Sarkozy qui a décidé d’ouvrir un gîte dans le Périgord.

Il faut dire que l'Ancien juré de Top Chef, à la tête du Sur Mesure, le restaurant étoilé du Mandarin Oriental à Paris, occupe assez régulièrement le devant de la scène gastronomique – que ce soit pour vendre un jambon-beurre dans la nouvelle brasserie de la Gare du Nord ou parler de réinsertion sur 13e Rue dans Un chef en prison.

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Mais avec l’aide d‘Odile Bouhier, collaboratrice sur un précédent bouquin du chef (Paris Marx : Saveurs capitales), Marx a trouvé un moment pour accoucher de son premier roman, baptisé « On ne meurt pas la bouche pleine ». Un « polar savoureux et enivrant, à déguster sans modération » si l’on en croit le langage fleuri et la métaphore utilisée par la maison d’édition.

« J’ai toujours aimé les polars. La position du tireur couché de Jean-Patrick Manchette, San Antonio. Après un voyage à Tijuana, je pensais écrire un scénario liant, plaisir, bien-être et mort », expliquait Marx à Grazia. On ne sait pas trop pour le bien-être mais il y a clairement des morts au cœur de l’enquête menée par Achille Simmeo, son héros, un flic du 36.

Pour vous donner une idée de l'histoire, on va vous la faire courte. Le commandant Simmeo bosse à la Crim’ depuis un bail. Son heure de gloire est passée. Plutôt que de poser tous ses RTT en attendant la retraite, il traîne son spleen dans les locaux du quai des Orfèvres. Mais quand un couple de Japonais casse sa pipe à quelques heures d'intervalle en développant des maladies particulièrement rares, Achille s’empare du dossier et suit une piste plutôt originale qui l'emmène jusqu'à Tokyo. Et si toutes les morts étaient liées ? Et si toutes les victimes avaient été empoisonnées par un as de la cuisine moléculaire ? Et si c'était à ce genre de scénarios qu’on reconnaissait un polar écrit par un chef ?

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Parce qu'on a aime Thierry Marx et parce qu'on ne lit pas des romans de chef tous les jours avant de passer à table, on vous a sélectionné les passages qui nous ont fait le plus marrer :

Le moment le plus « certificat d’excellence sur Tripadvisor » : Il alluma une cigarette, prit le temps de jeter un œil au menu proposé par Le Grand Véfour, rue du Beaujolais. Le « menu plaisir » l’attira, avec toutes ses promesses. Le commandant avait un faible pour les ravioles au foie gras et sa sauce truffée proposées par le chef du restaurant. Simmeo s’empêcha de penser au ris de veau croustillant qu’il avait une fois dégusté ici même et reprit sa marche (…).

Le moment le plus « placement de produit décomplexé » : Produite par la distillerie Mariinsky en Sibérie, Beluga Gold Line est une vodka encore assez peu connue mais très recherchée des connaisseurs. (…) Elle est distillée cinq fois à base de blé… (…) Du blé malté fermenté naturellement sans ajout d’enzymes. L’alcool ainsi produit est alors mélangé à de petites quantités d’extraits de riz et de rhodiola rosea. La vodka qui en résulte est alors vieillie pendant trois mois pour la stabiliser et lui permettre de développer une belle texture.

Le moment le plus « les flics sont des gens comme les autres, la preuve ils aiment les mêmes cochonneries que nous » : [Dans les bureaux du 36] Une banquette défoncée trônait devant le nécessaire à café. Il y avait toujours une Thermos d’avance, un pot de Nutella ouvert et quatre cuillères disposées en étoile, prêtes à dégainer l’huile de palme.

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Le moment le plus « attention au Dark Web » : Michèle Poirier avait une corde maléfique à son arc d’enquêtrice : geek, passionnée par le langage informatique et la Toile, technicienne hors pair, elle excellait lorsqu’il s’agissait de pirater les ordinateurs ou repérer des sites illégaux. Suite à une récente formation, elle était devenue la spécialiste du dark net pour la Crime en général et pour son groupe – donc ses équipiers – en particulier.

Le moment le plus « réhabilitons la bouffe dans les transports en commençant par les vols Paris-Tokyo en business » : Entre les quatre plats chauds proposés (château filet de bœuf poêlé / poulet sauté légèrement épicé / risotto aux cèpes / crevettes + orange + pomme de terre), Simmeo avait opté pour les crevettes et ses billes de carottes.

Le moment le plus « message de pote en vacances au Japon » : Je n’ai pas encore eu le temps de passer chez Bape, mais ne désespère pas.

Le moment le plus « comment expliquer poliment que le plat ne convient pas » : Le fumet l’avait presque choqué : il s’était senti transporté en une microseconde dans son passé, devant la cheminée de cette maison corse qu’il n’avait jamais aimée, avec son conduit qui leur crachait régulièrement des bouffées de suie à la gueule, comme par provocation. Il se força, par respect mais surtout guidé par une curiosité irrépressible, à goûter les étranges racines noires que les serveurs avaient placées avec délicatesse dans son assiette immaculée. Il était résigné, prêt à devoir mâchonner du charbon tout en simulant le ravissement devant ses hôtes.

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Le moment le plus « Top Chef » : Dès la première bouchée, la vision de la cheminée disparut, remplacée par une émotion sans visage. Ce n’était pas un plat joyeux, mais il était aussi puissamment savoureux qu’il était nostalgique. Les légumes fumés de Suzanne Principal (Achille aurait bien été incapable de dire de quoi il s’agissait tant l’énoncé du menu – Kaiseki, le cœur de la pierre chaude » – était sibyllin).

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« On ne meurt pas la bouche pleine » ne vaut probablement pas une bonne enquête du Juge Ti mais on y trouve les marottes de Marx – notamment sa passion encyclopédique pour le Japon – et quelques moments bien débiles ; l’ambassadeur français de mèche avec les yakuzas ou le meurtre d’un transgenre dans une chambre d'hôtel impliquant un membre du gouvernement.

Mais la colonne vertébrale du roman reste la bouffe et la notion ô combien excitante du « meurtre de bouche ». Avec l’aide de Raphaël Haumont, scientifique à l'origine du Centre français d’innovation culinaire, Marx va au-delà du simple assassinat au fugu, injectant des concepts (la « traite » des plantes, WTF) et une virtuosité en cuisine assez diabolique. Franchement, quel chef aurait eu l'idée de préparer un plat à base d'écureuil pour transmettre incognito le bacille de la peste ?


On ne meurt pas la bouche pleine, chez Sang Neuf, le label polar de Plon.