Tubilad est un hashtag qui tourne pas mal à Tel Aviv. Il apparaît sur Twitter à chaque fois qu'un utilisateur du réseau social parle de son apéro au Tubi 60, une liqueur parfumée au citron et aux herbes que l'on trouve seulement en Israël.

Originaire de la petite ville côtière de Haïfa, cette boisson trouble est apparue dans la capitale pour la première fois en 2013 et depuis, Tel Aviv en est accro. Non seulement le Tubi 60 a son propre hashtag, mais aussi des t-shirts pour proclamer son amour pour la boisson. Il existe aussi un groupe Facebook qui rassemble tous ses fans.

Mais ce qui est vraiment curieux, c'est que personne ne connaît vraiment ce qu'il y a dans le Tubi 60.

« Israël est un tout petit pays, nous dit Jacob Rosthchild, un directeur marketing de 27 ans originaire du Royaume-Uni et qui a déménagé à Tel Aviv il y a trois ans de cela. C'est un peu comme si quelqu'un vous offrait une boisson brassée à Wolverhampton. C'est pas comme si vous alliez vous pointer à Wolverhampton pour vérifier comment elle a été fait – on se dit juste : ''euh, ok, allez, fais moi goûter.'' »

Sur l'étiquette, les indications ne nous aident pas vraiment : on apprend qu'il y a 40 % d'alcool dans le Tubi 60 et qu'il est fabriqué « avec des citrons, des herbes, des fleurs, des extraits d'arbres, et qu'il est spécialement créé pour un plaisir rafraîchissant et revigorant. » Les bars qui le servent refusent de dire ce qu'ils savent et au moment où cet article était écrit (en avril 2016, N.D.L.R.), nous n'avons pas réussi à obtenir une réponse précise de la part de ses créateurs, malgré les nombreux mails échangés.

Mais le mystère qui règne autour de la boisson n'empêche certainement pas les Telaviviens de tomber des litres de Tubi.

J'ai fait la rencontre de Jacob à Kuli Alma, un club très couru de Tel Aviv, connu pour servir le Tubi en shot, avec du tonic ou dans une version glacée plutôt sirupeuse.

C'est surtout à partir du mercredi que les gens se pressent au Kuli Alma. On s'y détend sur les escaliers qui donnent sur une cour ouverte entourée d'arbres, avec une galerie d'art, un espace lounge, deux petits bars et un dancefloor éclairé par un néon violet.

Ce soir-là, j'étais assise sur une caisse retournée, en train de discuter avec Jacob et une New-yorkaise, quand on m'a suggéré de commander du Tubi pour démarrer la soirée. Ma première réaction ? Ça a un goût de dissolvant. Du dissolvant avec un peu de citronnelle et quelque chose comme du liquide vaisselle. Et pourtant, j'ai bizarrement eu très envie d'en boire plus qu'un shot.

Jacob et moi avons passé une pure soirée à picoler des Tubi glacés. J'ai tapé la discute avec des juifs et des musulmans, avec des locaux et des voyageurs du monde entier. La dernière fois que je m'étais sentie aussi détendue, c'était à l'époque où je fumais des joints sur mon canapé tout défoncé d'étudiante – ni une, ni deux, je décidais d'acheter une bouteille de Tubi supplémentaire pour ramener dans mes bagages.

Le jour suivant, le liquide avait l'air de s'être un peu dissocié : un sédiment jaune assez épais s'était formé au fond de la bouteille.

« Il y a une rumeur qui dit que c'est fait à base d'extraits de feuille de khat (un arbre africain, dont les feuilles contiennent une substance hallucinogène, N.D.L.R), m'avait expliqué Jacob la veille. Ce qui me semble assez crédible car on ressent toujours un espèce d'effet euphorique similaire à l'ecstasy après en avoir bu. »

Certains affirment même qu'après avoir pris une cuite au Tubi, on ne ressent aucune gueule de bois. Cela expliquera en partie pourquoi tout le monde en boit tous les soirs de la semaine, ici. D'après ce que j'en ai bu, je ne peux pas dire que ça soit très vrai, mais c'est vrai que le Tubi m'a procuré une ivresse légèrement différente – le genre qui vous donne envie d'en boire plus.

« Même si c'est flatteur de voir les gens débattre sur le Tubi et les raisons pour lesquelles il défonce autant, je dois préciser qu'il ne contient pas de khat ni d'ingrédients semblables, m'avoue le PDG co-fondateur du Tubi, Monsieur Hilal qui, après plusieurs mois de négociations, a enfin accepté de répondre à mes questions. Le Tubi est certifié et approuvé par le Ministère de la Santé israélien depuis sa création, donc tous ses ingrédients sont conformes aux standards israéliens, européens et américains. »

M. Hilal me raconte les débuts de la boisson : avec son associé, ils avaient mis au point une recette de mélange alcoolisé qu'ils ont commencé à le vendre à leurs amis. Un peu de marketing malin sur Facebook et Twitter – combiné par des critiques négatives dans les médias mainstream – et cette boisson assez banale devenait un alcool hautement désirable. D'ailleurs, une fois que les « hipsters » se la sont appropré, sa popularité a explosé.

Et quand est ce qu'on pourra en acheter en Europe ?

La réponse de M. Hilal est vague : « La première exportation devrait avoir lieu très prochainement, probablement au Panama, mais peut-être aussi ailleurs… »

La réponse de M. Hilal est vague : « La première exportation devrait avoir lieu très prochainement, probablement au Panama, mais peut-être aussi ailleurs… »

En revanche, il se souvient très précisément de la frénésie qui s'est emparée du pays quand la boisson a commencé à exploser.

« Je me souviens d'un soir en particulier, c'était en 2014, le Jour de l'Indépendance israélienne. Mon frère et moi, on a reçu un appel « d'urgence » pour réapprovisionner les stocks de Tubi dans tout le pays : il y avait des gens qui faisaient la queue pour attendre que les bouteilles arrivent. À chaque fois qu'on livrait une boutique d'alcool, il y avait plus de gens qui attendaient. C'était du jamais vu. »

L'histoire pourrait sembler un peu exagérée mais dans une ville comme Tel Aviv, c'est parfaitement crédible. Pendant mon séjour là-bas, j'ai rencontré des Américains, des Britanniques, des Suédois et des Allemands qui se tapaient des shots de Tubi tous ensemble en trinquant à leur amour pour la ville comme à cette curieuse boisson.