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Au Québec, la « police du langage » interdit aux restaurateurs d'appeler un grilled cheese un grilled cheese

Pour le très tatillon Office de la Langue Française (OQLF) du Québec, la bonne appellation serait plutôt : « sandwich de fromage fondu ».

Quand ils ne sont pas occupés à courir après des cochons dans la boue, les Québécois dépensent pas mal d'énergie pour préserver la richesse de notre chère langue Française. Face à la menace grandissante de l'anglicisme, nos cousins lointains ont recours à des traductions littérales qui – dans l'oreille d'un « Français de Métropole » – sonnent parfois assez exotiques : au Québec on ne « chat » pas, on « clavarde » et le « Joyeux Festin » se substitue au « Happy Meal », chez MacDo.

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Tout le monde était plus ou moins OK avec cette coquetterie, jusqu'à ce que les habitants de la ville de Québec commettent un sacrilège. Pourtant majoritairement francophone, la population de la capitale nationale a pris le réflexe de conserver les dénominations anglaises quand il s'agit d'évoquer les spécialités culinaires typiquement américaines, comme le hot-dog ou le grilled cheese.

Mais pour le très tatillon Office de la Langue Française (OQLF) – une sorte de « police de la langue » locale – c'est le genre de liberté linguistique qu'il n'a pas l'habitude de digérer. Dont acte, depuis qu'elle a été mise au parfum de cette affaire de grilled cheese, le principal boulot de l'OQLF consiste donc à se creuser les méninges pour trouver une traduction française recevable à ses yeux.

C'est ainsi que jeudi dernier, Stéphane Rhéaume a reçu une lettre de l'OQLF. Le copropriétaire du Resto Mama Grilled Cheese se voyait pour l'occasion informé que son enseigne violait les lois du français québécois. Première infraction : l'utilisation du mot « enjoy » dans l'une de ses publicités plutôt qu'un équivalent français. Second et principal chef d'accusation : l'utilisation du terme « grilled cheese ».

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Contacté par téléphone, Stéphane nous a confiés : « J'admets que l'utilisation du terme « enjoy » puisse être problématique. Mais pour le terme 'grilled cheese', 90% des gens à Québec l'utilisent. »

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Faisant complètement fi de cet état de fait, la lettre de l'OQLF exigeait que Stéphane Rhéaume utilise désormais le terme « sandwich de fromage fondant » pour décrire son produit – une appellation qu'il n'a jamais entendue personne utiliser.

« Personne ne dit 'un sandwich de fromage fondu'. La seule différence c'est qu'en français on ne prononce pas le 'ed' : on va dire 'un grill cheese' et non 'un grilled cheese'. C'est la seule nuance. »

Quelques jours seulement après avoir reçu cet avis de modification, l'affaire a fait tellement de bruit dans la petite localité que l'OQLF a fini par faire marche arrière en publiant un communiqué de presse stipulant clairement que le Resto Mama Grilled Cheese n'aurait pas à changer de nom malgré le mot tabou qu'il contient. Le fait que Stéphane ait fait écho de cette histoire à toute la presse nationale et régionale a sûrement joué dans la rapidité avec laquelle cet organisme ministériel a retro-pédalé.

« Grâce à tout le battage médiatique qui a été fait autour de cette affaire, l'Office reconnaît presque avoir un peu abusé en déclarant que mon usage du mot 'grilled-cheese' constituait une infraction à la Charte [de la langue française] », analyse le principal incriminé.

Pourtant, ce n'est pas la première fois que l'OQLF se distingue pour son excès de zèle. En 2013, l'Office de la Langue Française avait pris pour cible la nourriture italienne. Le restaurant Buonanotte avait été prié d'enlever de son menu les mots 'pasta', 'calamari' ou encore 'antipasti' et avait été sommé de les remplacer par des équivalents français. Encore une fois, c'était tombé à côté : absolument personne au Québec n'utilise l'expression 'pâte alimentaire' pour désigner des pâtes.

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Si je savais qui a fait ça, je crois que je lui paierai un grilled cheese pour le remercier de toute la publicité dont j'ai bénéficié.

Le propriétaire du restaurant ne s'était pas laissé faire : Massimo Lecas avait lui aussi ameuter la presse et les journalistes. La polémique avait fini par prendre tellement d'ampleur que la directrice de l'OQLF, Louise Marchand, avait dû démissionner – la législation linguistique était même devenue un vrai thème lors de la campagne politique qui avait suivi.

D'autres restaurants importants de la ville ont reçu le même genre de missives incriminantes. En 2013, le restaurant Joe Beef avait été rappelé à l'ordre pour avoir affiché des posters vintages écrits en anglais en guise de déco. La même année, l'OQLF était allé jusqu'à demander au bistrot français Holder de masquer l'indication « on/off » présent sur l'une de ses bouilloires en même temps que sur le menu, le terme 'steak' devrait être remplacé par un plus français 'bifteck'.

Aussi, l'autorité étatique de l'OQLF est fortement remise en question par l'opinion publique au Québec, quand on sait que la majorité des plaintes sont en fait déposées en ligne par n'importe quel citoyen. Et si vous êtes poursuivis, il n'y a aucun moyen de savoir si la plainte venait d'un inspecteur agréé ou simplement d'un client malveillant.

Malgré ça, Stéphane Rhéaume n'en veut pas spécialement à l'internaute qui a déposé plainte contre lui : « Ça pourrait être n'importe qui, mais si je savais qui a fait ça, je crois que je lui paierai un grilled cheese pour le remercier de toute la publicité dont j'ai bénéficié. Ce n'est pas ça qui va nous empêcher de vendre des grilled cheeses. »