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Food

Range Tes Bouteilles : Jean-Pierre Robinot

On est allé dans la Vallée du Loir à la rencontre d'un des vignerons les plus attachants du cosmos. Et on lui a demandé de trier ses quilles.
Bouteilles Jean-Pierre Robinot
Toutes les photos sont de l'auteur

Range Tes Bouteilles copie assez éhontément la rubrique de Noisey baptisée Range Tes Disques dans laquelle un artiste classe ses albums du pire au meilleur. Ici, on a demandé à un vigneron de faire la même chose avec ses bouteilles. On commence cette rubrique avec Jean-Pierre Robinot, qui n'a peut-être pas obéi à toutes les instructions mais qui raconte à travers ses quilles, son histoire et celle de son vignoble de la Vallée du Loir.

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C’est quelque chose d’arriver à Chahaignes quand ça caille comme ça, et que les feux de la fourgonnette percent à peine le brouillard. Mais dans la nuit, les petits yeux de Jean-Pierre Robinot brillent toujours, ne flanchent jamais. Sur le bonnet, la frontale, sous l’accoutrement grand froid, un des vignerons les plus attachants du Cosmos, comme si toute l’énergie du monde était là, sous ces cheveux de savant fou, dans cette parole extasiée, au sein des barriques et bouteilles. Ses vins sont libres et vivants car élaborés sans protection, il faut chercher dans les interminables carrières de pierres que sont ses caves, bordel géant de trésors, et puis on goûte, on boit, on prie, c’est vibrant, c’est JP Robinot, y a quelque chose d’un peu magique, à chaque mot, à chaque gorgée.

Jean-Pierre Robinot

8. IRIS 2003 - Chenin (blanc)

Jean-Pierre Robinot : C’était une année hyper chaude. Il faisait 40 °C la journée, je démarrais à 4 heures du matin dans les vignes, j’arrêtais à 13 heures, faisais la sieste à la cave sur des sarments toute l’après-midi, et je redémarrais à 18 heures jusqu’à 23 heures Une année de fou. Mais avec cette chaleur, il n’y a pas eu de botrytis, ce champignon dit aussi pourriture noble, qui vient dans le brouillard et l’humidité, et qui me permet d’élever longtemps les vins, parce qu’avec un haut potentiel d’alcool dû à un raisin bien concentré en sucre, je peux aller loin sur des arômes subtils, fins, délicats, profonds. Le raisin a sur-mûri mais il s’est desséché.

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MUNCHIES : Pourquoi t’aimes pas ?
J’y ai mis 2 grammes de soufre. Et ben voilà. Et même si c’est 2003, et que ça a eu le temps de se poser, on le sent, ça inhibe le vin le soufre, il est emprisonné de lui-même on dirait. T’as vu, le soufre c’est comme une plaie sur la peau, même si ça se referme, il te reste une cicatrice. On dirait que le soufre l’a empêché d’être. C’est un peu déséquilibré. C’est fermé, comme bloqué, c’est austère, on dirait que ça tourne en rond dans la bouche, alors que justement un vin sans soufre il s’élargit, il s’étend, c’est ça le nature, ça parle, c’est souple, serein, libre.

7. CUVÉE TGV 2001 - Pineau d’aunis (rouge)

Alors là, ben tu vois, c’est ma toute première cuvée, j’avais encore mon bistro à Paris, mais je venais d’acheter une parcelle ici, des vieilles vignes d’une centaine d’années, y avait 70 ares, ça m’a fait deux barriques. Je venais le week-end seulement, c’est pour ça, cuvée TGV, j’ai rien fait pratiquement dans les vignes, ça a pas été traité, le sol a pas été travaillé, j’ai juste taillé en fait. C’était une cuvée perso, pour le bistro. Comment on a pressuré déjà, ah oui, avec un vieux pressoir en bois, ça me revient, où il est ce pressoir, ah oui, faudra que je le récupère tiens, il doit être dans un triste état.

Ça goûte le pinot noir, non ?
Oui c’est vrai t’as raison, d’ailleurs, les potes ils pensaient tous que c’était du pinot noir, je crois que c’est parce que j’avais acheté mes barriques au Prieuré Roch en Bourgogne, et je les ai juste lavées et j’ai entonné. C’est pas mal hein pour un débutant ? Tout le monde disait : « C’est la chance des premiers millésimes ». C’est souple et léger. Je sais plus si j’avais mis un petit peu de soufre ou non, de toute façon, s’il y en a, c’est vraiment très peu.

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Jean-Pierre Robinot Range Tes Bouteilles 2

6. CUVÉE P REGARD 2010 - Pineau d’aunis (rouge)

Gros millésime bien chaud, on est en octobre, en pleines vinifs, et, c’est le décès de Marcel Lapierre, mon grand maître. Et oui, le premier vin sans sulfite que j'ai bu c’était un Morgon de chez Marcel Lapierre, en 86 ou 87. Alors, je ne pouvais pas ne pas aller aux funérailles. Je pige toutes les cuves aux pieds avant de partir (enfoncer le marc dans le moût). Je reste là-bas dans le Bojo deux jours, on boit du Marcel Lapierre toute la nuit. Et quand je rentre, je regarde, je goûte, c’est l’bordel, toutes les cuves sont parties en vol’ [la vol’ ou volatile c’est quand ça commence à partir sur des arômes de vinaigre]. La cata. Et y a une cuve, c’est mes vieilles vignes, putain, mes vieilles vignes… Y a un gramme deux de vol’ et il reste du sucre. Celle-là, je lui dis, tu feras du vinaigre s’il le faut, mais je te mettrai pas un gramme de soufre, attends je rentre juste des obsèques de Marcel Lapierre, je peux pas quoi. Alors, j’ai décuvé, pressuré, et remis en cuve, déjà d’enlever les rafles etc ça épure un peu, le sucre restant relance la fermentation, ça bouffe, ça bouffe, et on est déjà redescendu à 0,9 de volatile. Quand je suis descendu à 20 grammes de sucre, je mets en bouteille, je me dis que je vais faire un pétillant, oui le sucre qui reste ça va créer la bulle, et au moins j’aurais ma cuve sauvée.

Alors et c’était comment ?
C’était génial ! Tout le monde en voulait de ce pétillant rouge. Et ce qui était génial, c’est qu’en fait, il fallait boire la moitié de la bouteille comme ça, en pétillant, et après l’autre moitié de la bouteille tu carafais, le gaz disparaissait, et les arômes, c’était la folie, des fruits très mûrs, la cerise noire, une densité énorme, et très poivré.

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5. CLARA ZACH 2003 - Chenin (blanc)

Jean-Pierre attrape une bouteille sous un manteau de poils dans un recoin très sombre de la cave.

C’est quoi ça ?
Clara Zach, c’est une cuvée que je fais que sur les grandes années. Clara c’est la fille de mes super copains, elle est décédée à 15 ans, elle était malade. C’est un hommage. Énormément de botrytis, c’est la base de toute façon, faut qu’il y ait entre 16,5 et 18 /20° d’alcool potentiel. Y avait beaucoup de volatile sur cette cuvée, j’ai attendu 3 ans en barrique.

C’est bon ! On la sent pas beaucoup finalement la volatile.
Oui t’as vu en fait elle s’est complètement mariée au vin, c’est harmonieux, oh je suis content, ça s’est bien refait, c’est bien hein le vin, comme c’est vivant, c’est un truc de fou. Ça a vachement de charisme ce liquide bien doré. C’est suave, c’est vraiment suave. Des fruits exotiques, du beurre, floral en même temps, ça balance bien entre amer et acide. Le zeste du citron vert.

Jean-Pierre Robinot Quilles 10

4. CAMILLE ROBINOT 2009 - Chenin (blanc)

Ça a fait 3 ans de barrique, tellement c’était concentré et fermé. Puis ça me rendait fou parce que y avait une barrique elle désemplissait jamais, et elle débordait tout le temps, comme si ça se multipliait tu sais, y en avait de plus en plus, alors que les autres je les ouillais (compléter le volume évaporé de la barrique avec du vin). Bon, mais au bout de 3 ans, j’en avais marre, je me suis dit, allez ça suffit, ça se finira en bouteille, ça va venir, ça va s’ouvrir. Faut de la patience hein.

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Que c’est joli…
Oui, ça sent le champignon, la truffe. Faudrait attendre longtemps, en fait, moi je le dis souvent, presque il faudrait ouvrir le vin 24 voire 48h avant, tu vas voir comme ça s’ouvre, comme les tannins s’arrondissent, parce que là c’est un peu serré. C’est normal, le vin, il dort tranquillement dans la bouteille, et d’un coup, l’ouverture c’est presque du viol, tu peux pas attendre qu’il s’exprime tout de suite comme ça, qu’il dise tout ce qu’il a à dire comme ça sans attendre. Alors, lentement, le cacao, le zeste d’orange, la tomate séchée, la violette, le cassis, la framboise. T’as vu la précision…

3. JULIETTE ROBINOT 2005 - Chenin (blanc)

Quand on goûte un truc comme ça, je crois qu’on peut être content de son boulot. T’as vu comme ça s’est posé. 6 ans de barrique. C’est indispensable d’attendre, d’élever, pour avoir cette profondeur. Ce mariage entre le sucre et la matière, l’acidité qui revient dans la bouche, à la fin, en fait, le sucre il est là mais c’est tellement subtile que ça ne laisse presque qu’un souvenir, c’est marié, (il assemble ses mains et ferme les yeux), cette complexité exotique. Faut mettre le nez dans toutes les fleurs quand on est dehors pour ensuite pouvoir y être sensible dans le vin. C’est terrien et en même temps, les fruits, les fleurs, c’est beau d’arriver là, à ces arômes secondaires, c’est ce que je cherche.

Jean-Pierre Robinot Quilles 5

2. SUPER S JULIETTE ROBINOT 2009 - Chenin (blanc)

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Le dernier vin de mes vieilles vignes avant qu’on les arrache parce qu’elles ne produisaient plus. C’était sur une butte, personne ne voulait aller y bosser en plus. Ça a fermenté pendant 5 ans ça, parce que les caves étaient très froides, du coup c’est une fermentation à basse température, donc les levures travaillent lentement. C’est comme la mort des gens par le froid tu vois, c’est pareil, le gars il s’affaiblit, il s’endort, et il meurt de froid dans son sommeil, la mort lente - du sucre.

Pourquoi il est vraiment spécial pour toi ce vin ?
Franchement, j’ai jamais bu un vin avec une telle énergie. C’est l’énergie de la terre, du cosmos, qui se transmet, un truc de fou. Je sais pas trop comment, pourquoi. Peut-être que comme ça faisait quand même 7 ans que j’avais repris les vignes, la terre, ça s’est un peu purifié avec le temps, et sans aucun traitement chimique. Non mais avec ça tu décolles, tu t’envoles. T’es ancré sur la terre, mais tu bois, tu décolles. Comme une fille une fois qui goûtait et qu’a dit, oh la la, mais qu’est-ce qu’il se passe dans mon corps, c’est une énergie de folie, une pile électrique, une forme de décharge, de pulsion, que tu sens te parcourir, j’ai jamais senti quelque chose comme ça. C’est le vivant ça, ça fait ça le vivant ! Il a les yeux qui pétillent.

1. JULIETTE ROBINOT 2002 - Chenin (blanc)

Ça a une valeur sentimentale forcément, c’est ma première cuvée sans soufre, c’était tellement extraordinaire. Mes vieilles vignes de plus de cent ans, dont une partie en francs de pieds. À peu près 50 % des raisins ramassés en botrytis, deux barriques qui ont fermenté pendant plus de 24 mois, non ouillé, puisque j’avais pas de vin pour ouiller, ensuite on a débourbé et ça a passé quelques mois encore sur lies, avant qu’on embouche, et avec Noella, on a tout embouché à la main, directement de la barrique à la bouteille avec un tuyau, pour toucher le moins possible le vin, pas trop le bouger, le bousculer.

En goûtant…
Et regarde cette profondeur, cette finesse, c’est fou. C’est un peu oxydatif, une douce noix, une belle pomme, l’acidité du citron, la noblesse et l’élégance. Ah c’était vraiment magnifique, et c’est le vin qui m’a lancé. Cette vivacité, ce peps, cette énergie. Y a beaucoup de positivité et de joie dans ce vin, c’est un peu ma signature, le vin c’est une signature, tu t’exprimes, quelque chose s’exprime, c’est comme l’art, le vin il est signé.

Jean-Pierre Robinot Range Tes Bouteilles Final

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