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Confessions d'un livreur de bouffe à vélo

L'air froid me donne des vertiges. La musique résonne dans mes enceintes. Je suis seul dans la ville, il fait nuit, je pédale. Mon téléphone sonne. « ACCEPTER » ou « REJETER » ?
Photo via Flickr use rphotographybanzai

Deux fois par semaine, je parcours les rues de la ville à vélo en tant que livreur. Il faut que tout le monde me voie. Je porte un casque orange fluo. Je crie sur tout le monde et personne à la fois.

Le nouveau lieu de prise en charge est situé au 145 W. 17 th Street.

Je maudis les feux qui passent au rouge et je crache sur la chaussée couverte de pluie. J’augmente ma cadence de pédalage. Quelqu'un klaxonne. J’accélère vers le prochain feu rouge. Toujours vers l'avant. Les voitures glissent sur la route, mais l'une d’elles s’apprête à tourner – je la double, car j’anticipe déjà le fait qu’elle va tourner. Impossible qu’elle ne le fasse pas. Ou peut-être que si en fait.

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La facture s’élève à 97,77 dollars. Je tends la carte de crédit à l'hôtesse. Elle revient avec un reçu. Elle porte une robe noire cintrée de personnel de maison. Elle a le sourire facile. Les cheveux tirés en arrière. Je signe. Elle me tend un sac. À l’intérieur se trouvent des plats qui ne me sont pas destinés. Je ne les mangerai pas ce soir. Peut-être même jamais.

Je suis prêt pour la livraison.

Je dois me rendre au 800 Sixth Avenue. J'ai vingt minutes. Je vais être dans les temps.

Je bosse douze heures le samedi et douze autres le dimanche. Je roule dans les rues de la ville. Je respire. Je hurle.

À midi, j'ai expédié six livraisons. Je m’offre un jus pressé à froid servit dans un gobelet en plastique. Je fais la queue pendant trente minutes pour récupérer des cookies – du coup, j’en prends un pour moi. C'est le meilleur cookie que j'ai jamais mangé.

Je patiente dans des files d'attente interminables.

Je continue dans ma lancée. Les routes de la ville sont sombres et étroites, grêlées et abîmées, crevassées et rayées. Les pneus des voitures roulent sur des monticules de graviers et le bruit ressemble à des pierres qui viendraient s'écraser contre un toit de tôle.

Je parcours les rues de la ville pour aller chercher et déposer de la nourriture, des boissons, des en-cas, de la drogue, des vêtements et d'autres choses. Il y a de plus en plus de sociétés de livreurs à vélo qui s’installent : Postmates, Caviar, Munchery et Homer. Les noms de sociétés de livraison sont placardés sur des autocollants, des sacs thermiques et des gilets fluo. Nos téléphones sonnent sans cesse : « ACCEPTER » ou « REJETER » ? Nous sommes une petite masse qui se déplace bruyamment, qui grouille dans les halls d'immeubles, qui attend dans les entrées de service et occupe les ascenseurs. Nos visières de casque protègent nos visages hagards et sales. Notre musique est suffisamment forte pour tout le monde l’entende.

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Si vous êtes en avance pour récupérer une commande, n'attendez pas à l'intérieur. Attendez dehors jusqu'à ce que votre commande soit prête.

Je tiens la porte aux personnes qui entrent pour manger sur place. Je paye, mais ils savent que je paye pour quelqu'un d'autre. Je paye toujours pour quelqu'un d'autre. Un autre livreur attend à l'intérieur, son visage n’est éclairé que par son téléphone. C’est le mec le plus grand du restaurant. Il porte son casque à l’envers. Le sac rouge en forme de boîte qu’il a sur le dos gêne tout le monde. Il me voit et me fait un signe de tête. En sortant, il s'arrête à côté de moi. « N'accepte plus jamais de commande venant d’ici, l'attente est trop longue », dit-il avant de sortir. J'acquiesce.

« UNE NOUVELLE MISSION EST DISPONIBLE ». J'accepte. Six bouteilles d'eau d'un litre, trois bouteilles d'eau ionisée, deux briques de Smart Coco. Les lieux de prise en charge et de livraison ne sont qu’à un pâté de maisons l’un de l’autre. Je maudis ce client paresseux. Quand je bosse, je maudis tout le monde. Je suis payé pour transporter des trucs sur mon dos. Je déteste distribuer des bagels, des sushis, des bouteilles d'eau et des frites, mais je réponds toujours aux sonneries stridentes de mon téléphone – et je ne l'éteins jamais, parce qu'il y a toujours du travail et que ça représente de l’argent à gagner.

Les bouteilles d'eau et de coco sont déposées. Le client ouvre la porte – juste assez pour que je remarque qu’il est sous ecsta. Je lui souris et lui dis : « Merci ».

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Cette course m’a rapporté 5,17 dollars. En dix minutes. Appartement 6, sixième étage. Des centaines de plans de sol. Appartements A à L. M. à Z. Livraisons seulement. Notez ce client : exceptionnel.

Il est 4 heures du matin. J’aimerais bien rentrer chez moi, mais je ne peux pas. J'accepte une commande et lis les remarques. « BEAUCOUP DE SAUCE PIQUANTE S'IL VOUS PLAÎT ». Un fast-food est ouvert jusqu’à tard sur la 8e avenue. Un mec fait la queue en tirant la langue. Je lis les noms des plats sur le panneau sans en comprendre le sens. « Découpé et emballé. » J’ai de petits sachets de sauce piquante dans la main, qui suintent à l'intérieur. Le couple devant moi va faire l'amour après avoir mangé ici. Ils vont sentir le bœuf et le fromage. Mon cœur bat la chamade. « NUMÉRO DE COMMANDE 310 ». J'attrape la bouffe et m'enfuis.

L'air froid me donne des vertiges. La musique résonne depuis mes enceintes. Je suis seul dans la ville, en pleine nuit. Je pédale. Mon téléphone sonne. « ACCEPTER » ou « REJETER » ? Il est 5 heures du matin. Des clients commandent un petit-déjeuner. J'accepte.


Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES US.