Trieuse de truffes
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Dans la vie d'une trieuse de truffes

En janvier, à Sarlat, c’est la même kermesse, Sylvie Bois se lève aux aurores pour renifler 63,5 kg de diamants noirs.

La pluie battante qui s’abat sur la petite ville de Dordogne en ce 20 janvier ne semble pas entamer l’entrain de Sylvie. Le nez dans un petit panier en osier rempli de truffes noires, elle s’enivre du parfum ample de la tuber melanosporum, surnommée « mélano », qui n’est autre que la sœur aînée de la « brumale » (tuber brumale), moins courtisée mais qui s’épanouit aussi dans le Périgord.

Avec une poignée de producteurs du Groupement des trufficulteurs du Périgord noir, Sylvie a la lourde tâche d’ausculter les truffes de chaque vendeur souhaitant prendre part à ce marché contrôlé qui trône au cœur de la ville. Son lancement coïncide avec la Fête de la truffe organisée tous les ans à Sarlat. La cité vit pour ce diamant noir le temps d’un week-end.

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« Le marché contrôlé de Sarlat existe depuis plus de dix ans. Nous l’avons créé pour pouvoir vendre de la truffe de qualité. Cela signifie que nous contrôlons les truffes que nous vendons. Elles sont lavées, brossées et essuyées, prêtes à la consommation », glisse Sylvie, en déambulant entre des producteurs attendant que le verdict tombe.

Celle qui a grandi dans les truffières est devenue au fil des années experte en matière de truffes, au point de présider aujourd’hui le groupement local.

Vous ne pouvez pas jauger la qualité d'une truffe quand elle est vendue pleine de terre. Je la canife, c’est-à-dire que je coupe un petit coin. C’est la seule façon de vérifier sa qualité intérieure.

Au final, 63,5 kg de truffes mélano et brumale seront acceptés pour le lancement du marché, à 9 heures précise. Moins d’un kilo a été écarté. Les vendeurs qui se rendent à Sarlat pour la Fête de la truffe savent qu’ils auront de bonnes chances de se faire refouler s’ils présentent à Sylvie des truffes de mauvaise qualité. Alors ils ne se déplacent qu’en compagnie de leurs plus beaux diamants.

Sur le marché, le kilo de mélano se négocie autour de 1 000 euros, contre 400 euros pour la brumale. Autant dire que l’enjeu financier est de taille. « Nous ne vendons pas la terre au prix de la truffe, car c’est un produit qui coûte cher. En plus, vous ne pouvez pas jauger la qualité d'une truffe quand elle est vendue pleine de terre », tranche-t-elle.

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La dizaine de contrôleurs emmenée par Sylvie examine les trouvailles une à une. Peu à peu, le parfum des truffes se répand dans les rues et grimpe aux fenêtres. « Je la canife, c’est-à-dire que je coupe un petit coin. C’est la seule façon de vérifier sa qualité intérieure et de savoir si elle n’est pas trop claire ou si elle n’est pas boisée et donc trop dure. Si c’est le cas, je la refuse alors à la vente ou j’enlève la partie boisée, généralement en surface. »

Quand je vois un petit veinage blanchâtre, je me dis que c’est peut-être abîmé dessous alors j’inspecte. Quand on regarde une truffe, on cherche le défaut.

« Il y a aussi le côté visuel, poursuit Sylvie. Quand je vois un petit veinage blanchâtre, je me dis que c’est peut-être abîmé dessous alors j’inspecte. Quand on regarde une truffe, on cherche le défaut. » Son sixième sens en la matière lui permet de se représenter une truffe quand elle était encore sous terre. « J’essaye d’imaginer comment elle était positionnée dans le sol. Quand une partie de la truffe est mamelonnée, cela correspond au dessous de celle-ci ».

L’étape primordiale consiste à humer la truffe : la puissance des arômes est particulièrement recherchée. Et à ce petit jeu, la mélano distance largement sa cadette.

Après avoir subi les regards insistants et les nez indiscrets des contrôleurs, les truffes sont classées. « Les truffes de catégorie 1 sont des truffes entières de plus de 10 g qui sont d’un bel aspect et pas trop biscornues. Elles peuvent avoir la griffe du chien, mais ne sont pas perforées », commente Sylvie. En catégorie 2, on trouve des choses beaucoup plus hétérogènes.

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Couleurs, arômes ou formes s’entrechoquent. Cette catégorie peut contenir des truffes entières comme des morceaux de plus de 5 g. « Il y a aussi la catégorie extra, s’interrompt-elle. Mais elle est de plus en plus rare. On y trouve des truffes entières, entre 30 et 90 g, toutes rondes. Ce sont des truffes parfaites en termes de proportions. »

À 9 heures, les vendeurs n’ont pas encore pris place sous le grand barnum du marché que les premiers acheteurs s’acheminent vers eux. Même si l’on ne dénombre pas des centaines de protagonistes, le volume sonore est élevé. La voix d’un speaker résonne jusque dans les chaumières. C’est Frédéric Degat qui s’y colle depuis sept ans. Avec son fidèle micro, il commente les transactions en cours et annonce le programme des animations culinaires.

Sylvie s’éloigne pour superviser la manifestation quand le speaker s’exclame : « La truffe primée pèse 886 g ! ». Le marché a pour coutume de couronner les plus chanceux. Cette année, un chasseur de truffe aguerri exhibait un joyau pesant près de 900 g. Quelques minutes après l’ouverture du marché, la truffe en question changeait de mains.

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« En plus elle a une jolie forme ! Les grosses truffes sont souvent alvéolées et ressemblent davantage à un conglomérat de petites truffes. C’est très agréable à récolter, on peut être fier d’avoir le spécimen mais… c’est très dur à vendre. Cela intéresse généralement des passionnées ou des collectionneurs », ajoute Sylvie.

En quelques heures, une majorité de vendeurs a écoulé sa récolte mais les acheteurs retardataires peuvent encore dénicher de bonnes affaires. La présidente du groupement local aime à rappeler que l’on peut consommer de la truffe sans se ruiner. Une truffe de 20 g, facturée 20 euros, suffit à agrémenter un plat pour deux personnes. À Paris, il serait impossible de trouver une truffe ne coûtant pas le double ou le triple de ce prix.