Dans les vapeurs de la rakija, l’eau-de-vie bricolée des Balkans
Rakija is always consumed with water to temper the spirit's potency. All photos by the author.

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Dans les vapeurs de la rakija, l’eau-de-vie bricolée des Balkans

En Macédoine, l'alcool est distillé maison par les locaux et selon le dicton : « Quand tu le bois, tu peux dire exactement quelle famille l’a produit ».
Rakija is always consumed with water to temper the spirit's potency. All photos by the author.

La rakija est toujours servie avec de l'eau, histoire de ne pas être bourré trop vite. Toutes les photos sont de l'auteur.Mon grand-père a commencé à faire de la rakija en 1963. Je m'appelle comme lui

Si vous êtes déjà passé par la Macédoine, impossible d'y échapper : vous avez bu de la rakija. Sans doute beaucoup, même. Dans les Balkans, c'est une boisson très répandue, souvent fabriquée directement à la maison. Après un trek au Kosovo, je suis arrivée en Macédoine au lac d'Ohrid et, coup du sort, j'ai été accueillie par un brasseur local. Alors que l'appel à la prière remplit l'atmosphère, je refuse poliment le troisième verre de cette eau-de-vie bien chargée.

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« , » me raconte Kosta Bogdanoski tout en me faisant visiter le jardin de sa maison d'Ohrid.

Kosta avait seulement cinq ans quand il est tombé dans la marmite de rakija. « Pendant que mon grand-père la préparait, moi je jouais dans le jardin. Il criait « Kosta, rapporte encore de l'eau ! Kosta, rapporte du bois ! », se rappelle-t-il. Aujourd'hui, c'est lui qui perpétue la recette familiale depuis que son père est mort il y a six mois.

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Kosta Bogdanoski.kazia

Le jour, Kosta vend des machines agricoles. Son atelier, rempli de pièces détachées et d'autres bidules en tout genre, est situé à l'avant de sa maison. La nuit, il travaille dans la remise, derrière sa propriété. C'est là qu'il se transforme en maître distillateur de rakija pour le bonheur de tout le voisinage. Pour juste trois cents denars macédoniens (moins de cinq euros), ses amis débarquent chez lui pour tenter d'obtenir l'une de ses précieuses bouteilles. Ils rapportent même toute l'eau, le moût de raisin, le bois, la farine et le miel nécessaires pour fabriquer le liquide.

Dans la remise se trouve la machine à rakija. Elle est composée de deux grands fûts en cuivre (des « » en macédonien) et de deux autres récipients en cuivre. La rakija qui sort de chacun d'eux est récoltée dans une bassine blanche et une bassine rouge. La dépendance en briques est elle-même une sorte de relique : un rayon de soleil réussit à passer au travers de l'ouverture de la minuscule fenêtre pour venir éclairer un lit grinçant calé dans un coin de la pièce. On dirait que quelqu'un a peut-être vécu ici autrefois. Mais Kosta m'explique que le lit est seulement là pour que la personne qui fait le rakija puisse rester présente pendant le processus.

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« Parfois ça prend plus de temps qu'on ne l'imagine… On pourrait s'endormir et les flammes pourraient s'échapper », rigole Kosta. Au-dessus du lit, une pancarte prévient du danger : « Tu peux dormir mais garde un œil ouvert ! Ne laisse pas la rakija déborder. ».

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L'entrée de la bâtisse à rakija.Mon grand-père n'avait besoin que de son doigt pour goûter la rakija

À part quelques outils qui ont été remplacés, Kosta produit sa liqueur exactement comme son grand-père le faisait avant lui. Mais Kosta a un petit gadget que son grand-père n'avait pas : une sonde pour mesurer le taux d'alcool de sa rakija. « . »

La famille de Kosta en fait depuis trois générations et lui-même vit dans cette maison depuis toujours. Il est donc très fier que la liqueur produite ici plaise à tout son voisinage. « Ils viennent me voir et sifflent tout mon vin ! ».

En Macédoine, la saison de production de la rakija s'étale de novembre à mars. L'ingrédient principal est la komina, le moût de raisin issu de la production du vin. Comme dans le coin Kosta est connu pour faire de la rakija, tous ses amis et sa famille réservent leur komina pour lui. Il la place ensuite dans les kazias et referme les fûts de cuivre en les scellant avec de la pâte qu'il roule en boudin. Reste à allumer le feu sous chaque récipient et la première étape de la distillation peut commencer.

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Là où Kosta distille sa rakija.On ajoute de l'eau parce qu'il faut que ce soit liquide

« », explique Kosta. « Et pour faire une rakija vraiment exceptionnelle, on met aussi du miel. » En plus du moût de raisin, Kosta ajoute d'autres ingrédients : des prunes, des kiwis et d'autres fruits. C'est ce qui donne un goût si particulier à sa liqueur.

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Avec le feu qui chauffe et fait bouillir le mélange à l'intérieur des kazias, de la vapeur s'échappe du haut des fourneaux par un petit conduit. Ce conduit est relié à un récipient en cuivre. C'est cette vapeur qui, une fois condensée, devient la rakija qui coule dans les bassines en plastique. Il faut environ cinq heures pour récolter entre 20 et 25 litres d'alcool à 50°.

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Le lit permet ç Kosta de rester près du feu pendant que sa rakija mitonne.C'est très festif. Les gens du voisinage me rapportent leur moût de raisin, les amis et la famille viennent aussi. On fait un barbecue pendant cinq heures…

« »

Mais Alex, un ami de Kosta, l'interrompt.

« On ne se tourne pas les pouces pendant cinq heures ! » s'écrit-il. « On regarde la rakija sortir du robinet. C'est comme des larmes ! On attend, suspendu à chaque goutte, on tend nos verres sous le robinet pour la recueillir. »

Kosta rigole, secoue la tête puis soupire. C'est vrai, c'est Alex qui a raison.

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Le jardin derrière la maison de Kosta.La rakija est encore meilleure le lendemain

Quand vient le moment de finalement déguster la recette de Kosta, je me sacrifie par amour pour la liqueur et je mets de côté cette migraine qui me torpille la tête depuis mon overdose de rakija de la veille. Alex est même convaincu que ça va me faire du bien, que c'est normal. « , » m'assure-t-il. « Mais il faut en boire un verre dès le réveil. »

Je demande à Kosta ce qui rend sa rakija unique mais il ne répond qu'avec un sourire malicieux. « Ma recette n'est pas vraiment secrète, mais j'aime bien le fait qu'elle ne soit qu'à moi seul. »

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À l'intérieur de la bâtisse où naît la rakija.mastika

Le mélange que Kosta produit est une , une déclinaison venue de l'Est de la Macédoine et qui est réputée pour sa saveur anisée. Une graine gardée secrète est mélangée avec de la sève de pin, du maïs, du charbon (oui, du charbon), de l'oignon, du miel, de l'ail et un autre ingrédient que Kosta doit garder secret. Alors que Kosta me détaille sa recette, sa mère ouvre la fenêtre et lui hurle en macédonien d'arrêter de révéler ce qui fait sa fortune.

La rakija fait complètement partie de la culture macédonienne. C'est une façon de créer du lien qui est enracinée dans la tradition. Elle brise les barrières générationnelles car c'est un facteur commun partagé par les Macédoniens de tous âges. « Quand tu bois une rakija, tu peux dire exactement quelle famille l'a produite, » explique Alex. « Pour nous, la rakija, c'est absolument tout. »