C'est dans ce contexte – et dans ce nouveau décor, rebaptisé Les Bains Paris – que j'ai pris rendez-vous avec Benoit Ferreux, un barman des Bains de la « grande époque », celle qui court de 1978 à 1981. Il est 17 heures. L'hôtel est calme. De la musique électronique sort des enceintes à moyen volume. Julien Deba, le chef barman, prépare des cocktails avec précision et passion derrière son bar. Je lui commande un whisky japonais. Benoit déboule et on commence à discuter.Moi, comme les autres barmen, on n'y connaissait rien. On ne savait même pas qu'il fallait des doseurs pour servir l'alcool.
À la base, ils voulaient juste acheter les deux caryatides en bronze de l'entrée et au final, ils ont acheté tout l'ensemble. L'enseigne est vite devenu l'endroit le plus branché de Paris, mondialement connu. Tous les weekends, toutes les stars descendaient aux Bains. Le même soir, on pouvait voir débouler Mick Jagger, Roman Polanski, Andy Warhol ou David Bowie.Coluche était comme chez lui ici ; en fin de service, on mangeait ensemble les immenses terrines de foie gras que je préparais. Et quand la boîte fermait, on allait tous chez lui pour finir la soirée.
En 1979, l'endroit a carrément été privatisé pour que Andy Warhol le découvre ; je lui ai servis quelques coups à cette occasion. Je me souviens aussi du réveillon 1980, quand Karl Lagerfeld a passé sa soirée à l'entrée, à dessiner. Il avait fini par distribuer ses sketches à tout le monde.LIRE AUSSI : Au comptoir avec Yves, 35 ans de bouteille aux Deux Magots
Il y avait aussi quelques clients squares (Comprendre : des clients « carrés », en opposition aux « excentriques », N.D.L.R).Mais même eux finissaient beurrés. Je me souviens particulièrement d'un type qui venait souvent, très classe, et qui était tout le temps bourré au petit matin. Ça m'a fait un choc quand j'ai appris que c'était un pilote de 747 et qu'il allait fréquemment au travail après les Bains Douches…À l'époque à Paris, c'était les Bains Douches ou le Palace, c'est ça ?C'était les deux endroits branchés de la capitale, oui. Les gens faisaient généralement la tournée de ces deux club le weekend. Le Palace était aussi une boîte extraordinaire, mais dans un autre style. Fabrice Emaer, le patron du Palace, était agacé de voir ces petits jeunes qui réussissaient autant dans le milieu de la nuit – alors que lui y évoluait depuis longtemps.Philippe Krootchey était le disc jockey – Il mélangeait des titres de New Wave avec Wilson Pickett et Oum Kalthoum. Ce qui ne s'était encore jamais fait avant dans une boîte de nuit.
Mais vous savez, quand vous êtes derrière un bar vous voyez les mecs se beurrer petit à petit et vous les voyez abreuver les femmes pour qu'elles rentrent avec eux. C'est un peu écœurant comme spectacle. Cette comédie de la nuit est un peu lourde parfois et à vrai dire, je n'y accrochais pas vraiment.Les gens s'épanchent facilement après quelques verres dans le nez. Vous jouiez ce rôle de barman qui écoute les problèmes des stars ? C'est vrai qu'il y a un certain rapport privilégié entre le barman et le client. Les anonymes comme les stars venaient se confesser, c'était amusant… J'ai eu les confessions de Jean-François Bizot et du guitariste des Pretenders, James Honeyman Scott, avec qui j'ai parlé des heures, par exemple.Il y a un rapport privilégié entre le barman et le client. Les anonymes comme les stars venaient se confesser, c'était amusant… J'ai eu les confessions de Jean-François Bizot et du guitariste des Pretenders.
Il est vrai qu'une fois à l'intérieur, la jeunesse qui venait ici préférait se droguer plutôt que de boire. Mais ils prenaient de la drogue pour faire la fête. Ils venaient essentiellement ici pour danser et être ensemble.