Sauce blanche et billets verts : des liens obscurs entre fast-food et grand banditisme
Illustration : MUNCHIES France

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Sauce blanche et billets verts : des liens obscurs entre fast-food et grand banditisme

Cible privilégiée de braquages, lieux de réunion de la pègre et théâtres de règlements de comptes : les fast-foods sont le reflet d’une nouvelle génération de voyous.

« Chef ! Mets-moi un menu AK-47, s'te-plaît ». Il y a encore deux ans, on pouvait commander un menu kebab-canette-frites en prononçant cette phrase dans un fast-food de Béziers. Le restaurateur à l'initiative douteuse, par ailleurs passionné d'armes et adepte des likes de photos de Daech sur Facebook, proposait des formules sobrement intitulées « K-Lach », « Famas » ou « M-16 » à la carte. Il a écopé d'un an de prison ferme.

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Il n'y a pas qu'au menu que les armes ont fait irruption dans les fast-foods. Ceux-ci sont régulièrement victimes de braquages alors même que, la plupart du temps, le fruit du larcin ne s'élève qu'à plusieurs centaines d'euros et un Big mac. Le fast-food fait partie de ces petits commerces au pied de la cité, cibles de choix pour le néobraqueur souhaitant se faire les dents sur un filet-o-fish avant de s'attaquer à un plus gros morceau. Au cœur des ghettos, les voyous connaissent souvent ces établissements comme leur poche.

Hors chaînes mainstream, type McDonald's ou KFC, les fast-foods tenus par des particuliers servent parfois à blanchir autre chose que la sauce. « Sur ton relevé de compte, tu as 200 clients, tu donnes les 200 burgers à tes potes et le tour est joué, résume Jérôme Pierrat, spécialiste du grand banditisme. C'est un commerce de consommation courante. Si tu vends des costumes, c'est plus compliqué de faire la manip' : d'abord, tu dois balancer tes rouleaux de tissus… »

À l'instar des bars et boîtes de nuit, les fast-foods ont l'avantage de brasser des liasses d'espèces.

« La restauration rapide, hors grandes chaînes, permet d'avoir 10 clients mais d'en déclarer 30 », abonde Éric Vernier, auteur de Techniques de blanchiment et moyens de lutte (Dunod). « C'est encore plus vrai avec les kebabs : une broche à viande peut autant faire 150 que 300 consommateurs dans la journée. Quand vous rentrez dans un kebab et qu'on vous donne dix feuilles de sopalin, en général, ce n'est pas pour la propreté, mais pour déclarer dix clients ».

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Ces malversations sont des techniques vieilles comme le monde dans le milieu. « Al Capone et Meyer Lansky pratiquaient déjà le gonflement de recettes », sourit Éric Vernier. « Recycler les espèces issues des vols, braquages ou des trafics de stupéfiants est un enjeu majeur pour la voyoucratie », explique Frédéric Ploquin, journaliste et auteur du livre Parrains et caïds (Fayard). À l'instar des bars, boîtes de nuit et autres cercles de jeux, les fast-foods ont l'avantage de brasser des liasses d'espèces. Ils sont, en outre, dispensés d'autorisation de vente d'alcool, et subissent ainsi moins de contrôles.

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Le fast-food du coin sait surtout se faire discret. Il se fond dans le paysage, n'attire pas l'attention. Et sert parfois lieu de réunion pour délinquants aguerris. « Dans un petit snack au fin fond d'une ruelle de Stains, on sait exactement qui sont les clients », ajoute Frédéric Ploquin. Qui dit lieux de réunion du milieu dit forcément règlements de compte. Pour quelques parrains locaux, les parkings des fast-foods ont fait office de cimetière, comme au Burger King de Plaisir (Yvelines), en mai dernier, au KFC du quartier de Plombières, à Marseille, il y a un an, ou encore à la sortie d'un McDonald's près de Nantes, en 2013, où deux frères bien connus des services sont tombés dans un guet-apens.

Les voyous à l'ancienne étaient plutôt soupe à l'oignon et coq au vin

Récemment, le mot « fast-food » a même été cité dans des affaires liées au terrorisme. Dans l'esprit des candidats au djihad, le maigre butin du braquage d'un fast-food pourrait servir à financer l'achat d'armes. Voire un départ en Syrie, comme l'envisageait une équipe de Coignières (Yvelines) en braquant un Quick il y a un an. Au cours du récent procès de la filière Cannes-Torcy, on apprenait que la bande d'apprentis djihadistes avait prévu de piller (avant de faire exploser) un McDonald's de région parisienne en raison de son « soutien à Israël ». Avant de renoncer, l'un des membres du commando ne s'étant pas réveillé…

Si les fast-foods reviennent aussi souvent dans les procès-verbaux, c'est parce qu'ils sont au cœur des pratiques d'une nouvelle génération. En quelques décennies, les habitudes du milieu ont profondément changé. Jusque dans les assiettes. « Les voyous à l'ancienne étaient plutôt soupe à l'oignon et coq au vin, se souvient Jérôme Pierrat. Comme dans les Tontons Flingueurs, ils aimaient se faire de bons vins, de bons restaus. Une bonne "gamelle", quoi. » Tandis que l'ancienne génération faisait bonne chère, la nouvelle semble lui privilégier les plaisirs de la chair. « Plus qu'une bonne table, les voyous d'aujourd'hui préfèrent dépenser leur argent dans les boîtes de nuit et les filles », note Frédéric Ploquin.

La célèbre « Dream Team », une équipe de braqueurs de fourgons blindés des années quatre-vingt-dix, avait coutume de se réunir dans les restaurants étoilés du guide Michelin. Mais l'art de la ripaille a fait son temps dans le grand banditisme. Au grand dam de Jérôme Pierrat : « L'aspect épicurien qui faisait la saveur du milieu a totalement disparu… Il a été remplacé par la génération sweat-à-capuche-et-McDo ».