Absinthe Cultivateur
© Aline Roy

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Avec le paysan qui faisait pousser sa propre absinthe

Premier producteur de fée verte artisanale et bio de l'Hexagone, François Aymonier cultive et distille lui-même la plante.

Les Fourgs. Le plus haut village du Doubs est perché à 1 100 mètres d'altitude. Il est entouré d’un paysage de moyenne montagne qui rappelle que la Suisse n’est qu’à quelques kilomètres. Entouré par des forêts de sapin, le village de 1 500 habitants est surtout connu pour sa station où tous les enfants de la région apprennent le ski.

Dès le mois de novembre, la neige se met à tomber aux Fourgs. L'automne est déjà bien installé quand on se rend chez François Aymonier, maraîcher, qui doit recouvrir une partie de son champ pour protéger sa production. Le matin même, le mercure tombait en dessous de la barre de zéro degré. Raison de plus pour fabriquer de l'alcool qui oscille lui entre 55 et 72.

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Le gérant de Sémilla – qui signifie « la graine » en espagnol, clin d’œil aux origines costaricaines de sa femme – est paysan-distillateur. C’est aussi un pionnier. Il est le premier à avoir lancé en France une absinthe artisanale. Il ne distille que la plante issue de sa production, 1,7 hectare de terres familiales certifiées en agriculture bio.

« Il y a des Aymonier aux Fourgs depuis qu'il y a des registres dans le bourg. Pas de quoi se vanter », plaisante François, planté au milieu de ce qui n’était encore qu’un champ il y a quelques années. « Mes parents étaient déjà paysans. Ils avaient des vaches pour faire du lait à comté. Mais comme je les ai trop vus faire d'astreintes, j'ai préféré me former au maraîchage ».

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Depuis huit ans, il y fait pousser ses herbes aromatiques, des légumes issus de variétés anciennes et des fleurs aux vertus médicinales. À côté de ses carottes multicolores, céleri et camomille, se dresse une plante verte et vivace. La grande absinthe, reconnaissable à ses petites feuilles vert clair peut atteindre jusqu'à 1 m 60 de hauteur.

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« Si vous passez vos mains, vous reconnaîtrez l'odeur caractéristique de la plante », précise le producteur. « Et si vous léchez vos doigts, vous découvrirez que l'absinthe a un goût très amer ».

Avant de pouvoir la récolter pour en faire de la fée verte, deux années d'attente sont nécessaires. François Aymonier vient de semer de nouveaux plants pour doubler sa production d'ici l'année prochaine. Cet été, la récolte aura duré deux jours au mois de juillet. Pour choisir le moment propice à la cueillette, il s'y prend juste avant que les fleurs jaunes ne bourgeonnent, le tout à la main, équipé d'un simple sécateur.

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« Certains attendent la floraison de l'absinthe. On préfère le faire juste avant. On a remarqué qu'une fois la plante fleurie, elle donne toute son énergie aux fleurs et on perd en qualités aromatiques », souligne-t-il.

Le choix de devenir cultivateur-distillateur tient de l'évidence. « On est dans le bassin historique de l'absinthe. Tout le monde en a bu. Tout le monde a ses recettes. On produit déjà toutes les plantes nécessaires à sa confection : la coriandre, l'hysope, la mélisse, la petite absinthe et l'aneth. On a aussi le savoir-faire puisqu’on utilise l'alambic municipal pour distiller la gentiane. On attendait juste que la législation évolue pour se remettre à celle de l'absinthe », précise-t-il.

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Depuis 2001, il est à nouveau possible d'élaborer et de commercialiser l'absinthe en France. Mais pour obtenir le statut de distillateur, il faut s'armer de patience. L'administration traîne des pieds, craignant la multiplication des distilleries d'absinthe. Le statut de bouilleur de cru, qui permet de produire des eaux-de-vie sans payer de taxes, a (presque) disparu. Désormais, par litre d'alcool pur produit, la Sémilla paie 23 € de taxe, ce qui explique aussi le prix relativement élevé de l'absinthe.

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« Les grosses maisons se passaient le statut de père en fils donc ils n'avaient pas à faire de démarches. Lorsque j'ai fait la demande, ils n'avaient jamais connu ce cas de figure. Ils m'ont bien fait comprendre qu'ils n'étaient pas trop pour », précise le maraîcher de 39 ans. « Ils craignaient que cela n'ouvre une brèche alors que les douanes étaient déjà en sous-effectif et que cette activité demande beaucoup d'encadrement. »

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Depuis que François Aymonier a finalement obtenu son statut en 2014, trois autres artisans-distillateurs ont suivi dans le Jura et dans le bassin de Pontarlier.

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Pour l'année 2018, 1 500 à 2 000 litres d'absinthe devraient couler dans la distillerie qu'il a improvisée au fond de sa grange. Au lancement de sa production, il y faisait aussi sécher ses plants. Depuis le printemps, un grand bâtiment tout en bois attenant à son terrain a été pensé pour cette étape qui suit la récolte.

À l'intérieur, on trouve une autre partie de sa production de légumes et d'absinthe qui grandit sous un toit vitré, pour renforcer l'effet de serre. En gravissant les marches de l'escalier qui mènent au grenier, l'air se fait chaud et sec. Les conditions idéales sont rassemblées pour permettre à l'absinthe de sécher à l'ombre et grâce à une ventilation naturelle.

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« Une fois les plantes ramassées, on les taille pour en faire des bouquets qu’on fait sécher la tête en bas sur des cordes à linge tendues. Cette année, les plants étaient secs en trois semaines », souligne le producteur en plongeant sa main dans un sac en papier kraft où est stockée l'absinthe. Une fois séchées, toutes les tiges qui risqueraient d'altérer le goût sont enlevées manuellement pour ne garder que les feuilles. Ensuite, direction la distillerie.

Dans le petit local aménagé au fond de sa grange, où aucune source de lumière naturelle ne transperce, trône un alambic de 150 litres. Déniché en Espagne, il permet à François Aymonier de faire sa propre distillation. Toutes les semaines, dès qu'il a besoin de refaire ses stocks, il allume le gaz pour chauffer la préparation – dès 6 heures du matin.

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Il y mélange les ingrédients qui constituent la recette de base de l'absinthe : 50 litres d'alcool de blé à 96 °C, l'absinthe, les graines d'anis vert et le fenouil, broyées au moment d'être distillées.

En choisissant de produire certains éléments, François Aymonier peut contrôler leur qualité. Ce choix lui permet aussi d'être le moins dépendant possible de fournisseurs. À cause de la rudesse du climat, il reste toutefois obligé d'importer l'anis vert et le fenouil. L'alcool de blé bio vient quant à lui d'Italie.

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La distillation lui demande surtout patience et organisation. Pour fabriquer 60 litres d'absinthe à 75 °C, une journée entière est nécessaire. « J'allume le gaz sous le mélange, il faut compter 3 heures pour que le compteur indique les 58 °C, la température d’ébullition du méthanol. Les premières vapeurs alcooliques arrivent et le liquide commence à sortir », indique François Aymonier.

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Appelé « tête de distillation », ce distillat est mis de côté et détruit en présence des douanes. « C'est comme un alcool à brûler. On ne l’utilise pas parce qu’elle peut potentiellement contenir du méthanol, un neurotoxique qui peut rendre aveugle. Mais elle n’a rien de spécifique à l'absinthe. On la trouve dans tout type de distillation et elle est toujours supprimée », ajoute Aymonier.

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C'est lorsque le cadran affiche 78 °C au compteur que les choses sérieuses commencent. Cette température correspond à l'ébullition de l'éthanol, l'alcool consommable. L'alcool passe dans la seconde cuve qui permet au liquide de refroidir et de sortir à une température de 10 °C. Le filet d'absinthe qui s'écoule d'un petit tuyau jusque dans le seau revêt une couleur translucide.

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Toutes les heures et demie, l'alarme du distillateur retentit. « Je viens pour vider le seau de 10 litres de liquide dans le tonneau. Plus le temps passe, plus le filet s’amoindrit. À la fin de la journée, le tonneau est plein d'alcool à 75° », explique-t-il. La fin du processus est un moment clé que seul François Aymonier peut déterminer ; il s'agit d'arrêter la distillation avant que les arômes ne deviennent indésirables.

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Grâce à ses 2 000 plants d'absinthe, la Sémilla produit six variétés de fée verte, dont quatre sont inspirées de recettes anciennes, reconnaissables à leur équilibre plus chargé en absinthe qu'en anis. Trois absinthes sont à 72°, une à 68° et deux à 55°. Deux absinthes spéciales sont d'ores et déjà en préparation, dont une édition de Noël à 65°. En ouvrant la cuve dans laquelle le spiritueux est en train de macérer, l'absinthe a pris une teinte orangée grâce aux fleurs macérées, dont il préfère taire le nom, qui lui donneront un goût citronné.

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À côté, la cuve d'absinthe verte. Pour obtenir sa couleur caractéristique, elle mitonne avec de la mélisse, de l'hysope et de la petite absinthe. « Je l'ai appelée la faucille, car l'abus de faucille peut rendre un peu marteau », plaisante le producteur avec son accent du cru.

L'heure est ensuite à la dégustation. De la fontaine goutte l'eau de source dans l'alcool, qui peut être sucré ou non, jusqu'à donner une teinte trouble à l'absinthe. En bouche, les saveurs sont rondes, moins anisées que d'autres absinthes de la région.

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« Je la vends surtout dans la région mais aussi aux États-Unis et au Japon. Il y a plus de bars à absinthe à Tokyo qu'à Paris. C'est sans doute lié à cet aspect cérémonial de la dégustation qui colle bien à leurs traditions. En France, il y a encore une propagande contre l'absinthe, une bonne partie de la population ignore que ce n'est plus interdit », déplore Aymonier.

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L'absinthe repousse toujours autant qu'elle fascine, mais le producteur a bon espoir que sa fée verte dépasse bientôt les frontières de la région – après avoir dépassé celle du pays.

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