Une femme parmi les viandards : avec la meilleure chef asado d'Argentine

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Une femme parmi les viandards : avec la meilleure chef asado d'Argentine

En Argentine, le barbecue est avant tout un job de mecs – la gent féminine étant généralement cantonnée à la salade et la vaisselle. Mais dans un restaurant de Mendoza, Virginia Lázaroles est en train de renverser les codes de la grille.

En Argentine, le barbecue est un art dont tout le monde ne peut pas se revendiquer – c'est avant tout le créneau et le boulot des mecs. Alors quand une jeune femme blonde s'est fait embaucher comme chef dans l'un des domaines viticoles les plus connus du pays, forcément, ça n'est pas passé inaperçu.

En Argentine, l'asado désigne un barbecue gargantuesque à base de bœuf et dans lequel on fait griller l'intégralité des morceaux de la vache (y compris les tripes, le ris, la cervelle, la bavette, le filet et bien sûr, les côtes). Là-bas, l'asado est une vraie institution, comprendre : il fait partie intégrante du transit des Argentins.

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Au XVIIIe siècle, les gauchos (des genres de cow-boys argentins, pionniers du pays) avaient pour habitude de découper et manger les bovins qu'ils croisaient en train de brouter dans les grandes étendues vierges de la pampa. Ils sont aujourd'hui imités par des millions de gens chaque week-end. Et, sans surprise, c'est une industrie largement dominée par les hommes. Qu'il s'agisse de choisir le bois ou le charbon, de stocker les braises ou de retourner les énormes côtes de bœuf, tenir une parrilla est un job de mec. La gent féminine a le droit de s'occuper de la laitue et des tomates, de mettre la table, et, ah oui, de faire la vaisselle.

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Un barbecue de bœuf pendant un asado traditionnel argentin. Toutes les photos sont de l'auteur.

Alors, comment une humble femme de ménage avec aucune expérience dans le barbecue a-t-elle pu obtenir un poste de chef dans l'un des plus gros domaines viticoles d'Argentine ?

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Ce n'est pas comme si, pour Virginia Lázaroles, les planètes avaient toujours été alignées. C'est une femme plutôt timide, qui vit encore avec ses parents à Perdriel, dans cette région de Mendoza connue pour être celle qui produit la majorité du vin du pays. Virginia Lázaro a passé les 11 dernières années à joindre les deux bouts en bossant comme femme de ménage.

Mais quand le directeur du tourisme du domaine Nieto Senetiner Winery, Marcelo Molina, a cherché à moderniser leur restaurant il y a quatre ans, il a donné à Virginia Lázaro une opportunité qui a changé sa vie : assister la parrilla quotidienne.

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Virginia Lázaro en train de préparer l'asado au domaine viticole Nieto Senetiner à Mendoza.

« J'ai commencé à travailler à la bodega en 2001 alors que j'étais femme de ménage à la Villa Blanca, la maison de campagne du propriétaire », m'explique Virginia Lázaro. « Et puis Marcelo a suggéré que j'aide le jardinier avec l'asado, qu'il cuisinait quand je faisais mon service. Je n'en avais jamais fait avant – même si je regardais mon grand-père préparer de la charcuterie maison quand j'étais petite – donc j'ai beaucoup observé ce que faisait le jardinier. »

Et sa maîtrise du barbecue s'est développée à vitesse grand V.

« La parrilla, c'est comme un jeu : il faut s'amuser avec elle. J'ai appris tout ce que je sais en bossant dans ce restaurant. C'était vraiment important de réussir à faire le deuil de ce temps où j'étais femme de ménage. Ça a été un grand pas en avant mais toute cette expérience fait que j'ai beaucoup appris sur moi-même. »

Virginia Lázaro est aujourd'hui une asadora – le nom rare que l'on donne aux chefs barbecue de sexe féminin – au service du domaine depuis trois ans. En plus de ça, Patricia Ramos gère la viande au restaurant du Four Seasons, le Nuestro Secreto steakhouse, de Buenos Aires.

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Le bœuf préparé à la commande par Virginia Lázaro.

Quoi qu'il en soit, l'attention des gens qui viennent diner chez Nieto Senetiner est souvent accaparée par des questions sur cette jeune femme à la queue-de-cheval blonde qui découpe d'énormes morceaux de viande et remue les braises.

« En général les gens trouvent que c'est bizarre pour une femme de travailler dans une parrilla, et encore plus si elle prépare un super asado », dit Virginia Lázaro. « Mais ils sont toujours intéressés. Bien sûr, ils commencent par dire que c'est bizarre, mais ils demandent ensuite comment j'y suis arrivée. Malheureusement je ne connais aucune autre parrillera ici à Mendoza. »

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Et pour être honnête, quand je suis venu la voir au domaine, un couple âgé était déjà en train de tourner autour de sa table de préparation et lui posait tout un tas de questions. Mais Virginia Lázaro y répondait sans sourciller, sans cesser de voltiger autour du double grill et de satisfaire les caprices de ses 80 clients quotidiens.

Regarder l'asadora en action est une expérience assez zen qui apporte beaucoup de calme – quelque chose que l'on ressent rarement dans un environnement assez macho. Les chorizos, boudins, ribs et bavettes sont cuits à la demande – bleus, saignants, ou à point.

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Mais la technique de Virginia n'a pas toujours été aussi fluide et élégante.

« Mon premier asado était un peu un désastre j'ai tout brûlé ! » se rappelle-t-elle. « Les ribs étaient noirs. Mais les clients ont quand même apprécié. Je n'y connaissais pas grand-chose à l'époque, mais il s'est trouvé que j'avais utilisé trop de braises. Cela prend du temps d'apprendre à faire les choses correctement et le secret d'un bon asado est de le cuire très doucement et d'être patient. »

Une touche féminine que Virginia Lázaro apporte au grill est d'ajouter un ananas entier dans les braises : il y cuit doucement, avant d'être pelé, coupé en morceaux et servi avec son porc.

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« Agridulce », dit-on : en mode sucré salé. Mais elle va beaucoup plus loin que le combo classique du jambon fumé et de l'ananas, et ce n'est jamais décevant.

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Grâce à sa promotion, la vie de Virginia Lázaro a pris un tour complètement nouveau, puisqu'elle a pu s'acheter une nouvelle voiture, ainsi qu'une nouvelle maison.

« J'aime chaque partie de mon boulot : la satisfaction d'aimer ce que je fais, de maîtriser la technique, m'aide à grandir, et du coup les clients s'en vont contents. C'est ça, d'être à la parrilla. Je n'aurais jamais imaginé une seconde que je ferais ça un jour. La vérité, c'est que j'adore ça et que je m'y sens bien. »

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Lázaro se tient fièrement devant son grill.

Il ne s'agit pas seulement de sa propre satisfaction personnelle et professionnelle. Le fait qu'elle ait pu avoir accès à ce poste signifie aussi qu'elle trace la route pour une nouvelle génération de femmes chefs spécialisées dans les grillades.

« Les filles apprennent petit à petit, même si une de celles que je dirige est très anxieuse et met un peu la charrue avant les bœufs », dit-elle. « Bien sûr, je lui apprends que la parrilla demande du temps et de la patience. Il arrive que l'on me remplace quand je suis en congés mais ça reste entre nous, je préfère faire les choses toute seule ; je n'aime pas partager ma parrilla ! »

Et que dirait son grand-père s'il la voyait féminiser ainsi le monde de la parrilla ?

« Ah, il adorerait. Il serait si fier de moi. »