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Quand le Fernet-Branca servait de « remède » contre le choléra

La célèbre liqueur italienne a parfaitement joué la carte « propriété médicinale » pour imposer son inimitable goût d'herbe fermentée.
Foto via Flickr user jesusdehesa

Mon premier contact avec le Fernet-Branca a eu lieu chez St. John, il y a quelques années. Un petit verre contenant un liquide visqueux d’un brun profond était posé face à moi sur la table. Étrange, herbacé, d’une amertume intense, sexy ; il était superbement médiéval. Le breuvage dégageait un arôme saumâtre et médicinal. J'étais devant quelque chose d'assez chelou.

Le goût ? Violemment et magnifiquement amer. Une explosion synesthésique de « marron » capable de se frayer un chemin aux confins de vos cavités nasales et de se diffuser jusqu'aux extrémités les plus sombres de votre crâne - dans un savant mélange de palpitations et d’esculence.

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Une note de sang ou de cuivre peut-être ? Non, c'est quelque chose de plus fort. De beaucoup plus fort. On parle presque d’une amertume biliaire là. D'un truc venu du foie ou des reins. De la viande de différents organes. Il y a aussi une saveur herbacée, de l’intensité d’une bombe, provoquée par la combinaison d’extraits de plantes exotiques inconnues. Bref, un goût étrange qui m'a immédiatement conquis. Je me souviens très distinctement avoir pensé que ce verre contenait une boisson très sérieuse. Peut-être la plus sérieuse jamais inventée.

Fondée en 1845 à Milan, la distillerie Fernet-Branca fabrique ce puissant élixir depuis plus d'un siècle en suivant une recette tenue secrète. A-t-elle jamais changé ? Bien sûr que non. On parle d'une tradition, digne d’une religion, qui compte nombre de fanatiques et sur laquelle règnent des garants d'une foi sans faille.

Fergus Henderson, le chef de St. John, est un passionné de Fernet. Il en boit le matin avant son pastis et a probablement aidé à développer l'aspect cultuel qui entoure ce breuvage au cours des dernières années. Encore relativement rare au Royaume-Uni, le Fernet a toujours eu sa place sur les cartes des deux St. John (le restaurant et la brasserie) où il côtoie les vieux Calvados. Et depuis ce premier verre, j’en ai repris aussi souvent que possible – souvent chez St. John. C’est donc avec une certaine joie que j’ai eu le privilège d’échanger quelques e-mails avec le vice-président de Fernet-Branca, Niccolo Branca.

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Le Fernet-Branca est considéré comme un remède efficace contre les douleurs d’estomac et un excellent moyen de faire passer une grosse gueule de bois.

« C’est une recette absolument secrète qui est passée dans la famille de génération en génération, explique-t-il. Elle est restée inchangée au fil des années. Et le Fernet-Branca était considéré comme un produit présentant des avantages thérapeutiques. »

Souvent consommé comme digestif en Italie, le Fernet-Branca est considéré depuis longtemps comme un remède particulièrement efficace contre les douleurs d’estomac. Il est également entouré d’un mythe qui le présente comme un excellent moyen de faire passer une grosse gueule de bois - Henderson en a même fait une recette.

Il peut aussi servir d’antalgique (rien d’étonnant si l’on tient compte de ses 45 degrés d’alcool). Si je peux témoigner personnellement des effets « thérapeutiques » de la boisson, son côté médicinal, à proprement parler, est réputé – au moins dans la société milanaise du XVIII e siècle – bien supérieur à celui d’un simple remontant.

« Au XVIII e siècle, le Fernet-Branca était utilisé pour soigner le choléra, raconte Branca. « Lors des premières apparitions de la maladie à Milan, le fondateur de notre société, Bernardino Branca, fournissait des quantités considérables de la liqueur à l’hôpital de la ville, Fatebenefratelli, à des fins médicales. Elle s’est révélée d’une efficacité remarquable lors des tests effectués sur les patients. Toute la ville en parlait, les fenêtres des bars et les devantures des magasins étaient couvertes de publicités. C'est à partir de là que le Fernet-Branca a commencé à être apprécié comme digestif, pour ses effets tonifiants contre la fièvre et les problèmes nerveux, et pour stimuler l’appétit. »

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Est-ce que les effets thérapeutiques du Fernet-Branca contre le choléra seraient toujours reconnus par la science, aujourd'hui plus rigoureuse qu'à l'époque ? Je l’ignore même si je suis persuadé que peu de maladies survivraient à des prises répétées de Fernet. Le breuvage est rapidement devenu un classique des boissons milanaises, très apprécié des riches propriétaires fonciers comme des modestes paysans.

Si le Fernet-Branca est très vite passé de médicament à boisson que l’on consomme pour le plaisir, son fondateur n’en demeurait pas moins un herboriste reconnu. L’histoire dit même que Bernardino Branca aurait continué de mener ses expériences.

« Il était ce que l’on appelait un ‘apothicaire’ – un pharmacien d'autrefois. Il avait un laboratoire à Pallanza, sur le lac Majeur, et menait des recherches au fil de ses expériences. D’autres villes utilisaient également le Fernet-Branca pour ses propriétés curatives. »

Vendeur génial ou grand sage de la médecine ? À vous de voir. Si on laisse de côté les propriétés thérapeutiques de cet étrange spiritueux, le mélange unique d’herbes qui le composent le rend absolument inimitable. Et si je n’imaginais pas sérieusement que le père Branca allait sortir un très vieux parchemin de son coffre pour me faire lire les ingrédients et les mesures exactes, je me devais quand même de lui demander ce qu’il mettait dans cette satanée liqueur.

À ma grande surprise, il a répondu de manière très aimable.

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« Les herbes utilisées pour fabriquer le Fernet-Branca viennent des quatre continents : de l’aloe d’Afrique du Sud, de la rhubarbe de Chine, de la gentiane de France, du galanga d’Inde ou du Sri Lanka et de la camomille qui vient d’Europe et d’Argentine. Mais cette liste n’est pas exhaustive. Les parfums et la couleur brune typique sont le produit miracle d’extraits de fleurs, de racines, de plantes et d’herbes, essentiellement par infusion. »

Bernardino Branca n’a jamais révélé les circonstances exactes qui entourent la genèse de sa recette. Une aura de mystère très plaisante entoure encore aujourd’hui le processus. La formule est gardée sous clé dans un lieu sécurisé et seul le président peut y accéder à tout moment - j'imagine en empruntant une série de couloirs sinueux éclairés par des bougies aux flammes vacillantes.

La société compte aussi des « familles d’experts mélangeurs » qui y travaillent depuis des générations et lèguent à leurs descendants les savoirs qu’ils possèdent.

C’est Branca qui définit les mesures de chaque extrait de plante à utiliser. La société compte aussi des « familles d’experts mélangeurs » qui travaillent pour elle depuis des générations, et lèguent à leurs descendants les savoirs qu’ils possèdent sur tel ou tel ingrédient. J’ai été très étonné d’apprendre que la société Fernet-Branca est également le plus gros consommateur mondial de safran.

« Une fois que les fleurs, les racines, les plantes et les herbes ont été sélectionnées, c’est moi qui définis personnellement les doses. Elles passent ensuite par une étape de transformation, on en extrait les essences dans différentes infusions alcooliques. Le mélange est ensuite vieilli en fût de chêne pendant un an – entreposé dans un lieu sombre et totalement silencieux – afin que les composés aromatiques se mélangent comme il se doit. »

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« Mais en plus de la recette, des dosages et de la composition exacte des ingrédients qui font ce délicieux breuvage, un autre secret demeure : la procédure concernant les épices. Chacune est traitée individuellement. Dans certains secteurs, les ouvriers se suivent également de génération en génération, conservant et maintenant l’expertise et le secret. De temps à autre, je me rends aussi en Argentine pour superviser la pesée de la production et contrôler les propriétés olfactives de la camomille qui est produite là-bas. »

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Là-bas, c'est le deuxième plus gros marché de Fernet-Branca derrière l'Italie – et le seul autre pays producteur. Normal, le cocktail « Fernet con Coca » est un peu la boisson nationale consommée aux quatre coins de l'Argentine en quantités astronomiques.

Aussi rafraîchissant soit-il, ce mélange me turlupine parce que je ne peux m’empêcher d’y voir un gâchis du précieux élixir. Servez-vous un petit verre de Fernet-Branca et vous comprendre.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US en juin 2015.