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Avec les mangeurs de saupe, le poisson qui rend « fada »

À Marseille, on trouve un poisson aux fines rayures jaunes qui a une propension à filer un paquet d'hallucinations.
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Des pêcheurs de saupes tentent de se réchauffer sur le Vieux Port. Reuters / Jean-Paul Pelissier. 

Si vous êtes de passage à Marseille, vous allez sûrement avoir envie de manger du poisson – rapport à l’odeur marine qui vous guide jusqu’au Vieux Port où dorades, loups de mer et mérous vous font de l’œil. Méfiez-vous. Au milieu de ce joli banc de poissons se glisse peut-être un vrai intrus : la saupe.

Ici, on l’appelle le « poisson fada ». Pas pour ses fines rayures jaunes qui courent le long de ses écailles mais parce que sa chair a la réputation de donner des hallucinations. C'est la version maritime des champis hallucinogènes, si vous préférez. La légende dit qu'en mangeant de la saupe, on s'expose potentiellement à passer une soirée… un peu perchée.

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C’est l'expérience faite par ce touriste en vacances sur la Côte d’Azur qui, après s’être enfilé une saupe rôtie au restaurant, a renoncé à prendre le volant. Il affirmait, plus de deux heures après ingéré son repas, qu'il était incommodé par des animaux et des insectes géants qui le distrayaient. Dans un autre restaurant, à Saint-Tropez, un autre consommateur de saupe a cru devenir fou à force de « voir » des gens crier et des oiseaux jacasser.

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Fumage de la saupe de vendange. Photo : Valeilles de Montmirail au restaurant Villa Marie Jeanne.

Des histoires comme ça, Luc de Haro, médecin toxicologue au Centre anti-poison de Marseille en a vu passer quelques-unes. « Hallucinations visuelles et auditives, somnolence, troubles de la vision, les gens voient Batman ou des éléphants roses. Tous les 2-3 ans, nous avons un cas. Et il y en a sûrement d’autres qui ne sont pas recensés puisque le patient souffre souvent d’une légère amnésie après les événements. »

Si l’on en croit certains récits, les Romains en quête de trip collectif organisaient de grands banquets à base de saupe.

Sur des forums, plusieurs pêcheurs racontent avoir remonté des saupes et les avoir mélangées avec d’autres poissons pour en faire la fameuse soupe phocéenne – (bouillabaisse). Cauchemars, douleurs abdominales, paralysie, « électricité dans le cerveau ». Une femme raconte : « J’ai vu l’ange de la mort qui est venu me prendre ». Les effets sont semblables à ceux provoqués par les champignons hallucinogènes plutôt que le LSD précise Luc de Haro. « Il ne s’agit pas d’une perturbation de la perception de la réalité mais plus de la création d’images nouvelles. Et c’est souvent vécu comme une agression ».

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Ou un plaisir, si l’on en croit certains récits qui font état de grands banquets à base de saupe organisés par des Romains en quête de trip collectif. L’histoire de la sarpa salpa, son petit nom latin, a fait le tour du monde atteignant notamment les cercles des adeptes d’expériences psychédéliques. Sur un des forums de Shroomery, on peut lire cette discussion consacrée au « sarpa tripping » et ouverte par un mec qui cherche des avis sur la bête notamment parce que « c’est difficile de trouver des produits chimiques chez moi ». Un internaute lui répond : « Vu que le poisson est légal et facilement trouvable, ça vaut le coup d’ enquêter. En plus ça pourrait être vraiment cool de trouver une drogue légale qui est aussi un repas délicieux »

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La sarpa salpa via Flickr User Biodiversity Heritage Library.

En fait, ce qui rend ce poisson si « fada », c’est ce qu’il mange : des algues. La saupe est un poisson herbivore – le seul de Méditerranée. Un de ses gueuletons préférés c’est la caulerpa taxifolia, une algue qui prolifère sur les côtes marseillaises et qui contient des neurotoxines. La saupe n’en mange qu’à la fin de l’été, quand elle n’a plus trop le choix puisqu’il n’y a rien d’autre à manger. C’est à ce moment-là que la bête a un potentiel hallucinogène. Et que les touristes allemands ou anglais s’intoxiquent après avoir fait leur marché – il faut dire que la saupe est parfois vendue sous le sobriquet inoffensif de « daurade ».

Aujourd’hui, il n’y a plus que trois pays assez fous pour continuer à consommer de la saupe : la France, la Tunisie et Israël. À Marseille, ne vous attendez pas à trouver le poisson à la carte des bistrots du Vieux Port. La plupart des pêcheurs rejettent la saupe à la mer quand elle se prend dans leur filet. Sa réputation est si mauvaise que rares sont les Marseillais à en dire du bien.

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Le secret de la préparation est de l'éviscérer rapidement après sa capture, en évitant ainsi que les algues dont il se nourrit ne fermentent dans son intestin.

Pour la déguster, il faut pousser la porte de cuisiniers aventureux comme Valeilles de Montmirail de la Villa Marie-Jeanne, une table d’hôte qui passe la Méditerranée au feu de bois. « La saupe est un poisson méprisé en France mais ce n’est pas le cas en Tunisie où elle est très appréciée notamment cuisinée en ragoût avec des pois chiches, des pommes de terre, des tomates et des épices ».

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Saupe de vendange fumée aux aiguille de pin puis grillée au feu de bois. Photo : Valeilles de Montmirail au restaurant Villa Marie Jeanne.

Dans sa bastide provençale, l’arrière-petit-fils du fondateur de l’Olympique de Marseille la prépare fumée aux aiguilles de pin ou en filet avec une sauce aux câpres, anchois, coriandre et piment. Et pour ceux qui ne voudraient pas d’effet psychédélique avec leur dîner ? « Le secret de la préparation est de l'éviscérer rapidement après sa capture, en évitant ainsi que les algues dont il se nourrit ne fermentent dans son intestin. »

Du côté de Christian Qui, la saupe est servie en tartare boosté à l’huile d’olive et au jaune d’œuf. « Ça cache le goût de gras un peu puissant, un peu rance selon les saisons. » Le poète du poisson cru taquine le marché aux poissons du Vieux Port comme personne. Et il en repart souvent avec des saupes pour les préparer dans son restaurant Sushi Qui. Une fois préparées, « les gens hallucinent sur le goût » mais le goût seulement. Chez Christian, la saupe est servie en petite quantité, sans coup de main particulier pour éviter les délires psychés.

« Moi, j’ai pu sentir que je flottais un peu parfois, mais pas d’hallucination. En même temps, je n’en sers pas plus d’un demi-filet. » Sauf quand on lui demande. Un été, alors qu’il avait troqué son resto contre un bateau, un groupe d’artistes anglo-saxons a eu vent des effets du « dream fish ». « Ils m’ont demandé de leur préparer des plâtrées de tarte pour se défoncer. Ils étaient persuadés que ça marchait. » À 6 euros le kilo sur le Vieux Port, c’est sûr que la légende de la saupe a encore de beaux jours devant elle.

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