En tournée avec le glacier ambulant qui enflamme les cités
Toutes les photos sont de Naomi Yates.

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En tournée avec le glacier ambulant qui enflamme les cités

Au volant de son camion, Tariq – a.k.a Mr.Tee – écume les quartiers défavorisés, moule des glaces et déplace les foules.

Il est 21 heures. La foule s'est rassemblée devant l'entrée d'un bowling. Deux vans sont garés à côté. Dans la nuit moite, au beau milieu d'une zone industrielle de Shrewsbury, on pourrait croire que les gens sont venus assister à un combat à mains nues. Mais en y regardant de plus près, on comprend que ce sont les deux camions qui attirent tout ce petit monde. Et qu'ils vendent des glaces.

Quelques heures plus tôt, le « Roi des Desserts », Mr. Tee avait annoncé sur Facebook à ses 60 000 fans qu'il allait débarquer sur ce parking. Le message était clair : « HARLESCOTT GRANGE DEVANT LE BOWLING 18 HEURES ! ». Ça fait donc trois heures que des gens débarquent en bagnole. Ils se garent et viennent faire la queue pour acheter quelques barquettes de glaces de Mr. Tee. Dans ses parfums, on trouve banoffee pie, fraise Oreo chocolat, caramel mou ou gaufre Lindt – chacun étant agrémenté de toppings (paillettes, bouts de chocolat) et de sauce. Des trucs bien gourmands.

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Une longue queue serpente encore depuis le van. Mr. Tee pique une tête en dehors du camion pour servir les clients et prendre quelques selfies avec les fans les plus acharnés. Certains ont attendu plus d'une heure pour goûter les glaces.

Mais qu'est-ce qu'elles ont de si particulier ? Pourquoi patienter des plombes pour trois boules sans cornet alors qu'il y a un Tesco à cinq minutes ?

Les clients à Shrewsbury devant le van de Mr. Tee. Toutes les photos sont de Naomi Yates.

Une des glaces de Mr. Tee.

« Une heure, c'est rien ! » rigole Mr. Tee tout en servant une barquette de crème glacée bleue goût chewing-gum. « Je peux te montrer des vidéos de personnes qui ont fait la queue au moins deux heures ! »

Un groupe de jeunes s'arrête au niveau du camion. Ils ont un accent des Midlands à couper au couteau et passent juste pour checker Mr. Tee par-dessus le comptoir. « Tu mates le match, hein ? » demande l'un d'eux.

Mr. Tee est d'origine indienne et britannique. Son vrai nom est Tariq mais il emploie ce pseudonyme « plus commode pour les Anglais ». Il a grandi à Wrexham au nord du Pays de Galles. Cela fait quinze ans qu'il bosse dans la restauration. Avant, il vendait des pizzas et des burgers à emporter. Mais il y a deux ans, il a une révélation et décide d'investir dans un ancien camion à glaces.

Il étend son champ d'action en allant sur les parkings des supermarchés, dans les clubs de rugby ou à des événements caritatifs.

Son objectif ? Livrer de la crème glacée dans les quartiers populaires. Il suffit de faire un peu de publicité sur Facebook et de se rendre au pied des bâtiments. L'idée n'est pas bête. Elle fait son chemin et Mr. Tee se constitue rapidement une clientèle. Ensuite, il étend son champ d'action en allant sur les parkings des supermarchés, dans les clubs de rugby et en participant à des événements caritatifs dans les villes des environs.

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« J'ai plus tourné dans le pays que le Premier Ministre ! » se marre-t-il.

Mr. Tee sert plus de 75 variétés de barquettes de glace avec différentes combinaisons de toppings – on peut par exemple choisir red velvet cake, gaufre au caramel, banoffee pie ou encore « crunchie blast ». Pour se rendre bien compte de la popularité de ses créations, il faut se rendre sur sa page Facebook « Mr. Tee King Of Desserts – Original and BEST ». Sur chaque photo qu'il poste, une tonne de likes et de commentaires positifs des clients qui le félicitent et le supplient de revenir par chez eux. On trouve pas mal de messages du style : « Mister Tee vos glaces sont divines, s'il vous plaît revenez à Telford très vite xx. »

Deux des barquettes au chocolat de Mr. Tee. Et ouais, ce sont bien des morceaux de Kinder Bueno.

« C'est le côté débrouillard des Indiens et des immigrés », commente Mr. Tee dont la clientèle est presque exclusivement blanche. « Il y a deux ans, à Pâques, j'ai eu un flash avec les œufs en chocolat. J'ai rempli la moitié d'un œuf avec de la glace et j'ai un peu amélioré la chose avec des vermicelles de sucre, du sorbet, ce que j'avais sous la main. Et j'ai vendu pour l'occasion 3,50 £ l'œuf glacé. Ça a complètement buzzé sur internet. Je me suis dit que je devais tenir quelque chose. Je faisais la glace moi-même et je développais mes propres recettes. Mes glaces ont l'air appétissantes et au goût, elles sont encore meilleures. Maintenant, à Wrexham, je suis comme une célébrité. Je dois être le meilleur glacier de tout le pays. »

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« C'est juste une petite chose, mais il est célèbre maintenant. Vous ne recevez pas beaucoup de gens célèbres dans ces domaines, alors nous allons faire avec M. Tee »

Les images que partage Mr. Tee sur Facebook profitent sans nul doute de la mode du « food porn ». Sur les réseaux sociaux, les feeds sont remplis d'images de cupcakes arc-en-ciel, de vidéos en slow-motion de glaçage et de smoothies ultra colorés. Alors que la plupart de ces desserts « instagrammables » sont conçus par des « influenceurs » américains et vendus dans des pop-ups stores dans des quartiers de bourges, Mr. Tee permet aux classes populaires britanniques de participer un peu à toute cette hype sucrée.

Dans la file, je discute avec Chloe Morgan. Elle vient de commander une triple barquette de chewing-gum avec un sundae caramel. Elle habite juste à côté et est venue en caisse dès qu'elle a vu le post de Mr. Tee sur Facebook.

« Une fois, j'ai fait la queue pendant deux heures », me confie-t-elle. « Je voulais juste voir pourquoi on faisait tout un foin autour de ces glaces. J'en voyais partout sur mon compte Facebook. Donc j'ai testé et je dois dire que c'est délicieux. »

D'autres considèrent que l'engouement autour de la camionnette de Mr. Tee ne s'explique pas que par la créativité de ses glaces.

« C'est juste un prétexte pour faire un truc marrant et se rencontrer », m'explique Matt. Il habite lui aussi dans le coin et accepte de me parler seulement si je l'aide à griller la file. « Qu'est-ce qu'il y a d'autre à faire, dans le coin ? Ok ce n'est pas grand chose mais maintenant, Mr. Tee a sa petite renommée. On n'a pas beaucoup de personnes célèbres qui viennent par ici, alors on s'en contente. »

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La glace "King Roche" avec de vrais morceaux de Ferrero Rocher à l'intérieur.

On pourrait penser que ces glaces ne sont qu'une tendance éphémère, mais le business de Mr. Tee lui rapporte un max. La rumeur dit que certaines semaines, il se fait un bénéfice de 10 000 £ (11 358 euros environ). Quand je lui demande si c'est vrai, un sourire se dessine au coin de ses lèvres. Il me dira ça en off. Et tout ce que je peux écrire, c'est que c'est une somme rondelette.

Le succès de Mr. Tee est d'autant plus surprenant qu'il arrive à une époque où les camions à glace sont plutôt en berne. En Grande-Bretagne, le nombre de ces véhicules est passé de 25 000 dans les années 1970 à 5 000. Parmi eux, seulement 500 camionnettes comme celles de Mr. Tee se déplacent encore de quartiers en quartiers. En 2013, le tabloïd The Sunday People avait lancé la campagne « Cone and Get One » pour justement tenter de dynamiser ce commerce en crise. « Vous, le public britannique, devez soutenir votre camionnette à glaces locale en y achetant un cône dès que possible. »

Alors que la soirée touche à sa fin, la queue commence enfin à rétrécir sur le parking. Dans quelques jours, ce sera le Ramadan. Mr. Tee et sa famille le respecteront. C'est pour cela que c'est l'une des dernières soirées que Mr. Tee va assurer avant le jeûne.

« C'est un peu plus dur, quand on est dans la chaleur et qu'on vend des glaces », reconnaît-il.

Deux hommes s'arrêtent à la vitre du van pour saluer Mr. Tee. Les deux sont tatoués du drapeau britannique et portent les t-shirts de l'équipe de foot de Manchester United. Alors qu'ils repartent, il leur lance « Allez Manchester ! »

On peut dire que l'histoire de Mr. Tee est en quelque sorte un symbole de ce qui se passe dans le pays en 2017. Un Anglais musulman d'origine indienne reprend un commerce traditionnel en perte de vitesse et lui redonne une seconde jeunesse.

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« C'est une histoire typique d'immigré. Un Indien musulman du nord du Pays de Galles qui vend de la glace dans un petit camion », résume-t-il en servant sa dernière portion de glace parfum caramel écossais. « Je vends de la glace, je ne fais pas de la politique. Mais je lis les journaux, je vois que le climat est tendu en ce moment et je me dis que peut-être que les gens ont juste besoin d'un petit rafraîchissement. »