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Comment la cuisine améliore ma condition de prisonnier

Cuisiner dans sa cellule est plus ou moins toléré par l’administration pénitentiaire. Avec une petite plaque à induction de 20 cm de diamètre, on fait absolument tout.

Je suis en train de purger une peine de prison deux ans dans un centre de détention quelque part en France. C'est mon troisième séjour en taule. La première fois, c'était en 2013 et ça avait duré 9 mois : j'étais tombé pour trafic de drogue après un délit de fuite et une course-poursuite effrénée avec des policiers. Peu après ma sortie, je me suis fait contrôler en possession de plusieurs grammes de shit et de weed et j'ai rempilé à nouveau pour sept mois. Et là, j'ai écopé de 24 mois d'emprisonnement parce que je me suis fait balancer par mes propres clients.

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Pour éviter d'avoir à bouffer la gamelle, – la nourriture fade que nous sert l'administration pénitentiaire –, je cuisine moi-même les repas. C'est une manière de rendre mon quotidien et celui de mes codétenus plus agréable. En échange, je ne touche jamais au sol, ni à la vaisselle – les autres détenus s'en chargent pour moi. Quand on se retrouve dans une cellule avec quatre ou cinq autres bonhommes, on fonctionne en équipe et on prépare les repas à tour de rôle. Au début, j'étais le seul à cuisiner mais maintenant, tout le monde participe. Pendant que l'un coupe les oignons, les poivrons, les piments ou les échalotes, l'autre s'occupe de cuire les pâtes ou le riz et le dernier s'occupe toujours du dessert (en préparant la pâte pour les gâteaux ou les tartes, par exemple). La nourriture, c'est hyperimportant, surtout quand on est enfermé. D'ailleurs, comme moi, beaucoup de détenus se nourrissent exclusivement de ce qu'ils cuisinent – une demi-journée passée à cuisiner, c'est une demi-journée où tu penses à autre chose.

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Capture d'écran d'une conversation Snapchat avec l'auteur.

Je ne bouffe jamais la gamelle. Pas que ce soit dégueulasse mais bon voilà, c'est la gamelle quoi : 60 à 70 % des plateaux-repas partent à la poubelle ! Et les portions sont souvent insuffisantes. Par exemple, ce midi pour les régimes normaux, c'était « Escalope de veau viennoise et purée de pommes de terre ». Et pour les régimes végétariens, c'était « Purée de concombre », un truc comme ça. Parfois, c'est juste des mélis-mélos de légumes cuits. Sérieux, ça ne donne pas envie. Dans la gamelle, il y a toujours une entrée, un plat et un dessert (du fromage, un yaourt ou un fruit). Le soir, les matons te filent une portion de beurre et une de confiture pour le petit-déjeuner du lendemain matin.

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EN VIDÉO : Comment cuisiner en prison avec Andy Roy

Le fait de cuisiner dans sa cellule est toléré par l'administration pénitentiaire. Avec une petite plaque à induction de 20 cm de diamètre on fait absolument tout. Ensuite, on a besoin d'une poêle, d'une casserole, d'une passoire et d'un petit couteau (à bout carré pour éviter les incidents…). C'est les mêmes ustensiles que dehors, en fait. Avec tout ça, on arrive à faire des trucs incroyables : des frites, des soupes, du riz sauce crème-champignons, des gratins de pommes de terre, des pizzas, des kébabs des gâteaux et même des tartes. Beaucoup de nationalités différentes sont représentées ici et chacun participe aux tâches avec sa culture, ses habitudes alimentaires… Du coup, on échange pas mal de choses : des recettes, des idées, des tours de main.

Il arrive souvent qu'il n'y ait plus de viande disponible à la Cantine. Ce que l'on fait dans ces cas-là, c'est qu'on trouve un complice à l'extérieur qui va nous parachuter des colis de viande par-dessus le mur du centre de détention.

Grâce au téléphone que je me suis procuré, je me renseigne même sur Internet : je vais sur des sites comme Marmiton pour trouver de nouvelles recettes ou pour m'aider à cuisiner de bons petits plats. À l'extérieur, je ne cuisinais jamais – ce n'est que depuis que je suis ici que je m'y suis mis. Je mangeais les plats de ma mère ou alors je me faisais livrer. Mais en fait, la cuisine, c'est facile : il suffit de bien mélanger les saveurs qui correspondent. Mon plat préféré reste la pizza, mais j'ai appris à manger d'autres choses ici – j'ai appris à découvrir de nouvelles cuisines et je mange beaucoup plus de légumes qu'avant. La plupart des détenus se nourrissent principalement de conserves et de surgelés, mais moi j'aime bien varier, même si ce qui est bien avec les conserves, c'est que ça se garde longtemps et que l'on peut les stocker dans sa cellule pour les jours où on a la flemme.

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Une assiette kébab servie sur un lit de sauce "crème-champignon". source : Snapchat.

Pour se fournir les aliments, on passe commande à la Cantine. La Cantine, c'est l'épicerie officielle de la prison, c'est là que l'on peut acheter des produits pour améliorer l'ordinaire, comme des cigarettes, des produits d'hygiène mais aussi de la nourriture. On doit remplir un « bon de cantine » que l'on remet à un surveillant. Après une semaine d'attente, les produits que l'on a commandés sont livrés en cellule. C'est comme une vraie épicerie en fait : on y trouve des produits frais, de la boisson, etc. Tu te fais envoyer un mandat, tu mets des sous sur ton pécule et c'est bon, tu peux « cantiner ». Comme on ne dispose pas d'argent liquide en prison, c'est souvent les proches à l'extérieur qui alimentent le compte. La Cantine reste assez chère comparé aux grandes surfaces traditionnelles : par exemple, le prix du petit pot de Nutella, c'est 3 euros, les portions de Kiri, 4 euros et une canette de coca 0,50 centimes d'euros.

Quand tu partages une cellule de quelques mètres carrés, la confiance est primordiale. Sinon, un autre détenu a vite fait de te voler les provisions alimentaires lorsque tu as le dos tourné.

Contrairement à la drogue ou aux téléphones portables, il n'y a pas vraiment de trafic de bouffe en prison. Il suffit de ruser, de faire preuve d'imagination. Il arrive souvent qu'il n'y ait plus de viande disponible à la Cantine. Ce que l'on fait dans ces cas-là, c'est qu'on trouve un complice à l'extérieur qui va nous parachuter des colis de viande par-dessus le mur du centre de détention. Dedans, il nous met des steaks hachés, des enveloppes avec de la volaille, de la viande de kebab. Les colis atterrissent dans la cour et il ne nous reste plus qu'à les ramasser. Sinon, il y a aussi l'astuce du courrier. De temps en temps, ma famille ou mes potes m'envoient des lettres dans lesquelles ils insèrent des brins d'herbe, soi-disant pour me « remonter le moral ». En réalité, ce sont des épices et ça passe toujours crème. Le seul truc un peu chiant, c'est quand on a une galère avec le frigo. Quand cela nous arrive en hiver, ça va encore : on peut stocker les produits frais sur le rebord de la fenêtre contre les barreaux.

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Outre le fait que ça m'occupe pas mal, cuisiner me permet aussi de « troquer mon savoir » contre d'autres services et de renforcer les liens avec les détenus. Il y a beaucoup de solidarité entre nous. Partager son repas reste quelque chose de fort. On apprend à se faire confiance aussi. Quand tu partages une cellule de quelques mètres carrés, la confiance est primordiale. Sinon, un autre détenu a vite fait de te voler les provisions alimentaires lorsque tu as le dos tourné. Ma mission, c'est de faire la bouffe, mais je veille quand même à ce que mon pote fasse bien la vaisselle et l'autre le sol, sinon ça peut vite dégénérer.

Est-ce que cela m'a donné envie de me reconvertir dans la cuisine à la sortie ? Hé, je suis dealer à la base, pas cuistot.

Propos rapportés par Anthony De Pasquale.

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