En Angleterre à la découverte de la seule ferme à wasabi d'Europe

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En Angleterre à la découverte de la seule ferme à wasabi d'Europe

Les vraies racines du wasabi se trouvent au Japon mais quelque part sous le ciel bas et lourd du Hampshire, la Wasabi Company cultive et commercialise le condiment dans la plus pure tradition nippone.

La prochaine fois que vous commandez un plateau de sushis, vous ferez peut-être gaffe à la pâte verte que vous trempez dans le soja (la manière officielle) ou que vous étalez machinalement sur vos California maki (la manière officieuse). Car la plupart du temps, ce qui atterrit sur votre thon, saumon ou anguille n'est probablement même pas du wasabi.

Si votre palais s'est plutôt habitué à accueillir le feu de la moutarde et du raifort, la pâte particulièrement âcre que vous mettez dans votre purée de pomme de terre ou sur vos steaks ne contient en général que 3 ou 4 % de wasabi.

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En plus d'aller jusqu'à 340 € le kilo à l'importation, cette ancienne racine japonaise est une des plantes les plus difficiles à produire à grande échelle. Voilà pourquoi c'est si casse-couilles de mettre la main sur du wasabi frais et pourquoi Jon Old, dont la famille cultive du cresson dans le Sud-Est de l'Angleterre depuis 1850, a voulu relever ce défi qui consiste à en cultiver lui-même, ici en Europe.

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La ferme à wasabi de la Wasabi Company dans le Hampshire. Toutes les photos sont de l'auteur. Des bassins en gravier de l'époque victorienne préalablement vidés servent à cultiver le wasabi

Grâce à d'anciens bassins de l'époque victorienne réaffectés en lits d'eau pour les plants de wasabi, la Wasabi Company peut se vanter de faire enfin pousser la plante dans un but commercial pour la première fois en Grande-Bretagne. Le site de plantations le plus important se trouve dans le Dorset, mais je suis allée visiter celui du Hampshire parce que les essais conduits au QG doivent sont gardés encore peu plus secrets que le twist du prochain Star Wars.

Selon Nick Russell, mon guide accessoirement à la tête de la « division wasabi » de la boîte, la compétition sur le marché s'étend jusqu'en Tasmanie. La Wasabi Company doit détenir un savoir-faire incroyable parce que même en essayant de faire cracher le morceau à Nick, je n'ai jamais pu savoir ce qu'ils étaient en train d'expérimenter sur l'espèce millénaire – tous les emails échangés concernant le wasabi étaient même cryptés.

Et à vrai dire, ce n'est pas vraiment une surprise. À la pesée au gramme, le wasabi est considéré comme le légume le plus cher du monde. Il met deux ans avant d'arriver à maturité. À leur place, je ne pense pas que j'aurais accepté ma présence.

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Sans mentir, le Sud-Est de l'Angleterre est, comme la région de Chattanooga dans le Tennessee, un endroit où le climat est similaire à celui du Japon qui a vu naître cette plante. Je me retrouve avec Nick dans un petit champ sans prétention, à quelques minutes en voiture de la gare du village adjacent. Il pleut non-stop et pour la première fois de l'année, il fait vraiment froid. Nick m'explique que c'est une météo parfaite pour les rhizomes de wasabi. Bien évidemment.

« On essaye de reconstituer l'environnement naturel du wasabi avec ses cours d'eau bordés de grands arbres qui protègent les plants du soleil et qui descendent des montagnes japonaises, explique Nick. C'est essentiel pour la plante. Elle n'aime pas la lumière du soleil et l'été anglais étant ce qu'il est, le wasabi est heureux. »

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Sous une toile spécialement conçue pour fournir 80 % d'ombre, nous entrons à l'intérieur d'une serre froide, marchons sur ce qui semble être des fondations en pierre mais qui sont en fait les bassins d'irrigation de cresson reconvertis. Les conditions idéales pour cultiver le wasabi se situent dans une sorte de « juste milieu climatique » : ni trop chaud, ni trop froid, avec un accès à une eau de source qui ne varie pas en température selon les saisons. Heureusement, la région du Hampshire peut compter sur des nappes d'où 500 litres d'une eau naturellement riche en calcium s'écoulent et irriguent les bassins chaque minute. Bon plan pour le wasabi.

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« On a de la chance d'avoir une source d'eau minérale naturelle qui sort directement du sol, dit Nick. Elle est toujours entre 10 et 12 degrés, et comme elle vient de super-profond, la température ne change pas. Les plants n'aiment pas rester dans de l'eau stagnante, ils ont besoin d'une eau qui se renouvelle régulièrement, et comme elle est riche en minéraux, cela ne peut que favoriser la pousse. »

Avec les bassins victoriens déjà construits, une source quotidienne d'eau minérale et la toile qui donne suffisamment d'ombre aux plantes même en été, je demande à Nick si c'est vraiment si dur que ça de cultiver du wasabi.

« Elle est décrite comme une plante difficile à cultiver à l'échelle industrielle, précise-t-il. Il faut deux ans entre la plantation et la récolte. Durant ce laps de temps, il peut se passer plein d'emmerdes : des maladies, des faisans qui arrivent et qui déterrent les plants, la météo… Il y a tellement de trucs qui peuvent venir gâcher la récolte. »

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Racine de wasabi râpée et rassemblée en pâte.C'est exactement pour ça qu'il ne faut pas acheter du wasabi en sachet

Pendant ces deux ans, le wasabi peut grandir et faire jusqu'à 300 grammes – les plus petits sont plus sucrés tandis que les grands développent une rondeur en bouche plus aboutie. Il n'y a pas que le rhizome qui se mange, toute la plante est comestible, à condition de tolérer des petits bouts de racine amers.

Assis sur un banc en bois, Nick retire le rhizome du lit de son bassin en pierre. Il arrache la fragile tige herbeuse pour bien montrer la racine. Il me dit que si l'on tranche simplement un morceau de wasabi, on ne sentira pas la saveur de la plante.

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Pour illustrer ses propos, Nick sort alors une râpe de la taille d'un Post-it. Il travaille la racine en dessinant des cercles et la décompose à un niveau microscopique où les enzymes de la plante produisent une réaction chimique qui donne à la pâte son goût et sa chaleur si spécifique.

La pleine puissance du wasabi ne se fait ressentir qu'après deux ou trois minutes et ne dure que vingt minutes avant de disparaître totalement. Vachement éphémère hein ?

« , continue Nick. Parce que tu ne peux pas reproduire cette réaction chimique. Râper la racine, c'est forcer les enzymes du rhizome à interagir pour créer le goût du wasabi mais aussi une substance qu'on appelle l'isothiocyanate (ITC pour les intimes) qui ralentit l'approvisionnement en sang des cellules cancéreuses et donc leur développement. Grosso modo, on peut dire que le wasabi aide à combattre la croissance du cancer. »

Connu au Japon sous le nom de yama hajikami (texto : gingembre sauvage) la plante semi-aquatique qu'est le wasabi a d'abord été cultivée pour ses vertus médicinales. 1 600 ans avant Jésus Christ, elle était utilisée pour ses propriétés antiseptiques – plutôt pratique quand vous avez un régime riche en poisson cru. C'est le même phénomène que dans les pays plus chauds comme l'Inde, la Malaisie et la Thaïlande où le piment, l'ail et l'oignon servent à démonter les bactéries.

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Nick Russell, le gérant de la ferme, coupe une racine de wasabiIl y a quinze ou vingt ans, personne dans ce pays ne savait ce qu'était le wasabi. Tout le monde est devenu plus téméraire en cuisine. Le wasabi, qui était autrefois réservé aux élites de la société japonaise, s'invite aujourd'hui dans tous les foyers.

Quand je lui demande si le wasabi frais pourrait un jour remplacer la version cheap en tube dans les rayons « Asie » des supermarchés, Nick est assez optimiste : « »

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Bien que j'adore l'idée de fabriquer une pâte d'enzymes et d'ITC à partir d'une racine noueuse, je ne m'imagine pas encore trimballer dans ma poche un petit grattoir pour accommoder mon déjeuner. Mais après avoir goûté un peu de wasabi frais, l'idée de consommer une pâte chimique verte ne me tente plus du tout. Le wasabi frais a un goût clair et fort, presque revitalisant. C'est complètement différent de l'effet déboucheur-de-sinus du raifort ou de la moutarde.

Si les sushis et le poisson cru ont réussi à tirer leur épingle du lot, il est fort probable qu'un jour le wasabi frais, accompagné de sa petite râpe, devienne aussi populaire en occident. De quoi finir de relever le niveau des plats pour le déjeuner.