Comment j'ai fini puante et ivre morte dans une orgie d'oignons en Catalogne

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Comment j'ai fini puante et ivre morte dans une orgie d'oignons en Catalogne

La calçotada est une petite sauterie qui met à l'honneur le calçot, l'oignon vert local. Après sa récolte, on le grille directement au-dessus d'un feu, on l'épluche, on le trempe dans la sauce et on se le fourre dans le gosier, le tout arrosé de...

La calçotada, c'est le nom que porte dans l'ouest espagnol une petite sauterie des familles donnée en l'honneur d'un légume local : le calçot. La récolte de cet oignon vert est un bon prétexte pour les Catalans de faire la fête en buvant et en mangeant un maximum.

On ne sait pas trop dire si le calçot est plutôt une sorte d'oignon nouveau qui aurait trop poussé ou un bébé poireau. Mais ce qui est sûr, c'est que son goût et sa texture, eux, sont bien particuliers. Une fois cuits, ils sont sucrés et doux et ils fondent en bouche comme du beurre.

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J'ai été invitée par Hugo Prat à participer à une véritable calçotada près de Valls, dans la province de Tarragone – réputée pour produire les meilleurs calçots du monde.

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Pour préparer les calçots, il faut rester hydraté en buvant du vin blanc. Toutes les photos sont de l'auteur. Hugo Prat (T-shirt bleu) avec des oignons du coin, du vin du coin, des gens du coin – et quelques incrustes

Grâce à lui, je vais pouvoir assister à une vraie calçotada – pas le genre de petit barbecue que les restaurants barcelonais sortent pour s'approprier cette tradition. La calçotada citadine, c'est du pipi de chat par rapport à celle qu'organise Hugo au pays. C'est un véritable gentilhomme catalan, il sait respecter les traditions. Sa famille organise des calçotadas dans leur maison de campagne depuis des années. Et pour lui, c'est important de fêter l'oignon comme ses aïeux le faisaient avant lui.

Les calçots de Valls, c'est un peu la Rolls Royce de cette variété d'oignons nouveaux. Ils ont carrément une AOP européenne, au même titre que des produits alimentaires stars comme le Parmigiano-Reggiano, l'Armagnac ou encore le Champagne. Voilà le déroulement d'une vraie calçotada : les centaines de calçots sont grillées directement au-dessus d'un feu en plein air. Puis on les épluche à main nue, on les trempe dans une sauce salvitxada tout à fait magique et on les pousse ensuite au fond du gosier. C'est le bazar et on s'en met partout. La calçotada prend fin quand tout le monde a la peau du ventre bien tendue, pue, est recouvert de giclures de sauce et sous l'emprise de l'alcool.

Hugo m'explique que la calçotada est une tradition très répandue dans les familles de la région de Valls et chez tous les Catalans en général. Mais la calçotada de Hugo est tout de même exceptionnelle car elle se tient pile là où pousse le calçot protégé par l'AOP : dans un terroir finement délimité pour ses différentes qualités. La famille de Hugo fait pousser ces calçots chaque année pour le simple plaisir de les manger entre amis et membres de la famille. « On est sur le territoire du calçot, donc on essaye de suivre les traditions autant que possible. On s'occupe de tout le processus de croissance dans nos vergers, » m'explique Hugo. La récolte peut commencer dès décembre et continuer jusqu'en avril.

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Plus précisément, la calçotada de Hugo a lieu dans une vieille ferme catalane en bordure du village de Sant Jaume dels Domenys, à une heure en voiture du centre de Barcelone. L'endroit a une vue à couper le souffle – des oliviers et des vignes à perte de vue, sans parler de la piscine qui ne gâche rien du paysage. J'ai rencontré Hugo en bossant en tant que rédactrice pour Lust Films, la boîte de prod de films pour adultes d'Erika Lust, où il est informaticien. D'ailleurs, deux des films d'Erika ont été tournés dans la maison de campagne de Hugo : Car Sex Generation et A Weekend in the Garden of Eden. Pas mal de membres de l'équipe de tournage de Lust Films sont venus de Barcelone en minivan pour participer à la calçotada.

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Des calçots cuisent au-dessus des flammes. La salvitxada est faite à base d'ail, de tomates séchées, d'amandes et de noisettes grillées, de poivrons nyora, de piment de Cayenne, d'huile, de sel et de vinaigre.

Quand j'arrive dans la vieille bâtisse, tout le monde s'active. « Les calçots doivent être récoltés le jour même, » précise Hugo. Il a déjà arraché de terre un bon nombre de ces petits légumes. Les verres se remplissent de vin blanc à mesure que les oignons sont préparés pour passer l'épreuve du feu. Il suffit de leur couper le cul et de les enfiler sur une tige en métal, cinquante à la suite.

Pour allumer le feu, on utilise du bois coupé quelques jours plus tôt dans les vignes voisines. Après avoir bien lancé le brasier, on place les calçots directement dans les flammes jusqu'à ce qu'ils carbonisent. Après quelques minutes, on retourne la tige de métal pour faire cuire les oignons de l'autre côté. Ensuite, on les enroule dans du papier journal et ils continuent de cuire là-dedans, bien au chaud, en attendant qu'on les mange.

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Après pas mal de retournements de tiges, d'allumage de feu et d'hydratation au vin, on peut finalement goûter les petits oignons. Certains déroulent les feuilles de papier journal tandis que d'autres ouvrent d'autres bouteilles.

La sauce salvitxada contenue dans un grand pot est répartie dans d'autres plus petits – un par personne. Il n'y a pas de chaise autour de la table – tout le monde reste debout, comme si l'on allait faire un concours de mangeurs de hot-dogs.

Le fait de manger ne calme ni notre excitation ni notre ébriété. Les calçots sont terriblement faciles à éplucher. La surface calcinée s'enlève doucement dès qu'on tire dessus, dévoilant un cœur blanc très tendre et juteux qui se marie parfaitement bien à la sauce.

Préparée un jour à l'avance, la satlvitxada est faite de différents ingrédients classiques de Catalogne : de l'ail cru et de l'ail grillé, des tomates séchées, des noisettes et des amandes grillées (il faut les éplucher une à une), des poivrons nyora, du piment de Cayenne, du vinaigre, de l'huile et du sel. La sauce est délicieuse et, associée avec les calçots, ça frise la perfection.

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Pour manger des calçots, il ne faut pas avoir peur de s'en mettre partout. Une fois l'estomac bien rempli d'oignons, on s'enfile quelques grosses saucisses.

La dégustation est joliment dégueulasse. Les gens s'enfilent des calçots, se rincent la bouche au vin et se tachent méthodiquement de sauce et de suie. Un morceau d'oignon pendouille de la bouche d'un gourmand alors qu'un autre se coiffe avec de la satlvitxada. On verse de la picole à qui veut. Dans un monde où tous nos instincts se doivent d'être policés, manger ainsi s'avère très libérateur.

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Pour faire honneur à mes hôtes catalans (et aussi parce que c'est bon à s'en taper le cul par terre), je mange autant de calçots que possible. Jusqu'à avoir les dents du fond qui baignent dans la salvitxada.

Je suis très fière de ma performance jusqu'à ce qu'on m'annonce qu'il y a de la viande grillée en guise de plat de résistance. « Oui, les calçots ne sont qu'une sorte d'entrée », m'annonce la gentille mère de Hugo. Je me souviens qu'il m'en avait parlé. Le chaos de la calçotada, le fait de ne pas savoir quand on commence ni quand on finit : tous les ingrédients d'une bonne débauche gastronomique.

On se déplace donc vers une table qui croule sous les morceaux de viande grillée, les saucisses, les haricots et les pommes de terre. La viande est succulente et le vin – celui des vignes environnantes – est léger, parfumé et facile à boire.

Pour Samantha Coombes, une Anglaise de l'Essex, c'est sa première calçotada chez Hugo. « C'est une bonne expérience. Manger les calçots tout droit sortis du feu, ça a quelque chose de rustique. Et la sauce maison est dingue. »

Cristina Pastrana est graphiste. Etant originaire de Tarragone, elle n'en est pas à sa première calçotada – elle en fait au moins une chaque année. « C'était une belle journée, pleine d'alcool et de fumée, un bon moment de détente hors du bureau. J'ai bien picolé, ce qui est assez typique d'une calçotada. »

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Cristina et Aleix décident de faire un somme sur l'herbe.

Après le repas principal, Cristina et Aleix font une sieste digestive allongés sur l'herbe. Pour ceux qui luttent contre le coma digestif, on apporte du café, du gin, des digestifs et des petits gâteaux. Hugo a accroché des haut-parleurs dans quelques arbres et balance du son. Son père profite du soleil de l'après-midi pour danser. Ses jambes semblent bouger toutes seules, possédées. Pendant ce temps-là, les gens tombent comme des mouches. Ce vin est vraiment facile à boire. Tout le monde est repu et content. S'allonger pour digérer est la meilleure chose à faire.

Je n'ai jamais autant mangé de toute ma vie. Et mon Dieu qu'est-ce qu'on pue.

Il y a quelque chose de poétique à l'authentique calçotada : la passerelle avec les générations précédentes, la célébration d'une récolte, les gens ensemble, le bois des vignes servant à allumer le feu pour lier le paysage et la nourriture issus de la même terre. Et si tu as de la sauce sur le coin de la bouche, tout le monde s'en fout.

C'est vraiment un moment extraordinaire.