Une ode au « nono », le fruit le plus dégueu du monde
Photo via Flickr user Scot Nelson.

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Une ode au « nono », le fruit le plus dégueu du monde

Comment j'ai découvert l'existence de cette abomination de la nature aux sécrétions douteuses, à l'odeur fétide et au goût de vomi.

J'adore les fruits. Si je ne suis pas le seul à les aimer, c'est peut-être parce que, contrairement à presque tous les autres aliments, ils veulent être mangés. Les fruits se mettent sur leur 31. Ils sont beaux et ils sentent bon.

Si les plantes à fruits prolifèrent plus que les autres, c'est parce que les animaux les mangent, se baladent un peu partout et chient des graines qui donneront ensuite de nouvelles plantes et de nouveaux fruits. Ce n'est pas du tout le cas de la viande qui, dès qu'on essaie de la choper, se barre à toute vitesse et la trouille au ventre. Ici, l'évolution à la Darwin, c'est la survie du plus délicieux.

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Mais alors que vient foutre le nono dans cette histoire ? Quelle putain de stratégie a-t-il empruntée pour devenir une telle abomination de la nature et, accessoirement, le fruit le plus dégueu du monde ?

Le nono - Morinda citrifolia aussi appelé noni - est le fruit d'un arbuste qui pousse en milieu tropical. J'aurais préféré qu'il s'en abstienne. J'ai récemment quitté Brooklyn pour le Costa Rica, un pays que j'ai appris à aimer alors que je faisais des recherches de terrain sur les bananes. Quand je suis arrivé dans ma première location, j'ai découvert que j'avais plein d'arbres fruitiers au fond du jardin – génial ! Mais je me suis vite calmé quand j'ai découvert, entre les goyaviers et les papayers, un spécimen dont les branches portaient des sortes de boursoufflures blanchâtres. On aurait dit des gros boutons remplis de pus et prêts à exploser. J'étais devenu, bien malgré moi, le malheureux gardien d'un arbre à nonos. Et à l'époque, j'étais encore animé d'une curiosité morbide.

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L'apparence du nono est capable de provoquer à elle seule une réaction de révulsion aussi bien physiologique que psychique. Le fruit ressemble au genre de trucs dégueu que rencontrent Rick et Morty dans leurs mondes parallèles. Sur le fruit, on remarque une ribambelle de reliefs qui ressemblent à des verrues. Leur répartition aléatoire rend chaque fruit unique dans sa mocheté, tel un flocon de neige hideux. Au centre de chaque verrue il y a une petite dépression qui donne l'impression que le fruit est recouvert d'anus. Une substance visqueuse le recouvre, comme si, de ses pores, suintait une forme concentrée de ce qui se trouve à l'intérieur. La nuance change en fonction du degré de maturité du fruit, allant du vert morve jusqu'au blanc – tendance « œil souffrant de cataracte ».

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En fait, seule une mère pourrait tolérer une telle progéniture. La preuve, les mamans nonos continuent de donner naissance à ces monstres. On dit souvent que l'habit ne fait pas le moine et qu'il ne faut pas juger uniquement sur l'apparence. Sinon, personne n'aurait pensé à manger un kiwi ou une poire la première fois. Mais en ce qui concerne le nono, l'emballage n'a vraiment rien de trompeur.

Si jamais vous croisez un nono, je vous conseille de le garder à distance de votre nez. On comprend assez vite pourquoi on le surnomme le « fruit-fromage »

Le premier indice qui permet de dire que le nono est aussi horrible à l'extérieur qu'à l'intérieur, c'est son odeur. Si jamais vous croisez un nono, je vous conseille de le garder à distance de votre nez. Genre, un bon mètre. La première bouffée ressemble au fumet d'un fromage de chèvre laissé un peu trop longtemps au soleil. Et, pour le malheur de vos narines, l'odeur du nono est encore plus subtile que ça. Une seconde vague, aussi âpre que de la bile et étrangement accompagnée d'une odeur sucrée douceâtre, rappelle le vomi de quelqu'un qui aurait trop mangé de donuts au miel. On comprend vite pourquoi on le surnomme le « fruit-fromage », bien que ce nom soit une insulte pour tous les fromages. On pourrait aussi l'appeler le « fruit-vomi » mais même ce terme est dégradant pour le vomi.

Les pomologues et voyageurs qui me lisent pourraient ici penser au durian – le fruit interdit dans les transports publics de Singapour à cause de son odeur fétide. Ce dernier a toujours été considéré comme une calamité : le fruit le plus puant du monde. Croyez-moi, le nono est encore pire. Si le gouvernement du Costa Rica parvenait un jour à se sortir de l'enfer bureaucratique dans lequel il est plongé, et réussissait enfin à mettre en place un système de transports en commun, le nono n'y serait pas autorisé.

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Avant de rédiger cet article, je n'avais pas dépassé le stade de l'expérience olfactive avec le nono. Mais pour le bien de la science, je suis allé jusqu'à goûter le nono à plusieurs stades de maturité. J'ai aussi mis la main sur une bouteille de jus de nonos au marché central de San José. Conclusion : je ne conseille à personne de reproduire l'expérience.

Le fruit le plus jeune, d'un vert innocent, avait un goût assez « végétal », bien en dessous de son parfum typiquement nonoesque – une sorte de régurgitation de concombre. Le plus mûr, avait lui la texture d'un champignon ramolli. Comme pour m'alerter, il a déversé sur mes mains un aperçu de ce que j'allais mettre dans ma bouche. Et le goût ressemblait bien à l'odeur. J'ai eu beaucoup de haut-le-cœur.

Pourquoi diable des êtres humains continuent d'en récolter, d'en presser, d'en vendre en jus et d'en avaler volontairement la chair fétide ?

De couleur ocre, le jus ressemblait étonnamment à des raisins pressés et aromatisés au nono. Même faisant de la figuration, le goût du nono ne peut être totalement masqué. Donc c'était dégueu. Le nono est bien le fruit le plus horrible de la Terre. Les nonos étant les pustules de Mère Nature – dont elle ferait bien d'avoir un peu honte – pourquoi diable des êtres humains continuent d'en récolter, d'en presser, d'en vendre en jus et d'en avaler volontairement la chair fétide ?

Visiblement, certains pensent que le nono serait capable de soigner absolument tout. Médecines traditionnelles ou alternatives recommandent le fruit en cas de cancer, de maladie cardiovasculaire, de fatigue, d'anxiété, de SPM ou d'impotence sexuelle. N'importe quel symptôme en fait. Vous pouvez même en filer à votre chien et les puces le laisseront tranquille (elles ne sont pas complètement demeurées).

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Bien sûr, les prétendues vertus du nono en font aussi un suspect. La majorité des remèdes qui « guérissent tout à 100 % » sont de toute façon inefficaces. Il y a 13 ans, la FDA avait envoyé un avertissement à une entreprise de jus de nonos pour avoir accompagné la commercialisation de son produit d'allégations totalement infondées sur ses effets bénéfiques sur la santé. Depuis, les nombreuses études scientifiques qui se sont penchées sur le nono ont tiré les mêmes conclusions : rien ne prouve que le fruit guérit quoi que ce soit. Par contre, il est clairement « safe ».

On croit parfois qu'un remède dégueu sera plus efficace. C'est ce genre de réflexions qui ont conduit certains malades à se laisser trépaner par des pseudo-médecins pendant des siècles, pour soulager leurs migraines. Perso, l'odeur, la texture et le goût du nono n'en valent pas la peine. Je préfère encore crever.