Dans l'un des derniers rades de Bruxelles
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Dans l'un des derniers rades de Bruxelles

On est allé se mettre quelques pintes chez Henri « Stella », le taulier de la rue de Laeken – depuis au moins 50 balais.

Si vous arpentez la capitale belge à la recherche d’un coin pour vous la coller – ou comme tout bon Brusseleir, boire sa « drache » après le boulot (un verre de bière en patois local) – vous avez de fortes chances de vous retrouver dans la rue de Laeken. Et une fois dans cette vieille artère du centre-ville, de tomber sur un rade pas comme les autres.

Chez Henri est situé à l’angle avec la rue du Béguinage. Il est un de ces bars anachroniques qui font le charme de Bruxelles. Derrière le zinc, Henri Stella manie les tireuses depuis 1969 et ce fameux jour où sa femme lui demande comme une évidence ; « Tu passes toujours ta vie au bistrot, pourquoi n’en ouvrirais-tu pas un ? ». Il quitte alors son boulot de mécanicien de grues pour la ville et relève le défi.

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Henri Stella ne s’est d’ailleurs pas toujours appelé Stella. Il doit ce patronyme à la bière du même nom et à un système de son invention qui lui permet de refroidir les fûts – en fait directement relié à des conduits d’eau. Henri dévoile son astuce à des représentants de Stella d’Artois qui fréquentaient son café et avec qui il s’était lié d’amitié et se voit affubler en retour de ce surnom, affiché sur la devanture. Henri rappelle aussi qu’à l’époque, c’était la seule marque de bière qu’il servait – pas de Maes ni de Jupiler.

Né dans les Marolles, le quartier populaire de la capitale belge qui l’a littéralement vu grandir, Henri a souvent fait le coup de poing avec ses potes contre les bandes rivales. Il assure qu’il a toujours su se faire respecter. Pour éviter la délinquance, le « garçon de rue » s’est réfugié dans la balle pelote et la lutte, deux sports qu’il affectionne.

Le 30 rue de Laeken regorge de morceaux de la vie d’Henri. Derrière le comptoir, une statuette de militaire, souvenir du service (obligatoire en Belgique de 1909 à 1992) quand le futur tenancier de bar est enrôlé directement dans la défense nationale. Après les tests, l’armée décide de le caler chez les « paras », commando et corps d’élite qu’on envoie à l’étranger pour des missions spéciales.

Une visite de la police militaire dans la caserne où Henri suit son entraînement et un contrôle de routine qui vire en bagarre générale aura raison de sa carrière. Il quitte les bérets rouges. Faut pas trop l’emmerder Henri. Même Bruxelles en a fait les frais. Une erreur de construction du trottoir en face de son café envoie régulièrement des voitures dans sa vitrine ? Il se bat pour que la ville se charge de réparer ce défaut – même si l’assurance couvre à chaque fois les dégâts.

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Le rade d’Henri est tellement empreint de nostalgie que son propriétaire se laisse parfois aller à la mélancolie : « Avant, on savait rire, dit-il, les filles de cabarets bossaient juste à côté, elles venaient dès 9 heures du matin et repartaient vers 11 heures. On chantait et on mettait la musique que l’on voulait dans le jukebox. La clope était autorisée et les parcmètres n'existaient pas. Du coup, on restait plus longtemps à boire des chopes. »

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Comme tous les bars, Chez Henri a connu son lot de bagarres. On vous rassure, un ancien para sait calmer le plus excité des clampins. Quand ce n’était pas Henri, ses deux chiens (défunts) étaient dressés pour se charger des idiots qui se montraient menaçants.

Ça va faire presque 50 ans qu’Henri tient debout derrière le zinc – sans béret rouge. C’est peut-être pour ça qu’on le surnomme le dernier des Mohicans de la rue de Laeken. Si jamais on vous parachute sur Bruxelles, vous savez où aller. Sachez simplement que la grossièreté et les grandes gueules, c’est ce qu’il déteste le plus et qu’il aime le faire remarquer. Donc fermez vos gueules et soyez poli avec lui.


Chez Henri, 30 rue de Laeken, 1000 Bruxelles.