Ce que j'ai appris de la déchéance humaine en étant barman dans une station de ski

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Ce que j'ai appris de la déchéance humaine en étant barman dans une station de ski

Quand on travaille comme saisonnier au pied des pistes, il faut être capable de gérer le rythme « snow, boulot, bouffe, défonce, dodo » en boucle, sans réfléchir.

Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu'il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants. Dans cet épisode, un jeune barman de 22 ans nous dévoile l'envers du décor de La Grotte du Yeti, un endroit qui se présente lui-même comme « le meilleur bar d'après-ski de toutes les stations ». Vous ne le saviez peut-être pas mais c'est l'endroit le plus dingue où faire la fête en altitude.

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Toutes les semaines, j'entends dire que j'ai un job de rêve. Mes potes s'imaginent qu'avoir un boulot saisonnier, ce n'est que du fun. Évidemment, je ne vais pas dire l'inverse : je fais du snow tous les jours avant le taf et j'ai un salaire pas dégueu. Par contre, je me tape des journées de dix heures, six jours sur sept, dans un endroit qui sent un subtil mélange de bière, de vomi et de transpi. Être barman ici, ce n'est pas le même métier que celui que j'ai connu chez moi. Pour vous dire à quel point on est débordé, quand je sers une pinte, je n'ai même pas le temps d'enlever le trop-plein de mousse. Ici, on vend le plus vite possible et en quantité suffisante pour que toute morale soit déposée au vestiaire. Effet immédiat : il y a plus de baise devant et derrière le zinc de la Grotte Du Yeti que dans toute une saison de l'Île de la Tentation.

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Toutes les photos sont de Lissa Van Eesbeeck. La Grotte Du Yeti est une chaîne. Les photos de cet article ont été prises dans d'autres bars que celui où travaille notre témoin anonyme.

J'assure presque tous les jours le service après-ski. Ensuite, je prends une petite pause avant de commencer celui de nuit. Les barmen s'arrêtent à 3 heures du mat'. Si on est déjà bien fait et que les gens qui restent dans le bar sont sympas, on finit la soirée en boîte ou bien dans l'appart' de quelqu'un. Le lendemain vers midi, je suis sur les pistes avec mon snow. Et après, je reprends le service après-ski. C'est ma routine. Quand je ne commence pas à 16h, je me fais mon propre apéro après-ski. Cette année, les managers sont plus exigeants à cause de certains employés qui se sont endormis bourrés et sont arrivés à la bourre pour leur shift, ce qui la fout mal. Quiconque arrive rond est immédiatement renvoyé chez lui. Depuis le début de la saison, ça m'est déjà arrivé deux fois et je m'en suis vraiment voulu. Pour travailler ici, il faut être capable de gérer le rythme « snow, boulot, bouffe, défonce, dodo ». En boucle.

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Parfois j'essaye de ne plus boire d'alcool mais c'est difficile à tenir. Tous les clients – touristes ou gens du coin – insistent pour que les barmen se fassent des shots avec eux et impossible de refuser s'ils payent. Parfois, je fais semblant de m'enfiler le shooter mais je finis quand même saoul la plupart du temps. Heureusement pour moi, l'air de la montagne est un super remède contre les mites.

Mes collègues sont devenus fous là fois où ils ont dû gérer tout un groupe d'étudiants d'Amsterdam. Dire que les mecs de fraternité tiennent mieux l'alcool que les autres est apparemment un gros mytho. On n'a jamais eu autant de vomi à gérer. Lors de leur dernière nuit, on a prévenu des « frat-boys » de Groningen qu'on les virait du bar au prochain dégueulis. On avait déjà nettoyé les toilettes quatre fois depuis le début de la soirée.

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Comme l'alcool est plus cher dans une station de ski, les gens font comme ils peuvent pour essayer de gratter une pinte gratuite. Ça me fait rire de les voir carrément voler la pinte de quelqu'un d'autre sur le zinc. Ceux qui me soûlent, ce sont ceux qui viennent se resservir directement au bar quand j'ai le dos tourné pour préparer des Jägerbombs.

Cette année, les Jägerbombs partent comme des petits pains. C'est parce que l'un des barmen a trouvé le moyen de les servir en poussant le shot dans le verre rempli de RedBull avec sa teub. Il sert une rangée de dix shooters en équilibre et les fait tomber comme des dominos dans leur verre d'un habile coup de pénis. Il l'a fait une fois et depuis, tous les gars du bar veulent montrer leur virilité à la foule. Du coup, je vois beaucoup de petites bites.

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On vend aussi des shooters flambés. Les gens aiment bien en commander parce qu'ils pensent que respirer la vapeur d'alcool leur donne l'air cool. Les meufs bourrées ont pris l'habitude de monter sur le bar pour tenter de charmer les barmen en faisant des « body shots ».

Pour coucher avec les touristes, il faut respecter une règle tacite : uniquement le mercredi – soit la veille de leur départ. Sinon vous risquez de vous coltiner votre conquête toute la semaine. Au début de la saison de ski, on est tous surexcité, mais le soufflé retombe progressivement, la plupart des gens ont un plan cul régulier qui bosse et vit au même endroit.

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Dans l'équipe, on n'est pas trop prise de tête mais on a quand même un Wall of Shame auquel les clients n'ont pas accès. On y note les exploits sexuels de tous les employés. Il y a la liste de tous nos noms, et à côté de chacun on met une barre verticale quand on nique, une étoile s'il y a une anecdote un peu croustillante (par exemple : notre DJ s'est déjà fait tailler une pipe alors qu'il mixait) et un G si la personne était grosse.

Avant, les barmen et les serveurs vivaient tous dans les studios directement au-dessus du bar parce que la moitié des chambres n'étaient pas louées. Du coup, c'était super pratique pour ramener quelqu'un dans son lit. Maintenant, un membre du staff ne couchera avec la clientèle qu'une à deux fois par semaine en moyenne. Généralement, on attend la fin du service pour ça, mais il arrive aussi qu'on baise dans le bar. Il faut qu'on demande la permission au manager avant, mais ça va, il est plutôt cool et tant qu'il trouve ça drôle, on a le feu vert.

Une station de ski, c'est un peu comme une petite ville : tout le monde se connaît. Si tu sors pour te mettre une mine, tout le monde le sait et en parlera. Il faut apprendre à supporter les ragots.

Malgré tout, je pense toujours que bosser dans un bar pendant la pleine saison permet de vivre de bonnes expériences et d'élargir sa vision du monde. J'ai vu des trucs vraiment crades – la semaine dernière, j'ai nettoyé de la merde sur les murs des toilettes des femmes – mais y travailler c'est aussi ne pas prendre la vie au sérieux, au moins quelques mois dans l'année. Quand je passe l'hiver à servir des shooters et des pintes, à laver des galettes de vomi et à glisser dans la poudreuse, je sais que je n'ai pas besoin de devenir adulte tout de suite.

Propos recueillis par Stefanie Staelens.

Cet article a été préalablement publié sur le site de MUNCHIES Pays-Bas