De la merde de poisson pour faire pousser des salades

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De la merde de poisson pour faire pousser des salades

Bienvenue dans la GrowUp Urban Farm, une ferme urbaine qui veut révolutionner l'agriculture en associant élevage de poissons et hydroponie. Le tout dans un système vertueux.

Je suis dans un train de la DLR Line. J'ai quitté Londres pour aller visiter une ferme qui fait pousser des feuilles de salade. Mais ça ne veut pas dire que je vais me balader à la campagne. Le terminus s'arrête encore dans le périmètre de l'autoroute M25, tout au bout de l'East London. Ma carte (j'en ai carrément imprimé une) m'emmène vers une zone industrielle remplie d'entrepôts assez tristounes.

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C'est dans cet endroit improbable que s'est implantée GrowUp Urban Farm, fruit des efforts de Kate Hofman et Tom Webster, respectivement ex-consultante en marketing et ex-analyste en durabilité des entreprises. En réunissant dans un même système aquaculture – un élevage de tilapias – et hydroponie (méthode de culture qui permet de faire pousser des plantes sans terreau), le duo espère révolutionner l'agriculture.

Évidemment, l'agriculture urbaine existe déjà et plusieurs initiatives ont démontré qu'il était possible d'utiliser de petits espaces pour y implanter des systèmes fermés durables. La particularité de GrowUp, c'est qu'elle est la première initiative au Royaume-Uni à tenter l'aquaculture en hydroponie à une échelle commerciale.

Les bassins de poisson de GrowUp. Toutes les photos sont de l'auteur.

« Toutes les techniques qu'on utilise existent déjà. Mais nous les combinons ensemble à l'intérieur d'un entrepôt pour créer notre propre système aquaponique », explique Kate. « On peut facilement transférer ce concept et ces techniques dans n'importe quelle autre zone urbaine pour y cultiver de quoi nourrir la population locale. »

L'entrepôt de GrowUp est divisé en deux espaces. Dans le premier, douze bassins regroupent chacun 400 poissons (j'ai l'impression que ça fait beaucoup mais Kate me dit que la densité n'est pas élevée comparée aux 3 000 litres d'eau contenus dans chaque bassin). Dans l'autre, des baquets remplissent l'espace jusqu'au plafond. À chaque étage poussent trois types de basilics, différents mini-légumes et des salades : du cresson, du chou frisé, des pousses de pois mange-tout et des salades mixtes.

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Comment ces deux espaces sont-ils reliés ? Kate m'explique que l'eau y circule en circuit fermé, contrairement aux systèmes aquaponiques de base qui rejettent leurs eaux usées.

Les tilapias de GrowUp.

« L'eau contenant les déchets produits par les poissons passe par différents filtres. Ce qu'il nous faut pour les plantes, ce sont les nutriments et non la matière solide, » continue Kate. « Le point central de ce système est le bio-filtre – il s'agit de petites pièces de plastique qui ont une surface importante sur laquelle des colonies de bactéries sont installées. Ce sont elles qui transforment l'ammoniac des crottes de poisson en nitrates et nitrites. »

« L'eau filtrée est ensuite propulsée dans la ferme étagée qui se trouve dans la pièce d'à côté et où poussent les légumes. Chaque baquet s'irrigue automatiquement en calibrant la quantité d'eau nécessaire à chaque section. Nous faisons pousser des légumes à feuilles parce que c'est ce qui marche le mieux avec les déchets des poissons et comme ça, nous pouvons diminuer la quantité d'engrais que nous utilisons. »

L'eau, qui a été purifiée par les plantes, est ensuite réinjectée dans les bassins des poissons. Et la boucle est bouclée.

La salle d'hydroponie.

Kate et Tom ont commencé la commercialisation des produits GrowUp dans Beckton (à l'est du Grand Londres) en mars dernier. Ils avaient d'abord testé leur système à plus petite échelle dans un container maritime qui se trouvait dans le quartier de Statford. Actuellement, ils prévoient de produire 20 000 kg de salades par an, ce qui pourrait nourrir une population de 3 000 personnes. Kate admet que ce n'est pas beaucoup – mais garder le business à une échelle très locale fait partie de leur plan.

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Nous marchons entre les allées de l'entrepôt de Beckton où plein de pousses vertes apparaissent. Alors que je renifle une botte de basilic qui dépasse du baquet devant moi, Kate m'explique : « Nous faisons pousser des espèces qui arrivent rapidement à maturité (alors que celles consommées tous les jours prennent entre huit et trente jours à cultiver et récolter). Elles sont souvent délicates et doivent être consommées très rapidement. C'est donc plus logique de les cultiver près de ceux qui vont les manger. Les consommateurs ont un produit plus frais, qui pourra se conserver plus longtemps et qui a donc moins de chance de finir à la poubelle. »

Le calcul me semble bien pensé.

Eau et plantes à tous les étages.

Actuellement, GrowUp fournit First Choice Produce (un distributeur du New Covent Garden Market, équivalent britannique de Rungis), des restaurants comme le Rosa's Thai Cafe et un service de commande et de livraison par internet, FarmDrop. Tous sont basés à Londres mais Kate espère bien que l'aquaponie va se développer dans tout le Royaume-Uni.

« Ici nous produisons à grande échelle pour montrer qu'il est vraiment possible d'utiliser l'aquaponie pour cultiver de la nourriture et en faire un business. »

Selon les statistiques fournies par la Bristish Leafy Salad Association (oui, une telle association existe vraiment), 346 968 000 sachets de salade sont vendus chaque année. L'ensemble du marché de la salade représente 635 millions de livres sterling (761 millions d'euros). C'est un secteur très important au Royaume-Uni où près de la moitié des salades consommées sont importées.

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De retour dans la salle d'aquaculture, entourée des poissons, je demande à Kate ce qui leur arrive une fois qu'ils ont atteint leur taille adulte après cinq ou six mois. Elle me répond en hurlant pour couvrir le son du bio-filtre que pour le moment, les poissons sont tués le plus humainement possible par électrocution. La mise à mort se fait sur place et les poissons sont ensuite distribués à des amis. Mais ils prévoient de rentabiliser encore plus leur système.

La récolte.

« Nous attendons le feu vert des autorités municipales pour pouvoir vendre les poissons aux gens du coin », m'explique Kate. « Le tilapia est l'un des poissons les plus élevés dans le monde. Il a un goût doux très apprécié. Mais par ici, on n'en mange pas encore des masses. Par rapport à ce qu'ils mangent, leur chair contient beaucoup de protéines. »

Je regarde le banc de ces poissons blancs qui tournent dans un bassin, hypnotisée. Jusqu'à ce que je remarque un poisson rouge. Kate s'en amuse : « Le type qui nous fournit les poissons ne fait pas très attention à bien séparer les rouges des blancs, mais il va falloir qu'on fasse plus attention à cela quand on va commencer à les vendre. »

Pauvre tilapia rouge. Je veux bien t'accueillir chez moi pour mon dîner.

Au fil de la discussion avec Kate, j'ai l'impression que GrowUp a mille façons de pouvoir se développer.

« Notre idée était de construire un système qui serait notre modèle de ferme et qui pourrait un jour être étudié. Nous voulons construire des fermes cinq ou même dix fois plus grandes que celle-ci. »

Il est donc possible qu'à quelques kilomètres de chez vous, un vieil entrepôt se transforme en ferme fertilisée au caca de poisson. Quand ça vous tombera dessus, rappelez-vous qu'on aura été les premiers à vous prévenir.