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Food

De l'art de boire le café, selon David Lynch

David Lynch nous parle de sa passion immodérée pour le café entre deux séances de méditation transcendantale.
Illustration by Domitille Collardey

Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES en mai 2015

J'entretiens un rapport assez particulier avec le café. Comme tout le monde, la qualité de celui que j'ingurgite au quotidien est assez aléatoire. Le spectre de mes expériences ratées va du petit noir servi au comptoir, avec du sucre en sachet et les vapeurs d'oignons de la veille, jusqu'au jus de chaussettes dans un gobelet à emporter (vous savez, celui qui a systématiquement un goût de brûlé). Mais j'ai aussi parfois de très bonnes surprises, des moments de dégustations heureux. La plupart du temps, c'est quand je mets plus de cinq balles dans une tasse de café à l'appellation très sophistiquée.

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C'est pour ça que de temps en temps, je me rends dans des coffee shops spécialisés. Je me tiens là, près de la caisse, avec plein de fric dans les mains comme si j'étais accro au jeu. En fait, je suis juste en train de faire des paris avec moi-même sur l'origine du café que l'on est sur le point de me servir. Je fais une fixette là dessus car les baristas en font toujours des caisses pour décrire les différentes variétés de cafés et leurs arômes : un jour, un mec avec une moustache en guidon a réussi à me vendre un café censé dégager « des notes de réglisse et de balles de tennis neuves ». Mais à chaque fois c'est la même chose : le café n'est pas plus dingue que ça et j'ai l'impression de me faire gentiment entuber. J'en suis venue à la conclusion que le problème ne venait peut-être pas du café, mais de moi-même. J'en étais arrivée là.

Ça, c'était jusqu'à ce que je retombe un soir très tard sur un vieil épisode de Twin Peaks et que mes yeux rougis en manque de caféine se fixent, comme hypnotisés, sur la silhouette de Dale Cooper. J'ai eu comme une révélation. À partir de ce moment, je n'allais plus jamais regarder ma tasse de café de la même façon.

À vie, je resterai sensible au personnage de La femme à la bûche (notamment quand elle convoite les piles de donuts du poste de police de Twin Peaks et qu'elle se demande qui a bien pu tuer cette #!@#%^&%# de Laura Palmer), mais rien ne me fout plus en transe que l'Agent Spécial Dale Cooper et son approche très artistique de la dégustation de café. Le café que l'on sert dans les diner, pour être plus précis. Je reste persuadée que si on ouvre un dictionnaire au mot « relax », on trouve quelque part sur la même page la tache encore chaude laissée par son mug en porcelaine.

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Tous les secrets d'une dégustation réussie semblent tenir dans cette simple phrase que l'Agent Spécial Dale Cooper exulte après chaque tasse : « this is a damn fine cup of coffee » — ça c'est une sacré bonne tasse de café. Mais enfin, pourquoi est-ce qu'il trouve toujours le café si bon ? Ils mettent quoi dans les cafetières de ce diner ? Est-ce qu'il faut vraiment que je parte habiter dans l'État de Washington pour le savoir ? S'ils foutent de l'arsenic dans ta tasse ou quelconque genre de décoction initiatique raëlienne à base de Tropico, viens m'aider, Dale, dis-le moi !

Puisqu'il s'avérait assez compliqué de demander à un personnage fictif d'apporter un éclairage concret sur la question, je suis partie en quête de personnes réelles capables de m'aider à percer les mystères du grain de café. Comme un signe du destin (ou peut-être parce qu'il avait vu au loin mes signaux de fumée de café brûlé), David Lynch a accepté de répondre à mes interrogations.

En plus d'avoir inventé Dale Cooper et d'être à l'origine de la meilleure série de tous les temps, David a créé sa propre ligne de café. Il maîtrise aussi une forme d'art transcendantal de la dégustation, à raison d'une vingtaine de tasses de café par jour.

MUNCHIES : Salut David. La question du café est, disons, assez intense. Ça colle pas mal avec votre personnalité. Vous vous rappelez la première fois que vous avez bu du café ?

David Lynch : Je ne m'en rappelle pas précisément. Mais je sais que je devais être assez jeune.

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Jeune comment ?

Je ne sais pas vraiment, mais il me semble bien que j'étais assez petit. Peut-être trois ans.

Trois ans ?

Vous me faîtes douter. Je me rappelle qu'enfant j'adorais sentir l'odeur du café en train d'être torréfié et entendre le bruit de la cafetière sur le feu.

C'est quoi un « bon café » pour vous ?

À mon avis, c'est d'abord le goût. Quelque chose d'assez onctueux, sans amertume et riche en arômes. J'aime bien boire mon espresso avec du lait, comme pour un latte ou un cappuccino, même si ce que les aficionados recherchent, c'est cette petite crème dorée à la surface de l'espresso. C'est quelque chose de si beau à voir vous savez, Helen.

À l'opposé, parlez-moi d'un mauvais café.

Un mauvais café c'est d'abord acide, puis ensuite amer. Il y a toujours quelques bons arômes qui se cachent quelque part dans le mauvais café, mais l'acide et l'amer prennent toujours le dessus. Il n'y a rien de plus frustrant que de tomber sur une tasse de mauvais café quand vous êtes en manque de café.

Le café que l'on trouve aujourd'hui aux États-Unis est plutôt bon par rapport au jus de chaussettes que l'on buvait avant.

Oui, c'est clair que par rapport à l'Italie où ils ont toujours su faire du bon café, les américains ont fait de gros progrès.

Dieu merci. En parlant des producteurs de café américains, j'ai eu l'occasion de tremper mes lèvres dans votre David Lynch Signature Cup. Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans le business du café ?

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En fait, l'idée ne vient pas vraiment de moi. Un jour, un de mes amis est venu me voir et m'a dit : « David, t'es toujours en train de boire du café, tu devrais avoir ta propre marque ! ». Une chose en entraînant une autre, je me suis retrouvé à goûter beaucoup de variétés de cafés différentes pour trouver celui qui conviendrait le mieux. Entre temps, un autre ami m'a dit : « Je connais des types à Long Beach qui font vraiment le meilleur café ! ». Mais je suis allé le goûter et c'était pas top du tout, alors j'ai continué à chercher d'autres variétés, d'autres textures avant que le café que tu as eu l'occasion de déguster ne soit finalement sélectionné.

Est-ce qu'il y a un mot de vocabulaire que vous aimez employer en particulier quand vous parlez de café ?

Ah, comme les sommeliers qui ont un milliard d'adjectifs différents pour décrire le vin ? (Il rit) En fait ce qui compte, c'est de dire comment tu aimes vraiment quelque chose. Donc, si le premier truc qui te vient c'est « il a un super goût » et que c'est exactement ce que tu t'es dit et ce que tu as ressenti quand tu as bu ton café lorsqu'il est descendu le long de ta gorge, alors il suffit de dire que tu es en présence d'un « super café ».

C'est exactement ce que j'imagine quand je pense à un « super café ». Je pense qu'il faut que ça reste simple. Personne n'arrive à sublimer autant le café que l'Agent Spécial Dale Cooper dans Twin Peaks. À votre avis, quel variété du café signature David Lynch lui conviendrait le mieux ?

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L'Agent Spécial Dale Cooper boit beaucoup de café de diner. Donc, il pencherait pour un café torréfié sur place. Ce serait sans doutes le David Lynch Signature Cup Coffee House Roast. Il aimerait son arôme et le fait qu'il ne soit ni amer, ni acide. Et il commanderait probablement plusieurs tasses d'affilés.

Je ne lui en voudrai pas pour ça. Je bois moi-même trop de café. Vous pensez que le café vous donne de l'inspiration ?

Oui. Vous savez, quand j'étais au lycée j'ai lu un bouquin de Robert Henri qui s'appelle The Art Spirit. Ça parle essentiellement de cette conscience de l'art chez l'humain qui selon moi, se transforme en « art de vivre ». Le café est un art de vivre. Je ne sais pas encore tout à fait quels en sont les rouages, mais le café te fait te sentir bien et stimule le processus créatif. Je suis sûr que la dégustation de café fonctionne très bien avec la peinture, par exemple.

Par essence, qu'est-ce que l'ont trouve dans une tasse de café, selon vous ?

Un très bon ami.

J'ai entendu dire un jour que vous buviez plus de vingt tasses par jour, un peu comme Honoré de Balzac qui en buvait énormément. Aujourd'hui, vous tournez à combien ?

Et bien, je dirais environ dix tasses. C'est vrai qu'à une époque je pouvais boire jusqu'à vingt cafés par jour. Mais ils étaient beaucoup plus serrés et je les buvais dans des petits tasses en polystyrène. Aujourd'hui, je les bois dans des tasses beaucoup plus grandes.

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Si je bois plus de deux tasses, je commence à ressentir des palpitations. Je pense sincèrement que vous devez appartenir à une espèce d'humains mutante pour parvenir à en boire autant.

(Il rit) J'aime tellement ça… Je n'arrive pas à m'arrêter. Mon truc c'est quand même d'arrêter d'en boire aux alentours de cinq heures et demi du matin.

C'est un très bon truc. Vos cafés, vous les consommez comment ?

Je bois surtout des cappuccinos, mais j'aime bien les lattes aussi. Je viens d'acheter deux machines à café complètement incroyables.

Quel genre de machines ?

Des La Marzocco à double chaudière. Une fois que tu les as bien configurées, tous les cafés sortent pareil. Elles sont vraiment superbes vous savez, Helen. Le monde des machines à café est si particulier. Il y en a pour tous les goûts. Les gens mettent le curseur sur ce qu'ils préfèrent dans le café et il y a quelqu'un qui va fabriquer une machine autour de cette particularité. Il se passe beaucoup de belles choses dans le milieu du café en ce moment. Il suffit de mettre le doigt sur ce qui te rend le plus heureux quand tu dégustes un café et grâce aux nouvelles machines, tu peux carrément atteindre le septième ciel.

C'est bon à savoir. D'ailleurs, est-ce que vous auriez un café en particulier à recommander pour ceux voudraient franchir le cap ?

Et bien, si ils commencent avec du David Lynch Signature Cup, j'ai bien peur qu'ils soient un peu déçus par les cafés qu'ils goûteront après (il rit). C'est un monde merveilleux, le monde du café.

C'est noté. Je crois que je vais aller me chercher un café là, je ne tiens plus.

J'espère vous aurez la chance de tomber sur un très bon café.

C'est tout ce que je vous souhaite aussi, David.