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En Russie, le kvass se picole à nouveau comme du petit lait

Il a suffi que Vladimir Poutine envoie chier un journaliste bourré pour que cette boisson traditionnelle russe redevienne l'une plus populaire du pays.

Tout a commencé en 2014 quand, au milieu d'une interview, Vladimir Poutine a vanné un journaliste en sous-entendant qu'il était bourré au kvass, ce vieil alcool traditionnel russe produit à partir de pain fermenté : « J'ai comme l'impression que vous connaissez bien le kvass », a lancé le président quand le journaliste lui demandait pourquoi cette boisson « made in Russia » peinait à concurrencer le Coca-Cola sur les étagères des magasins russes.

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Depuis cet épisode assez rocambolesque, le kvass a fait son come-back dans le cœur des Russes. Un retour que Yury Barmin, expert de la Russie, prédisait déjà sur Twitter peu après l'incident : « Les ventes de kvass vont exploser. »

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Légende : La fabrique de kvass de Heinekein en Russie (crédit photo : Heinekein).

Et effectivement, la demande a subitement grimpé en flèche, pour cette boisson dont la création remonte au XIe siècle à l'époque des colons slaves et qui est généralement faite à base de pain noir de seigle, aromatisée aux fruits et aux herbes. Donc ouais, les ventes ont augmenté de 12 % dans les mois qui ont suivi la vanne de Poutine et très vite, Heineken a annoncé la production de kvass sans alcool dans quatre de ses brasseries à travers le pays.

« Le kvass a toujours été consommé en Russie, mais à partir du début des années 2000, le boire est devenu ringard car c'était historiquement la boisson des paysans, m'explique Yury Barmin. Aujourd'hui la tendance s'est inversée et l'alcool est même proposé dans les restaurants de luxe ».

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Ayant essayé du kvass artisanal ainsi que quelques marques disponibles dans le commerce, j'ai trouvé que la boisson était assez rafraîchissante – amère avec un léger goût de malt. C'est bizarrement addictif et désaltérant, surtout l'été à Moscou où la température peut atteindre les 30 degrés.

Le kvass était surtout populaire sous l'ère soviétique : on le vendait à même les tonneaux et on en trouvait beaucoup pendant la période estivale. Mais l'introduction de nouvelles lois sur le stock et le transport ont mis fin à la vente de kvass dans la rue. Le mettre en bouteille devint la seule manière de le distribuer et les coûts de production ont rapidement exclu les vendeurs artisanaux du marché.

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Si aujourd'hui, le kvass ne contient qu'un très faible taux d'alcool (parfois pas du tout), on le vend souvent comme un remède anti-gueule de bois, soi-disant efficace pour le métabolisme et la circulation.

Tania Kukhareva, une jeune moscovite de 30 ans, boit du kvass depuis qu'elle a 6 ans. Elle me raconte qu'elle aime le boire l'été et le préfère souvent à la bière parce que du coup, elle peut conduire après en avoir bu : « Mon père adore ça, du coup il y en avait toujours au frigo quand j'étais petite, m'explique-t-elle, je le préfère parfois à la bière car je conduis et que je ne veux pas laisser ma voiture, donc n'importe quelle boisson sans alcool m'irait. Mais un bon kvass n'est pas si facile à trouver ».

Le kvass peut aussi être utilisé comme ingrédient. Peter Baronov, qui vient aussi de Moscou, me dit qu'il utilise la boisson pour en faire une soupe appelée « okroshka » avec des concombres, des radis et des oignons de printemps.

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Légende : Le kvass est traditionnellement fabriqué à base de pain au seigle et aromatisé aux fruits et aux herbes. Crédit photo : Lavka Lavka.

Mais le retour du kvass n'est pas seulement dû à la possibilité de l'utiliser en cuisine.

« Je pense que la récente popularité du kvass est aussi due à la renaissance d'un certain sentiment nationaliste dans le pays, et l'exploitation des traditions russes par nos représentants politiques », ajoute Yury Barmin.

Mais la plupart s'accordent pour dire que la raison principale de son retour en force est liée à la chute de la consommation de bière, qui est tombée de 9 % au premier trimestre 2015 par rapport à l'année précédente. Plus de taxes, des lois plus strictes (incluant un décret de 2011 qui limite la vente de la bière à certains lieux), et le bégaiement de l'économie russe ont tous participé à la chute des ventes de bière.

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« Beaucoup de gens qui ne peuvent pas s'offrir de la bière sont passés soit à des boissons plus fortes, soit au kvass », claque Vladimir Antonov, le vice président de l'un des plus gros producteurs de bière russe, Ochakovo Group.

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Chez Heineken Russie, trois marques de kvass sont à présent commercialisées : Ostmark, Shikhan, et Rusich. Elles ont toutes un goût différent, en fonction des goûts des régions dans lesquelles elles sont vendues : parfois plus sucré ou plus amer.

« La popularité du kvass est retombée dans les années quatre-vingt-dix à cause de l'énorme développement des colas étrangers sur le marché russe, explique Anna Markina, de Heineken. Aujourd'hui cette incursion du cola est terminée et l'intérêt pour le kvass est de retour. En 2015, sur le marché des boissons non alcoolisées, ce fut l'une des croissances les plus rapides. L'intérêt des consommateurs a aussi été renforcé par le lancement de nombreuses différentes variétés de kvass, notamment ceux à la myrtille ou à la cranberry ».

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Le brasseur artisanal Daniil Kaganovich. Crédit photo : Lavka Lavka.

S'il existe une marque de kvass qui s'appelle Nikola, ce n'est probablement pas une coïncidence. D'abord, parce qu'en Russe, phonétiquement, ça ressemble bizarrement à « not cola », et ensuite parce que ses fabriquants sont à l'origine d'une campagne de communication sur « l'anti-cola-nisation ». Une initiative menée en réponse au lancement du premier kvass de la marque Coca-Cola, commercialisé aujourd'hui en Russie et aux États Unis.

Mais qu'en est-il de l'autre partie du marché : les fabricants artisanaux de kvass, ceux qui étaient encore les seuls vendeurs de la vraie boisson il n'y a pas si longtemps ? Ont-ils été complètement éliminés par les multinationales ?

Pour Vladimir Antonov, ils existent toujours mais ils ont du mal à se faire une place et n'ont quasi aucune chance d'être sur les rayons des grands magasins. Malgré tout, certains petits producteurs parviennent à se démarquer grâce à des variantes de kvass maison. « Je ne le fabrique pas à base de pain comme ils le faisaient pendant l'ère soviétique, j'utilise de la farine à la place, m'explique dit Daniil Kaganovich qui vend sa boisson chez Lavka Lavka, une coopérative paysanne basée à Moscou. Fabriquer du kvass n'est vraiment pas difficile, le problème est que les gens n'aiment pas cuisiner, en général. Je trouve que le kvass industriel a un goût étrange, une couleur étrange, tout est étrange. Dans la plupart des cas c'est de la merde ».

Les chiffres montrent pourtant que beaucoup de Russes pensent le contraire et dans sa version industrielle, la boisson continue de se vendre comme des petits pains. Bon, on avoue, peut-être que le rôle de Vladimir Poutine dans ce succès est relatif, il n'empêche que le kvass pourrait bien battre la bière sur le podium des boissons les plus populaires de Russie. Et qui sait, peut-être même qu'un jour, il battra la vodka !