Réactions à chaud : sur la route du festival tunisien de l'harissa

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Réactions à chaud : sur la route du festival tunisien de l'harissa

La ville de Nabeul se targue d'accueillir les meilleurs producteurs de ce condiment local qu'on trouve partout, en tube, en pote ou dans les kebabs.

Dans sa djellaba turquoise, Hayat Brenfraj mouline des piments rouges avec son hachoir. Ils ont été séchés au soleil avant de baigner dans de l'eau pendant une nuit entière. Elle ajoute au mélange de l'ail frais, du sel, du carvi, du cumin et de l'huile d'olive. Cela fait vingt ans qu'elle prépare cette pâte épicée rouge-orangé chez elle. Elle va ensuite la vendre à des épiciers ou à des voisins. « Évidemment que je fais la meilleure harissa de toute la Tunisie », rigole-t-elle. « Du monde entier, même ! ». Son secret ? « Nous avons les meilleurs ingrédients à disposition et je sais exactement comment les utiliser. »

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Hayat Benfraj fait sa harissa. Toutes les photos sont de l'auteur.

Les Tunisiens mettent cette pâte de piments partout. Dans les sandwichs, les fruits de mer, les œufs, les légumes, la soupe, le couscous, les pâtes ou les pizzas. Elle est tellement appréciée qu'ils ont même organisé un festival de trois jours en son honneur. Le festival de l'harissa et du piment avait lieu le second week-end d'octobre dans la petite ville méditerranéenne de Nabeul qui s'est du coup attribuée le surnom de Capitale Internationale de l'harissa. Il est vrai que la plupart des piments sont cultivés juste à côté, sur la péninsule du Cap Bon.

« Ce festival est organisé pour défendre l'héritage de l'harissa et pour promouvoir le patrimoine culinaire de la région », explique Walid Gaddas, l'un de ses organisateurs. Il rappelle que le mot « harissa » vient de l'arabe « harasa » qui signifie « écraser ». « Au XVIe siècle, des Musulmans et des Juifs ont été expulsés d'Espagne et ont emporté le condiment avec eux avant de s'installer en Tunisie », raconte-t-il. Les explorateurs espagnols avaient en effet déjà rapatrié les piments rouges d'Amérique du Sud en Espagne. Des recherches archéologiques ont même montré que les piments étaient consommés au Mexique et au Pérou depuis des milliers d'années.

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Dans deux bus, un groupe de journalistes et de chefs venus de Hongrie, de Croatie et de Tunisie débarquent dans les champs de piments. On a beau être en octobre, le soleil tape encore. Des piments verts et rouges poussent ici à côté des oliviers et des cactus.

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Au même moment, un défilé s'élance dans le centre de la vieille ville pour marquer le début des festivités. Des canassons tirent des charrettes colorées par de longues tresses de piments rouges séchés et surmontées par des enfants en habits traditionnels. À leur suite, des musiciens marchent jusqu'à la Maison de la Culture en jouant de la musique. Le bâtiment est décoré en carreaux de céramiques. Des petits producteurs d'harissa installent leur stand.

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Des échantillons de harissa exposés pendant le festival.

Ismahen Ben Barka est chercheuse à l'Institut National du Patrimoine de Tunis. Elle trempe un bout de pain dans l'une des assiettes d'harissa avant de m'annoncer : « Nous sommes en train d'essayer de faire classer cette sauce sur la liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO, voilà comme le café turc. »

Un peu plus loin, tout de blanc vêtu, le présentateur télé Wafik Belaid se rappelle du jour où il avait essayé de faire de l'harissa en Angola, alors qu'il était le cuistot de l'équipe de foot local. « Je ne savais pas que les piments de là-bas, les gindungos, étaient beaucoup plus forts que ceux d'ici. Les personnes qui ont goûté ma préparation se sont mises à courir à la recherche d'un point d'eau. » Avec un score entre 40 et 50 000, les piments tunisiens ne tapent pas très haut dans l'échelle de Scoville.

« Il vaut mieux boire du lait que de l'eau », précise Daouda Ben Salam. Elle profite du festival pour y vendre sa harissa faite maison. Elle tient la recette de sa mère, qui elle-même la tenait de sa mère. Ses mains sont souvent douloureuses à force de manipuler les piments pour les réduire en purée, mais elle en rit. « J'utilise de l'huile d'olive et du sel, c'est plus efficace que de l'eau et du savon. »

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Le chef Belaid note que même si ses concitoyens adorent l'harissa, ils ne devraient pas en mettre trop dans leurs plats. « Vous risquez de perdre le goût de la nourriture. Il faut trouver le bon équilibre. L'avantage est qu'on trouve différents types d'harissa à chaque coin de rue. » Certains utilisent des piments séchés, d'autres des piments frais. Certains aiment ajouter de la coriandre, du romarin, du thym, de la menthe, des tomates, des oignons ou encre des poivrons. La recette préférée du chef ? Une harissa à base de piments mis à fumer sur un feu de bois.

On peut également trouver une version standardisée de l'harissa, commercialisée en tubes ou en pot. Mais la majorité des Tunisiens préfère la préparer à la maison. Ils l'appellent harissa arabi, berber, ou harissa traditionnelle. Il en va de même pour Rafram Chaddad Boaz, un artiste qui travaille actuellement sur un livre à propos de la cuisine tunisienne. « L'harissa faite maison a un goût vraiment différent. Elle est plus foncée et plus épicée. » Lui-même préfère une version moins répandue qui utilise un jus de citron plutôt que de l'huile d'olive. « La première fois que j'ai goûté cette harissa, c'était sur l'île de Djerba, là d'où je viens. »

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Chahida Nablie et son mari sont eux aussi venus au festival pour vendre leur harissa. Ils s'apprêtent à en exporter une partie en Algérie et espèrent un jour approvisionner le marché européen. Si l'on produit aussi de l'harissa en Libye, en Algérie et au Maroc, la Tunisie reste le plus gros exportateur – vers trente pays au total. La Libye, l'Algérie et la France représentent les plus gros acheteurs. En 2015, plus de seize mille tonnes d'harissa préfabriquée ont été exportées pour une valeur de 22,6 millions de dollars, soit 53 % de la production du pays. « L'harissa est de plus en plus connue à l'étranger. Certains chefs célèbres, comme Jamie Oliver ou Daniel Humm, ont commencé à en utiliser, ce qui a aidé à sa renommée », explique Walid Gaddas.

Si l'on en croit les amateurs, l'harissa est non seulement délicieuse mais elle souligne les saveurs des autres aliments. Et en plus, elle est bonne pour la santé. Selon un classement du TIME Magazine, elle fait même partie des « 50 aliments les plus sains du monde ». Les enfants Nablie – dont le plus jeune n'a que cinq ans – adorent en manger. « Ils bouffent ça comme de la confiture », dit en souriant Chahida. « Il faut juste faire attention pour les plus âgés qui ont des problèmes d'estomac. »

Quant à Walid, il affirme qu'« en hiver, les plats avec de l'harissa empêchent d'attraper un rhume grâce à toutes les vitamines. Et ses propriétés aphrodisiaques en font un ingrédient encore plus apprécié. »