Je suis allée me bourrer la gueule au Trump bar de la Trump tower
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Je suis allée me bourrer la gueule au Trump bar de la Trump tower

Où l'on m'a expliqué qu'Hillary Clinton « N’EST AUTRE QUE JÉZEBEL LA SORCIÈRE VENDUE AUX ILLUMINATI » et servi un très mauvais Martini.
Hilary Pollack
Los Angeles, US

J'ai fait une putain de grosse erreur.

Je suis au Trump Bar de la Trump Tower, ce gratte-ciel doré portant le nom de la tornade blonde qui passe son temps à jouer les démagos sur Twitter et qui restera sans aucun doute comme le candidat à la présidentielle américaine le plus controversé de l'histoire du pays en attendant plus. Je commence seulement à capter que je suis en terrain hostile.

Je m'appelle Hilary. Et j'ai malheureusement pensé que c'était une bonne idée de le dire au type qui est assis au bar.

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« HILARY ?!?! Tu veux plutôt dire HELLARY, » s'écrit-il. « H – E – L – L… »

J'ai vraiment fait une putain de grosse erreur.

J'ai amené mon collègue Martin* avec moi. Il doit me soutenir psychologiquement et me servir d'excuse pour commander un maximum des cocktails Trump du menu. Il garde son calme. Il vient de Floride et sait gérer ce genre de situations.

LIRE AUSSI : On a réussi à mettre la main sur une bouteille de vodka Trump

« T'as l'air d'être une journaliste. T'as la tête de quelqu'un qui voterait pour Hillary », persifle l'homme avec un méchant regard accusateur. Il porte un t-shirt à l'effigie de Donald Trump sur lequel il a rajouté un pin's géant à la gloire de son héros. Au-dessus, on remarque un autre petit pin's avec la tête de Martin Luther King. Malgré la tenue la plus neutre que j'ai pu assembler ce matin, je ne sais pas comment mais ce type a compris qui j'étais.

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Le premier truc que l'on croise au Trump Bar.Une journaliste ! HAHAHAHAHA !

« » s'interpose Martin, comme si l'idée était totalement saugrenue. Il me sauve la mise.

Joe*, le type au t-shirt Trump se calme. Martin lui explique que nous sommes des touristes. « Oooh – au moins, tu as la tête de quelqu'un qui soutient Trump », balance-t-il à Martin qui porte une chemise bleue boutonnée jusqu'en haut et qui est un homme. À part ça, je ne vois pas pourquoi il fait plus fan de Donald que moi.

Mais c'est vrai que nous sommes comme des touristes. Des touristes venus de Brooklyn. Pour nous, plus habitués aux rues pleines de graffitis, aux vélos cadenassés n'importe et aux bars à jus, le Trump Bar pourrait tout aussi bien se trouver sur Mars. La Trump Tower est faite de marbre et de laiton. Les indications sont en lettres cursives et les rideaux en velours rouge. Il y a des vigiles en costard à l'entrée mais ils ne font pas trop attention à nous. Il est 19 heures en ce mardi et il faut dire que le lobby est manifestement vide. Tout comme le Trump's Ice-Cream Parlor (où la sécu est plongée sur son smartphone), le Trump Grill, le Trump Store et le Trump Café. Toutes les tentatives pour en mettre plein la vue sont un échec quand on entre dans le Trump Bar. Pour y arriver, il suffit de tourner à droite après des escalators has-been en dépassant toute la gamme des vêtements estampillés MAKE AMERICA GREAT AGAIN, de la barboteuse pour bambin aux casquettes de baseball.

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Tous les Trumps de la Trump Tower.O'Reilly Factor

À côté du bar, étrangement petit, on trouve deux grands écrans télé qui rediffusent l'interview de Trump au . On pourrait croire que durant ces dernières semaines avant les résultats des élections, le Trump Bar serait plein à craquer de militants. Le second débat télévisé a eu lieu il y a seulement deux jours. Mais au lieu de ça, le bar est à moitié abandonné. On dirait le bar pseudo-lounge d'un terminal d'aéroport de seconde zone, à quatre heures du matin.

À part moi et Martin, il y a Joe, qui nous annonce qu'il a démissionné de son job à Washington DC pour venir à New York et transmettre la bonne parole de Trump. Il y a aussi Steve*, un type plus jeune qui ressemble à une version un peu caille de Christian Slater. Dans un coin, un gars en chaussettes Burlington qui s'inspire visiblement de Trump niveau capillaire est en train de boire une bouteille de vin à lui tout seul. Dans des fauteuils en cuir, un couple chelou passe un rendez-vous somme toute assez banal si la scène ne ressemblait à pas au prélude lubrique typique des films soft-porn des années quatre-vingt-dix. Enfin, à quelques tables de nous, un type assez âgé en costume cravate passe son temps à nous regarder, les sourcils froncés. Je parie que c'est un espion à la botte de Trump, chargé de garder un œil sur les gens comme nous – des voyeurs venus au Trump Bar dans le seul espoir d'entrevoir de l'intérieur ce qu'ils imaginent être le culte des militants pro-Trump.

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Pas besoin de légende.DONALD TRUMP ET LE DR BEN CARSON EN 2016 VONT GAGNER CONTRE L'ESPRIT ANTÉCHRIST D'OBAMA ET CONTRE HILLARY CLINTON QUI N'EST AUTRE QUE JÉZEBEL LA SORCIÈRE VENDUE AUX ILLUMINATI.

Même si ce type en costard me fout les jetons – je m'empresse de le signaler à Martin – je dois dire qu'il a raison. Je ne vais pas voter pour Trump et je n'ai jamais pensé que son bar éponyme serait un lieu ouvert aux débats politiques éclairés. Mais si ça avait été le cas, je me serais sans doute sentie mieux au milieu de ce débat idéologique sans fin qui déchire l'Amérique en deux camps opposés.

Trois minutes après avoir abandonné tout soupçon quant à mon appartenance à la secte amorale et toute-puissante des médias, Joe nous file une brochure. Il s'agit d'un flyer résumant toutes ses pensées sur toutes les figures politiques du moment, sur l'organisation gouvernementale et sur la religion dans le monde. Des heures entières de flux de conscience couchées sur une page 21x29,7 dans une police minuscule. (Pourquoi il n'a pas fait un recto-verso avec une police lisible, ça, je ne sais pas.)

Voilà la première phrase de son essai : « » Et ça ne fait qu'empirer. « Ne me remerciez pas », s'emballe Joe.

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Joe et Steve.« You're Fired »

À cette lecture, je décide que j'ai besoin d'alcool. De beaucoup d'alcool. Et tout de suite. La serveuse est une jeune femme charmante – avec une jolie frange, un signe qui ne trompe pas sur son appartenance au camp démoniaque et qui fait d'elle une possible progressiste. J'espère qu'elle parviendra un jour à échapper à l'emprise mystérieuse de la Trump Tower. Je commande un , « T'es Viré » (un bloody mary fait maison avec de la vodka Absolut et du céleri) pour Martin et je prends un « Billionaire Martini », « Martini du Milliardaire » (Vodka Chopin Premium, Dry Vermouth Noilly Prat, olives Castelvetrano, petit oignon et cornichon) pour moi.

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Il y a juste un petit problème. Le bar « n'a plus de pickles ». Elle parle des cornichons. Et ils sont aussi en rade de petits oignons et du Vermouth nécessaires pour faire le cocktail. Et la serveuse ne sait pas s'il reste de la vodka Chopin, est-ce qu'une autre marque irait ? Bien sûr.

Je reçois donc un verre de martini avec une vodka de base, pas de vermouth et trois olives qui n'ont rien de Castelvetrano. Ce sont les petites olives au piment qu'on trouve vendues en bidons au supermarché.

Du coup, c'est vraiment le pire martini de toute ma vie.

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Le Martini du Milliardaire, sans cornichon, sans olives de Castelvetrano et sans vermouth.OK, pas de souci

Et bien qu'on puisse lire sur le site internet que l'endroit sert à manger jusque 22 heures, impossible de se faire servir quoi que ce soit. Tant pis pour les crevettes et les wings de poulet qu'on voulait s'envoyer. Mais la serveuse semble tellement gentille comparée au type qui zone à deux tabourets de moi que je ne fais pas de scandale. « ». J'entends le type dire que « les manifestants du mouvement Black Lives Matter détestent les juifs – ce ne sont que des musulmans anti-juifs qui veulent asperger les blancs d'essence avant d'y mettre le feu. »

Alors que mon grand verre de vodka diluée dans du jus d'olive atterrit dans mon estomac, je n'ai pas l'impression d'être milliardaire. J'ai juste l'impression d'avoir payé vingt dollars pour un verre de vodka diluée et agrémentée de quelques olives de supermarché.

Si j'avais fait construire une tour à mon nom en l'honneur de ma (prétendue) richesse, si cette tour comportait un bar, si ce bar était ouvert à tous et si l'un des cocktails proposés par ce bar se devait de représenter mon opulence, j'essayerais au moins de faire en sorte que ce cocktail soit toujours bien réalisé. Ou tout du moins, faire en sorte qu'aucun ingrédient ne manque.

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Donald fait même une apparence furtive.meilleure du monde

Mais bon, le type en question a aussi lancé sa propre marque de steaks qui a fait faillite alors qu'elle était censée être la « ». Je suppose qu'il se fiche pas mal du goût de son « Martini du Milliardaire ». Pas besoin de s'embêter à trouver tous les ingrédients bien bling-bling du cocktail tant qu'il figure sur le menu.

Alors que je sirote ma triste boisson, j'entends Joe dire à Martin que Khizr Khan, le père de Humayun Khan (un soldat américain musulman mort au combat), est l'un des leaders des Frères Musulmans. (Si vous cherchez des trucs sur Google là-dessus, vous tomberez sur un article de Snopes, un site internet qui dément différentes légendes urbaines et qui explique noir sur blanc qu'aucun élément ne vient soutenir cette théorie.) « Le père cherche à endoctriner totalement le peuple américain. Et la mère défend les mutilations génitales féminines ; elle voudrait les faire appliquer dans tous les États-Unis. »

Je ne suis pas sûre que ce soit vrai, Joe. Mais je reste calme. Je me répète que ça ne vaut pas la peine.

« Par ailleurs, concernant Hillary – qui est très amie avec les Khan – et ça, tout le monde qui a déjà travaillé pour elle vous le dira : si vous cherchez à croiser son regard ou à lui parler – la vérité ! – elle va vous dire – je cite exactement – elle vous balance 'La ferme, espèce de vieille sous-merde. Est-ce que tu as la moindre idée de qui je suis, fils de pute dégénéré ?' ».

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Le cocktail T'es Viré qui ressemble à un gazpacho à côté de ses pompes.Eh bin. C'est vrai ? Elle dit vraiment ça ?

En entendant ça, je n'arrive pas à retenir mon rire. Je m'imagine la fatigue que ça doit être de balancer cette réplique ultra-agressive à tous ceux qui croisent mon regard ou essayent de me parler au quotidien, alors j'imagine la galère pour Hillary Clinton qui rencontre des milliers de gens chaque jour.

« »

« Absolument. Tous ceux qui ont travaillé avec elle peuvent témoigner. »

Martin se penche vers moi. « Ce bloody mary est dégueulasse. On dirait qu'on y a ajouté une louche de raifort et la texture ressemble à celle des fibres d'un tapis mouillé », murmure-t-il.

Durant les quarante minutes qui suivirent cette remarque, Joe nous explique plusieurs choses. D'abord, qu'il a discuté sur Facebook avec David Duke, un « politicien » militant pour le nationalisme blanc et ancien responsable important du Ku Klux Klan. Ensuite, que Dieu lui a parlé directement le 11 septembre 2014 pour lui assurer que Donald Trump arracherait le pouvoir aux mains de Hillary Clinton et du Président Obama. Après, que la boîte mail privée de Hillary Clinton lui a servi pour vendre elle-même des armes militaires américaines aux terroristes. Qu'Obama est l'antéchrist. Et qu'il adore plus que tout Alex Jones, un animateur de radio connu pour colporter des théories du complot.

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L'entrée du bar.« Il a raison à propos du Black Lives Matter. Mon père était juif et j'ai des amis noirs qui disent que c'est vrai

Steve, une Budweiser visée à sa main, déboule aussi dans la conversation pour soutenir certains points précis : ». Ou encore « Ouais, c'est vrai, Hillary Clinton est vraiment, genre, super pote avec les chefs de l'EI. C'est avéré. Elle veut faire appliquer dès maintenant la sharia partout aux États-Unis. »

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J'ai fini le martini et j'ai mal à la tête. Derrière le bar, un comptoir porte différentes bouteilles de vin Trump. Je commande un verre de Trump rosé pétillant à 18 dollars. Franchement pas mal. Il se laisse boire.

Histoire de changer de disque et d'oublier les radotages paranos, racistes et absurdes de Joe et Steve, je demande à la serveuse si la clientèle a changé depuis le début des élections.

« Ce n'est pas beaucoup plus fréquenté », dit-elle en haussant les épaules. « Les gens qui viennent veulent surtout parler politique. »

« Et tu es d'accord avec ce qu'ils disent ? »

« Je garde mes opinions politiques pour moi », sourit-elle. « Ça fait dix ans que je bosse ici. Donc oui, les choses ont changé. Au fait, on va bientôt fermer. »"

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Le rosé pétillant Trump passe plutôt bien.

Pourtant, le site internet dit que le bar ferme à 22 heures Et la personne à qui j'ai parlé au téléphone hier me l'a confirmé. Il n'est que 20 h 45. La serveuse hausse les épaules.

Dans une tentative désespérée pour se saouler au plus vite avant de partir, Martin commande un verre du Trump blanc de blancs et un « The Boardroom », « Salle de Conférences », un cocktail qui devrait contenir du Dewar douze ans d'âge, du Carpano Antica, de l'Angostura bitters et des cerises au brandy. Quand le verre arrive, je remarque que les cerises sont en fait du marasquin. Mais globalement c'est assez bon, si on aime les Mon Chéri. Je demande à voir la bouteille de whisky qui a servi à composer le cocktail. Elle me montre une bouteille d'un pitorro portoricain, un rhum de contrebande. J'avoue ne pas trop comprendre.

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On dirait que le type à la tête de cet empire n'a plus rien à se mettre, au sens propre comme au figuré.

Martin demande s'il peut prendre une photo d'un magnum de vin pétillant Trump plein de poussière. Il se tient dans un seau terne de l'autre côté du bar. « Pas de problème », l'autorise la serveuse.

À la télé, quelqu'un rappelle qu'Hillary Clinton a un jour remarqué que beaucoup de militants pro-Trump sont « déplorables ». « Oui, oui, on est tous déplorables », lui répond Steve. C'est sûr. Je me sens bien déplorable à présent.

La serveuse éteint les lumières et nous tend notre addition, bien salée. Je demande à Steve s'il connaît un endroit pas trop loin où nous pourrions manger un bout.

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Le flyer et la douloureuse.Eh bien, ça dépend de vos opinions politiques, mais si ça ne vous dérange pas de soutenir indirectement le terrorisme alors il y a un stand halal super bon entre la 53e et la 6e.

« »

_* _Les noms ont été modifiés. Celui de mon collègue n'est pas très pertinent. Je ne veux pas attirer des ennuis à la serveuse. Et même si Joe et Steve ont des opinions politiques assez douteuses, ils étaient assez amicaux. Sauf si vous êtes journaliste__