L'homme qui connaissait tous les trésors culinaires de Tokyo

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L'homme qui connaissait tous les trésors culinaires de Tokyo

On a passé 24 heures avec Shinji Nohara, le fixeur qui a fait découvrir la ville à tous les plus grands chefs du monde.

Tokyo est une ville qui vous retourne le cerveau.

Aucune recherche sur internet ni aucun guide touristique n'est en mesure de retranscrire ce qui fait de Tokyo une étrange mégalopole utopique : son rythme effréné, le véritable labyrinthe que sont les transports en commun et enfin, la liste interminable des restaurants à tester. Bien sûr, on peut essayer de se débrouiller tout seul comme un grand, mais le risque de passer à côté du meilleur chirashi de la ville – recouvert de cinq différents types d'oursins japonais – ou des nouilles soba faites à la main avec de la farine de blé noir, serait vraiment trop fort.

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Pour rendre la tâche encore plus compliquée, quand vous êtes à l'étranger, les recommandations de Yelp sont toutes un peu foireuses et si TripAdvisor marche plutôt bien au Japon – ou au moins dirige dans la bonne direction –, les commentaires s'avèrent souvent trafiqués, voire mensongers.

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Shinji Nohara au marché de Tsukiji

Et c'est exactement quand on est dans ce genre de galères que Shinji Nohara, a.k.a. Tokyo Fixer, est là pour voler à votre secours.

C'est mon pote Adam Perry Lang, expert ès barbecue, qui m'avait recommandé ce qu'on appelle « un fixeur » dans le milieu du journalisme. Avec enthousiasme, il m'avait juré qu'il « prendrait grand soin de moi ». Étant moi-même journaliste gastronomique et sachant la galère que cela pouvait être de faire des repérages pour des émissions de télé, j'étais très curieux de le rencontrer – et peut-être même un peu sceptique. Quoi qu'il en soit j'ai fini par faire la rencontre du fameux mec – qui avait les cheveux qui tombaient jusqu'aux épaules et un t-shirt Larry David « Social Assassin – devant la statue Hachiko de Tokyo.

« Qu'est-ce que tu as envie de manger ? » m'a-t-il aussitôt demandé.

« Un soba ? Un matcha ? » ai-je répondu un peu au dépourvu, sans y avoir vraiment réfléchi.

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Des nouilles soba à la farine de blé noir.

Il m'a alors proposé de marcher plutôt que de prendre le métro, et en a profité pour passer un coup de fil rapidos en japonais. En l'espace de quelques minutes, je me suis retrouvé nez à nez avec lui dans un minuscule ascenseur – pas super à l'aise, vu la proximité directe entre mon visage et le sien. Nous nous sommes arrêtés au 4e étage d'un immeuble quelconque du quartier de Harakuju, et pendant notre court voyage en ascenseur, j'ai pu en savoir un peu plus sur cet homme, pas très loquace, qui dégageait un certain mystère.

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Shinji est né et a grandi à Tokyo. Il a longtemps été journaliste gastronomique pour plusieurs journaux japonais avant de lâcher son job pour devenir fixeur à plein-temps. Il a fait découvrir Tokyo à un certain nombre de grands chefs américains (Anthony Bourdain, Wylie Dufresne, Daniel Humm, Naomi Pomeroy, et Ricardo Zarate pour n'en citer que quelques-uns ; il doit s'occuper de David Chang dans quelques semaines). Une autre de ses passions est l'acid jazz, vous en faites ce que vous voulez. Mais surtout, Shinji ne travaille que par le bouche-à-oreille et, grâce à mon pote Adam qui s'était porté garant, c'était à mon tour d'halluciner en goûtant aux mêmes plats japonais que la fine fleur des chefs américains avant moi. Avant de vivre l'expérience, j'ai quand même contacté Ricardo Zarate pour savoir ce qu'il pensait de lui. Sa réponse par texto fut sans équivoque : « IL EST INCROYABLE ! »

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Un bol de chirashi près de Tsukiji avec cinq différents types d'oursins japonais.

En guise d'avant-goût des prochaines heures que j'allais passer avec le mec, j'ai eu droit à mes nouilles soba : impeccables, servies extra al dente dans un dashi (bouillon) froid avec des tranches de sudachi (un citron japonais), accompagnées de ce qui est peut-être le meilleur tempura que j'ai jamais mangé de ma vie.

« J'ai décidé de passer du métier de journaliste à celui de guide à plein-temps après avoir montré quelques coins à Anthony Bourdain quand il était présentateur de " A Cook's Tour " », me raconte Shinji alors que je suis en train d'aspirer mes nouilles bruyamment dans un silence de monastère, attablé à l'un de ces restaurants de nouilles anonymes de Tokyo. Son travail pour cette émission l'a catapulté au niveau international et lui a valu d'être appelé par de nombreux grands chefs italiens, français, new-yorkais et d'ailleurs.

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Toutes ses tournées sont personnalisées, avec un maximum de 4 personnes par visite. Il y a toujours deux règles à respecter.

D'abord, la promesse de le laisser commander en toutes circonstances, même s'il y a un menu en anglais – cette contrainte est plus facile à dire qu'à faire, surtout quand on est un professionnel de la bouffe qui aime étudier les menus.

La seconde règle est selon moi plus évidente : interdiction de partager ou d'écrire sur l'un des lieux qu'il s'apprête à vous montrer. Enfin, il demande de payer pour chaque bouchée et gorgée de ce qu'il va manger et boire, en plus du pourboire généreux qu'il est en droit d'attendre pour partager avec vous ses connaissances sur la gastronomie tokyoïte.

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Les donuts au curry

Après les sobas, on a marché 2-3 kilomètres jusqu'à un autre restaurant – situé au 2e étage d'un autre immeuble quelconque. Cette fois-ci, c'est officiel : c'est là où j'ai goûté aux meilleurs matchas et mochis de ma vie. On a ensuite continué à déambuler dans des petites ruelles – en passant devant les queues ridiculement longues des restaurants de Dominique Ansel et de Joël Robuchon – pour finalement rentrer dans sa boulangerie japonaise préférée, où j'ai pris une nouvelle claque en goûtant à un plaisir simple : des donuts au curry.

« Tu ne penses pas que cela va devenir le prochain truc à la mode ? » m'a lancé Shinji quand il a vu le bonheur envahir mon visage encore endormi par le décalage horaire.

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Dans les coulisses de Tsukiji

« C'est obligé », lui ai-je répondu, tout en m'envoyant mes deux donuts au curry brûlants et tout juste sortis de la friteuse. L'un était fourré au poulet et l'autre au bœuf et ils avaient été cuits dans un mélange d'huile de pépins de moutarde et d'huile de son de riz.

LIRE AUSSI : Dans les entrailles du plus grand marché aux poissons du monde

Nous sommes ensuite allés dans un restaurant de yakitoris qui n'utilise que du chêne blanc japonais pour alimenter son feu – et devinez quoi, ma tête a à nouveau explosé devant cette tuerie de boulettes de poulet juteuses et bien cramées dont quelques petits morceaux de cartilage rajoutaient à la mâche.

C'est exactement à ce moment-là que j'ai réalisé le pouvoir absolu de Shinji Nohara. Grâce à sa connaissance de la gastronomie tokyoïte, il a la capacité de soumettre et d'impressionner même les égos les plus obsédés par la bouffe, le mien inclus. Et à cause de ça, il y a de fortes chances qu'il ait influencé les plats japonisants que vous avez déjà dû goûter dans vos restos préférés aux États-Unis ou ailleurs.

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Le matin suivant, je l'ai retrouvé au marché au poisson de Tsukiji, aux alentours de 4 h 45. Pour n'importe quelle autre personne qui voudrait participer aux enchères de thon, ça aurait été beaucoup trop tard : les gens commencent à faire la queue à 3 heures du matin dans l'espoir de faire partie du seul petit groupe de visiteurs autorisé à entrer. Mais si vous connaissez Shinji, 4 h 45, c'est l'heure parfaite pour se pointer : il est pote avec un négociant de thon au marché de Tsukiji et il n'y a même pas besoin de faire la queue. Avec lui, c'est aussi l'assurance de passer par les coulisses du marché, au milieu des négociants grincheux – et pas avec la queue des visiteurs à cinq mètres de là où les enchères ont lieu. Son tour personnalisé du marché inclut le petit-déjeuner : une tranche épaisse de thon frais, arrosée de sauce soja, que l'un des négociants vous tend sur son épée de samouraï.

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La visite du marché de Tsukiji touche à sa fin et c'est déjà le moment de dire au revoir à Shinji Nohara et à sa vaste connaissance de la gastronomie japonaise. Délesté de quelques centaines de dollars, je ne regrette pas d'avoir investi dans la belle encyclopédie vivante qu'est cet homme. Je l'ai embrassé, lui ai dit merci, et l'ai quitté avec un tout nouveau regard sur les guides culinaires.

Après tout, ne sont-ils pas les seuls maîtres en leurs royaumes ?