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En Israël à la découverte des élevages de sauterelles cachères

Huitième plaie d’Égypte, on ne peut pas dire que la sauterelle soit l’animal préféré du peuple Hébreu. Mais pour les créateurs de la start-up Steak Tzar-Tzar, l'idée est de réhabiliter ces nuisibles dans nos assiettes pour lutter contre la malnutrition.

Historiquement, on ne peut pas dire que la sauterelle soit l'animal préféré du peuple Hébreu. Huitième plaie d'Égypte, ces insectes ont dévasté le pays – sous l'impulsion divine – pour contraindre Pharaon de laisser partir les Juifs, alors esclaves. Un traumatisme qui n'a pas l'air d'affecter les créateurs de la start-up Steak Tzar-Tzar dont le crédo est de réhabiliter ces nuisibles dans nos assiettes. C'est dans sa maison dans un petit village yéménite dans le Nord d'Israël, à quelques pas de ses élevages que Dror Tamir, le PDG de cette société unique dans le pays, m'a reçu pour m'initier à sa cuisine d'un genre contestable.

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À l'origine de Steak Tzar-Tzar (sauterelle, en hébreu) : la MPE, la malnutrition protéino-énergétique qui est, à l'heure actuelle, le plus grave problème nutritionnel auquel se heurtent l'Afrique et d'autres régions en développement. Cette maladie frappe notamment l'Afrique de l'Est et l'Inde où près de 150 000 enfants dans le monde en souffrent. Dror assure que ses sauterelles apportent la même quantité protéinique qu'un steak, pour peu qu'on en cuisine suffisamment. « 2.5 milliards de gens dans le monde en mangent ! » me rappelle Dror, pour me convaincre du bienfait de son entreprise.

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Différentes douceurs proposées par Steak Tzar-Tzar : des criquets, des sauterelles et des vers. Photos : Benjamin Le Souëf et DR.

Mais comment imposer des insectes dans nos assiettes, alors que notre culture et notre société classent encore cette pratique comme un tabou ? Face à ma réticence à manger des sauterelles sans fioritures, Dror m'a suggéré deux solutions. La première est de les faire revenir dans de l'huile d'olive et des oignons caramélisés. La seconde est de noyer mon angoisse dans du vin blanc.

Dror est un amoureux de la sauterelle. « Je te présente mes p'tits potes », me dit-il, en sortant un Tupperware du congélateur familial. Sa femme n'a pas l'air d'être ravie, si on en croit sa tronche dégoûtée. Mais le business plan et les perspectives financières ont l'air d'avoir eu raison d'elle, car elle retourne s'occuper des enfants.

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L'auteur et Dror, en train de se préparer un petit casse-dalle.

Pour que l'expérience soit complète, il m'a d'abord fallu décortiquer les sauterelles comme on le ferait avec des crevettes. Armée de ma planche et de mon couteau, j'ai entrepris de couper la tête, les ailes et les pattes de la bestiole. Et j'ai fait frire le reste de l'animal à la poêle avec des oignons rouges. Pour ceux qui voudraient faire l'expérience à la maison, sachez qu'il faut bien saler les sauterelles pour sublimer leur goût. « Si tu n'enlèves pas les pattes, elles irritent ta gorge et tu peux t'étouffer ». Merci pour l'info, mes papilles trépignent d'impatience. Après vingt minutes de cuisson, les sauterelles étaient fin prêtes.

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On mange bien des fruits de mer, pourquoi on ne mangerait pas des insectes ? Les crevettes, les homards, les huitres, c'est moins dégueulasse ? Si tu fermes les yeux et que tu oublies l'aspect, ça passe bien.

Dire que j'étais tout à fait sûre de mon coup serait mentir. Plus l'expérience avançait, plus j'avais envie de vomir. Mais Dror m'a assuré que j'étais, sans le savoir, en train de préparer le plat basique Ougandais et qu'agrémenté d'une bière, ce serait un pur délice.

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Des sauterelles mortes mais drôlement appétissantes.

J'ai préféré opter pour un Riesling israélien, une valeur sûre. « Les françaises aiment le vin blanc », me dit Dror. Un cliché, soit, mais qui m'a donné le top de départ pour entamer la bouteille et retrouver mon aplomb perdu quelque part entre la décongélation des bestioles et les restes d'ailes échoués dans la poubelle.

Après une large rasade, j'ai pris ce qu'il restait de mon courage à deux mains et j'ai mangé une poignée de sauterelles. Et bien, ça n'a pas vraiment de goût distinctif. J'imagine que si je n'avais pas du ôter les ailes à la main, j'aurais eu un avis moins tranché, mais honnêtement, ma seule porte de sortie était de boire une gorgée de vin pour chaque insecte ingéré. C'est donc sans grande surprise que j'ai fini passablement éméchée.

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Dans un brouillard mental que seul le vin blanc sec sait créer, j'ai tout de même questionné Dror sur la réputation de la sauterelle dans la société occidentale.

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« On mange bien des fruits de mer, pourquoi on ne mangerait pas des insectes ? Les crevettes, les homards, les huitres, c'est moins dégueulasse ? Si tu fermes les yeux et que tu oublies l'aspect, ça passe bien, se défend-t-il, moi, je pourrais manger ça à l'apéro avec du houmous ». Pour l'heure, j'avais l'impression d'avoir des ailes coincées dans la gorge et tous les Riesling du monde n'arriveraient pas à faire passer cette sensation.

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Voici à quoi ressemble un élevage de sauterelles.

L'interrogation la plus évidente quand on aborde la nutrition à base de sauterelles est la question sanitaire. Peut-on réellement remplacer nos protéines animales par des insectes sans craindre d'attraper des maladies. En Israël, la réponse est simple, la casherout – l'ensemble des lois qui déterminent si les aliments sont aptes à la consommation cashère – surveille tous les animaux, de l'élevage à la production, jusqu'au produit final qui atterrit dans les assiettes.

Si la cacherout est claire sur la majeure partie des produits, la loi peine à statuer sur les sauterelles. Si on se réfère au « Choulhan Aroukh », livre qui compile la loi juive, il faut quatre signes obligatoires à la sauterelle pour qu'elle soit cachère : elle doit posséder quatre pattes distinctes, quatre ailes, ces quatre ailes doivent obligatoirement couvrir la plus grande partie de la longueur et de la largeur du corps de la sauterelle et elle doit avoir deux pattes supplémentaires qui lui servent à se déplacer en sautant.

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Quatre espèces de sauterelles réunissent ces quatre signes et seraient donc cachères.

Mais la loi ne s'arrête pas là. Les « Richonim », les décisionnaires de la loi juive, les Anciens, exigent une condition supplémentaire : il faut que l'appellation universelle de cette sauterelle soit reconnue. Or, certains rabbins estiment que nous ne sommes pas experts en reconnaissance de sauterelles ce qui les rendraient, de fait, non-cachères. Pourtant, de nombreuses communautés juives comme les Yéménites ou certains marocains, avaient, et ont toujours, l'habitude de se nourrir de sauterelles. Un dilemme cornélien pour qui voudrait se régaler d'insectes à tous les repas.

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Dror, Ben et Chanan, les trois fondateurs de Steak Tzar-Tzar.

Quant à mon palais non-initié, ni par la tradition, ni par l'habitude, il a eu toute les peines du monde à s'en remettre. J'ai eu la désagréable impression d'avoir une paire d'ailes qui battaient dans mon oesophage toute la soirée et jusqu'à tard dans la nuit.

Le monde est peut-être prêt à manger des bretzels à la sauterelle avec des olives au bar, mais je me contenterais de nos cacahuètes à l'urine bien françaises.

Sarah est sur Twitter.