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Food

Dans le premier restaurant chinois étoilé de France

Dans les cuisines du Soleil d’Est à Paris, Véronique Chen perpétue un héritage : celui de son mari, premier chef chinois étoilé de France.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

Véronique Chen est sortie de sa cuisine. Il est 15 heures passées, elle n'a pas encore déjeuné. Assise derrière le pupitre, elle balance : « Ce métier-là, il n'y a pas de vie. Il n'y a pas d'heure pour manger, pas d'heure pour dormir. » Si le quotidien de chef en décalé la fait suer, c'est aussi parce que, malgré l'ombre de la dalle de Beaugrenelle qui surplombe le restaurant Chen, il fait sacrément moite. « Plus besoin d'aller au sauna », rigole-t-elle.

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Sous les immeubles du front de Seine se cache une des institutions de la gastronomie chinoise en France. Le restaurant Chen – Soleil d'Est, ouvert en 1993 par Véronique et feu son mari, Fung Ching. Niché dans le XVe arrondissement, fruit de plusieurs années de travail, l'adresse s'est progressivement imposée comme une référence.

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Dans un cadre traditionnel, au milieu des boiseries et des fresques peintes à la main, Véronique reçoit. À ses côtés, son fils Georges, qui gère la communication de l'établissement et donne parfois un coup de main en salle, et Gloria, en charge de l'administratif. L'histoire de la famille Chen en France démarre dans les années 1970. Cuisinier professionnel, Fung Ching débarque dans l'Hexagone après un passage par Hong-Kong.

« Mon père a quitté la Chine à cause de la Révolution culturelle. Ma mère, le Cambodge à cause des Khmers rouges », précise Georges. Le couple Chen ouvre un premier restau à Sainte-Geneviève-des-Bois. « On proposait des plats chinois, des Saint-Jacques ou des crevettes », se rappelle Véronique. « Nous étions très jeunes à l'époque et ouvrir un restaurant ensemble, c'était une manière aussi d'être en permanence côte à côte. On n'avait pas forcément la tête à se projeter plus loin. »

Cette expérience leur servira de tremplin pour la capitale. Après sept années de labeur et d'économie, ils décident de quitter l'Essonne et de s'installer rue du Théâtre. Et la cuisine des Chen séduit. Subtil mélange des traditions culinaires de leur pays d'accueil et de leur pays d'origine. Les produits du premier magnifiés par les techniques du second.

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Et les critiques sont unanimes. Les assiettes sont « dignes de la tradition d'une cuisine de cour. Tout est d'une finesse altière » dit Vincent Noce dans Libération. Le canard de Challans laqué à la pékinoise, baptisé « Mr Chen », et son service en trois temps (peau grillée, chair puis bouillon) fait la réputation du restaurant. Dans une interview donnée au Los Angeles Times en 1999, Fung Ching raconte : « Je voulais que les gens voient la cuisine chinoise de manière différente. Nous avons quand même 4 000 ans de civilisation. »

Dans le paysage culinaire chinois en France, la table des Chen détonne et redonne ses lettres de noblesse à la gastronomie de l'empire du Milieu. Le Guide Michelin ne s'y trompe pas et décerne une étoile au restaurant en 1999. Une petite révolution pour le guide rouge qui ne délivre pas facilement ses macarons aux restaurants « étrangers ».

Mais quelques années après cette distinction, Fung Ching Chen meurt. Véronique reprend le flambeau. « J'ai toujours bien aimé faire la cuisine. C'est dans ma nature. Quand j'étais petite, j'aimais bien m'approcher de ma grand-mère quand elle préparait des plats. J'ai appris avec elle. Quand on aime manger, on découvre des choses, on fait des recherches. On sait quel ingrédient ne va pas avec un autre. Quand mon mari est décédé, j'ai pris le relais. »

Véronique perpétue l'héritage de Fung Ching. Une carte courte. Des produits locaux. Et toujours le fameux canard qu'elle découpe parfois elle-même en salle. « Il y a beaucoup de passerelles entre la cuisine chinoise et la cuisine française. Je pense que ce sont les deux meilleures du monde », ajoute Véronique en rigolant. « J'ai goûté à la cuisine française par le biais de mes parents qui faisaient par exemple du pot-au-feu. On mangeait aussi du fromage. Mais ce que j'adore, c'est le ris de veau. Il y a des choses que je découvre encore. »

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Dans les années 2000, le restaurant subit de plein fouet les travaux d'urbanisation du quartier. George se souvient de la rénovation de la dalle Beaugrenelle : « Tous les travaux nous on fait du mal. Moi, j'étais encore jeune, mais il y avait du bruit, de la poussière. Les promoteurs se sont désengagés et le chantier est longtemps resté en friche. On a perdu un peu en standing. C'était dur. »

En 2006, le Guide Michelin retire son étoile au Soleil d'Est. Véronique ne s'offusque pas mais raconte : « L'étoile, c'est l'honneur. Donc c'est important. Dans la vie, quelque part, on se bat pour l'honneur, non ? Quand j'ai perdu mon mari, j'ai porté cette douleur sur moi. J'ai pleuré parce que rien ne m'était plus cher que mon mari. Alors l'étoile ou pas l'étoile… »

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Au grand dam de Véronique et de ses enfants, la fréquentation du restaurant a fini par baisser. « Les gens y attachent malheureusement beaucoup d'importance. Vous avez un habit Dior, même si le tissu n'est pas bon, on va vous dire 'Oh c'est du Dior'. Même si vous avez un très bon lin ou un très bon coton, si vous n'avez pas de marque, c'est plus difficile. »

Aujourd'hui, le restaurant Chen tente de s'ouvrir à une clientèle pas forcément habituée à la haute gastronomie avec un menu « BiHua » servi le midi à partir de 17 euros. « Moi j'ai envie de relancer la machine et de prendre mes vacances. Mon mari, lui, n'en a jamais pris », conclut Véronique.


Restaurant Chen, Soleil d'Est, 15 rue du Théâtre, 75015 Paris.