Grandeur et décadence du « jambon-beurre »
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Grandeur et décadence du « jambon-beurre »

Éloge de simplicité devenu aujourd'hui emblème gastronomique : itinéraire du plus célèbre des sandwichs.

En France, il existe un sandwich assez spécial. Ses caractéristiques ? Il partage son nom avec la capitale et il ne contient que trois ingrédients : du jambon, du beurre et de la baguette. Le Parisien est un éloge à la simplicité. Son histoire a beau être ancienne, il continue de séduire aujourd'hui. La preuve, sur l'année 2014, les Français avaient acheté 1,28 milliard de « jambon-beurre ».

C'est au XIXe siècle que le premier sandwich Parisien est apparu. Dans le quartier des Halles plus précisément. À l'époque, elles abritent le plus grand marché couvert de la capitale et sont surnommées « le ventre de Paris ».

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Sur place, les travailleurs glissent entre deux morceaux de pain de campagne généreusement beurrés des tranches de jambon de Paris – charcuterie locale cuite à l'eau. Ils forment ainsi le snack parfait, assez riche en protéine pour tenir toute la journée, assez simple pour être bouffé sur le pouce.

Un Parisien de Chez Aline. Photo de l'auteur.

Bientôt, le pain de campagne rond est éclipsé par la baguette. Une substitution souvent expliquée par de bonnes vieilles légendes urbaines : de Napoléon imposant une forme de pain que ses soldats peuvent trimballer dans leur jambe de pantalon, au chef de chantier chargé du métro parisien qui supplie les boulangers de produire un pain qu'on ne soit pas obligé de couper au couteau pour que les ouvriers ne raboulent pas avec leur lame dans les tunnels et arrêtent de se larder de coups de surin – pratique visiblement courante à l'époque.

En fait, la baguette a été inventée dans les années 1920. Elle est devenue ensuite le pain préféré des Parisiens. Coupée dans le sens de la largeur et recouverte de beurre, elle devient le véhicule idéal pour y foutre quelques tranches de jambon.

Même dans la capitale de la gastronomie, la qualité des produits devient rapidement un problème. L'industrialisation a touché le monde culinaire et les ingrédients du jambon-beurre, autrement dit, ses fondations, en sont aussi les victimes.

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En imposant un prix légal pour le pain, la Révolution française avait entraîné une standardisation du produit. Les boulangers qui voulaient augmenter leurs marges n'avaient plus qu'une seule solution : baisser drastiquement la qualité des ingrédients.

Dans les années 1980 et 1990, les baguettes sont fades et manquent de texture. L'appellation « Jambon de Paris » est même visible sur les tranches de jambon vendues sous plastique dans les supermarchés.

Des baguettes attendent le beurre et le jambon Chez Aline. Photo de l'auteur.

Un sandwich avec seulement trois ingrédients ne pouvait que souffrir de cette situation. « Martyrisé par l'industrie agroalimentaire, l'emblème culinaire est devenu une sorte de junk food à la française », raconte le critique gastronomique François-Régis Gaudry dans un documentaire diffusé en 2015 intitulé Jambon-Beurre.

Ces dernières années, on observe un changement de direction par rapport au tout industriel. La baguette tradition, qui est apparue dans la capitale en 1993, est une sorte de réponse à la production en masse. Formée à la main avec un peu de levain, elle coûte environ 40 centimes de plus qu'une baguette standard.

En 2005, le chimiste Yves Le Guel rachète lui la dernière véritable entreprise de jambon parisien pour y faire de la charcuterie authentique et de qualité. Alors que la première mention de jambon de Paris apparaît en 1793, Le Guel note que la tradition remonte jusqu'aux Parisii, petit peuple gaulois installé dans l'actuelle région parisienne avant l'arrivée de Jules César.

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En Gaule, il y avait déjà des gens qui faisaient des jambons à partir de sangliers sauvages ou d'ours. Et puis au XVIIIe, quelqu'un a établi des règles officielles pour celui de Paris.

« Il y avait déjà des gens qui faisaient des jambons à partir de sangliers sauvages ou d'ours », ajoute-t-il. « Au XVIIIe siècle, quelqu'un a établi des règles officielles pour le jambon de Paris. » Le Guel suit les indications, comme autrefois. De vrais légumes et de vraies épices doivent infuser dans la saumure, qui est ensuite ajoutée au jambon à l'aide d'une pompe. Les jambons sont cuits pendant 9 heures à basse température.

Le résultat – sans additifs ni conservateurs (mais un peu de sel nitrité pour éviter le botulisme) donne un des derniers jambons que les plus grands chefs de Paris considèrent comme « bon pour le service ». Des 500 jambons traditionnels que Le Guel et son équipe produisent chaque semaine, 10 % sont utilisés pour faire des sandwichs Parisien dans la capitale.

Celui de Chez Aline, est assemblé avec le jambon de Le Guel, du beurre salé de Normandie et une baguette tradition de chez Maison Landemaine. Il est considéré comme un des meilleurs sandwichs de la place.

Jambon de Paris. Photo avec l'aimable autorisation de Le Prince de Paris

« Le pain est exactement comme je l'aime : une baguette traditionnelle qui est croustillante – pas trop cuite mais quand même bien dorée », décrit la propriétaire de Chez Aline, Delphine Zampetti en parlant de la baguette faite par Rodolphe Landemaine, un ancien élève de Paul Bocuse. « Je crois que c'est ce qui fait toute la différence. »

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Et il y a aussi le fait que chaque sandwich est fait sur commande, quelque chose que ne font pas forcément les 30 000 boulangeries disséminées dans Paname et qui prépare dès le matin des sandwiches qui seront vendus aux salariés, aux ouvriers ou aux étudiants en pause-déj.

À 5 euros l'unité, les sandwichs de Zambetti sont environ 1,50 euro plus cher que le prix moyen du jambon-beurre à Paris (en 2016, il fallait compter 3,50 euros en moyenne). Ce qui n'empêche pas les clients de venir en masse.

« Je crois que les gens font plus attention à ce qu'ils mangent. Ils se rendent compte que ce n'est pas forcément beaucoup plus cher d'acheter quelque chose de bonne qualité », suggère-t-elle. « Je crois que les gens pensent la bouffe différemment aujourd'hui. »

Le jambon-beurre représente le mouvement, l'itinérance et l'absence de contraintes d'un repas qu'on mange sur le pouce. C'est le snack parfait et savoureux.

« Il y a quelque temps, on avait perdu ça », ajoute Le Guel. « Maintenant, on est dans la recherche du meilleur. Les gens ont en marre d'être trompés et d'acheter des produits de mauvaise qualité. »

Yannick Alléno, chef étoilé au Michelin est d'accord. Il a décidé de mettre le sandwich au menu de ses restaus Terroir Parisien, où, dit-il, « On a voulu recréer l'esprit du bistro parisien convivial et accueillant tout en mettant en avant l'héritage culinaire souvent oublié de la région d'Île de France ». Son sandwich est fait avec le jambon de Le Guel et la baguette de Frédéric Lalos, boulanger et Meilleur Ouvrier de France.

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« On sert le sandwich dans une assiette », explique-t-il. « Ma mère nous faisait des petits jambon-beurre tout le temps quand j'étais petit. C'est un snack facile à faire et très nourrissant. Cerise sur le gâteau, on adorait ça. Cela représente le mouvement, l'itinérance et l'absence de contraintes du repas qu'on mange sur le pouce. C'est le snack parfait et savoureux. »

Eric Fréchon, son collègue étoilé, sert aussi le sandwich dans son restaurant Lazare, situé dans la gare du même nom.

Le jambon-beurre de chez Lazare. Photo avec l'aimable autorisation de Lazare

« Ce sandwich est particulièrement emblématique de la ville de Paris », ajoute Fréchon. « Lazare est au cœur de la gare. On avait besoin d'un bon sandwich et le jambon-beurre était un choix évident. »

À 7,90 euros l'unité, on constate que son sandwich a dépassé ses origines modestes pour devenir une sorte de chef-d'œuvre gourmet, qui plus est dans un des épicentres foisonnants de la vie parisienne.

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« Un sandwich n'est pas obligatoirement mangé en se déplaçant, à la va-vite, entre deux rendez-vous », juge Fréchon. « Vous pouvez très bien vous asseoir, prendre votre temps et vraiment le savourer. »

Au milieu du tohu-bohu qui caractérise la vie d'une capitale, c'est peut-être dans ce sandwich emblématique de la ville que les Parisiens ont trouvé leur refuge.