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Food

« Les vignerons nature font des vins qu'ils ont envie de boire »

« Moi je fais des films que je veux voir » - On a papoté avec Bruno Sauvard, réalisateur de Wine Calling, documentaire sans sulfite ajouté.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Wine Calling Documentaire Nature
Toutes les photos avec l'aimable autorisation d'Urban Distribution

Au téléphone, Bruno Sauvard n’a pas du tout la voix du mec qui a changé un pneu la veille à 2 h 30 du matin sur une bande d’arrêt d’urgence entre Sète et Narbonne après une projection de son film, Wine Calling, documentaire dédié au vin nature en salles mercredi 17 octobre.

Il a plutôt celle du mec qui raconte l'anecdote avec le sourire. Comme si, après avoir quitté Paris, il y a 15 ans pour s’installer en Occitanie, il n'y avait rien de vraiment surprenant. Dans son film, Bruno Sauvard retrace une année de la vie de neuf vignerons du Roussillon. Leur point commun ? S'être affranchi des règles conventionnelles pour proposer un pinard sans intrants chimiques.

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Vin Nature Boire

Au-delà de leur artisanat, c’est leur discours qui a séduit le cinéaste, Un discours capable, selon lui, de rassurer tout un tas de gens sur la capacité d’être heureux en étant un peu moins gourmand et en vivant un peu différemment. Un discours qui peut s’appliquer à tous les secteurs ; des cultivateurs de betteraves aux fabricants de pompes en passant par les réalisateurs.

Au-delà d’un terroir, ce que les vignerons expriment c’est aussi un collectif dont les valeurs d’entraide et de solidarité sont les fondations. On a donc demandé à Bruno si c’était plus simple de filmer les humains que le pinard et pourquoi il avait rendu hommage aux Clash dans son titre.

Qu'est-ce qui t'as poussé à t'intéresser au milieu de la vigne et plus particulièrement à celui du vin nature ?
Bruno Sauvard : J'avais proposé à un groupe local de Perpignan, l'Electric Octopus Orchestra dont le leader a écrit une grande partie de la musique du film, de tourner un clip. Pendant le tournage, il m'a fait boire du vin et j’ai fait « Mais c’est quoi ce truc ? » Il m'a expliqué qu'il n'y avait pas de produits chimiques dedans. « Ah mais c'est du bio ! » Il m’a répondu, que non. Que c’était plus que ça. J'ai fini par lui demander de m’emmener chez ceux qui le faisaient. Le premier que j'ai rencontré, c'est Lionel Gauby à Calce. Puis Stéphane Morin (domaine Léonine). Puis un autre. Et encore un autre.

Je suis tombé sur des gens qui ont une manière fascinante d’envisager la vie et leur travail. J’ai écrit un long-métrage de fiction (je voulais faire découvrir le vin nature par Tahar Rahim). Les producteurs se sont attachés aux personnages de vignerons que je décrivais et m’ont suggéré de me lancer plutôt dans un documentaire.

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Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
Au début, c’était un peu compliqué d’envisager cette forme parce que j’avais Mondovino en tête. Jonathan Nossiter a mis un vrai coup de pied dans la fourmilière avec ce film. C’est un vrai docu, fait par un journaliste, qui a réveillé les consciences. Mais pas forcément un objet de cinéma comme je l’entendais. Il fallait que je trouve un moyen d’être pédagogique sans faire un reportage sur le vin nature. Les documentaires que je préfère, ce sont ceux de Raymond Depardon. Ce n’est pas tant la forme que le fond. Il y a une patience dans son cinéma, symbolisée par les longs plans-séquences, et en même temps quelque chose de profondément humain. C’est ce qui touche, plaît et interpelle.

Wine Calling Documentaire Vin Nature

Pourquoi cette passerelle avec le monde de la musique ?
J’ai réfléchi et je me suis dit que ces vignerons sont la tête de pont de quelque chose de plus vaste que le monde du vin. C’est là que j’ai pensé au mouvement punk des années 1970 et 80. Notamment aux Clash et à une interview de Joe Strummer dans lequel il raconte « On dit que je fais du punk alors que moi, je me nourris de l’essence même du rock ». Ça a fait tilt. On désigne ces vignerons en disant qu’ils font du « nature ». En fait, ils font du vin. Et ils font ça plutôt bien.

Pourquoi as-tu choisi de poser ta caméra dans le Roussillon ?
Il y a le facteur « c’est à une heure de route de chez moi ». Et puis tous les vignerons filmés se connaissaient – ils ont souvent fait l’école ensemble, parfois les mêmes stages. Le territoire qu’ils couvrent s’étend sur 110 ou 120 kilomètres, entre les terrasses de Banyuls du domaine Yoyo et le Jajakistan de Loïc Roure. Le terroir n’y est pas le même.

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C’était important de situer le film dans le Roussillon parce que c’est l’ El Dorado des néo-vignerons qui n’ont pas beaucoup de blé et qui veulent faire du vin. C’est là qu’on peut encore trouver des parcelles et des terres pas trop chères. Les personnes qui sont venues s’installer ont commencé à partir d’une page blanche. C’est beaucoup plus simple de s’affranchir des règles imposées quand on part de zéro plutôt que quand on reçoit un domaine en héritage avec toute la méthodologie qu’on te transmet culturellement.

Il y a d’autres régions en France où ils se passent exactement la même chose. Autour de la Loire, en Anjou ou en Touraine, certains vignerons fonctionnent quasiment de la même manière. On a eu des retours après la projection du film de gens qui étaient enchantés et qui se reconnaissaient dans ce qu’ils avaient vu.

Comment fait-on pour se faire accepter dans une communauté de vignerons natures ?
Il a fallu être patient sur le tournage. Gagner progressivement leur confiance pour qu’ils parlent « naturellement », sans artifice ou volonté de vendre quoi que ce soit. Pour créer ces liens, j’ai passé plus de temps sans la caméra qu’avec. Ils ont une énergie communicative, même s’ils en chient des ronds de chapeau, financièrement ou physiquement. Ils vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : s’il grêle, ils risquent de tout perdre. Et une fois qu’on fait partie de leur environnement et qu’on n’est pas polluant pour eux, on profite de cette énergie.

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Documentaire Vin Nature

Ce sont des vrais agriculteurs. Des taiseux qui ne la ramènent pas. Ils n’ont pas envie d’être sous les projecteurs. Ils ont compris ma démarche. Le refus d’être financé par la télévision parce que c’était un peu comme avoir recours à de la chimie – et on m’aurait probablement dit, « Non, ça fume et ça picole trop ». Je m’étais préparé. Pendant 6-7 mois on va tourner toutes les images nécessaires pour illustrer une histoire que je n’aurais qu’à la fin, quand ils seront vraiment eux-mêmes.

Est-ce qu’il est plus difficile de filmer le vin que les humains ?
Le problème ce sont les gens connaissent assez bien ce milieu. On sait ce qu’est une vigne ou une cave. On peut donc facilement se laisser aller à des images un peu clichées qui emmerdent tout le monde. C’était ma hantise. Je n’avais pas envie d’être chiant. Par contre, en allant sur les contours, en insistant sur des choses qu’on ne montre pas habituellement – là une cuve ouverte avec du jus qui dégouline – on retrouve un peu de poésie et de magie.

L’idée, c’était de montrer le décorum autour de ces vignerons et de coller à ce qu’ils sont. Des mecs de 40 ans qui font partie de leur temps. La plupart d’entre eux sont des zicos – et ils jouent super bien en plus. Du coup, on n’est pas obligé de mettre du violoncelle quand on se balade dans les vignes. On peut mettre un peu de reggae ou un morceau des Clash. Ça marche aussi.

Est-ce qu’il y a des choses que tu as refusé de mettre dans le docu ?
J’ai croisé quelques personnes qui ne comprennent pas la démarche et qui veulent le faire savoir – en expliquant par A+B que ce n’est pas possible de faire du vin sans y ajouter des produits. J’en ai filmé mais, in fine, je ne voyais pas l’intérêt de les laisser. Dans cinq ou dix ans, ils passeront probablement pour des cons. Autant véhiculer une émotion positive. Après, on n’est pas TF1. Quand Michaël Georget (domaine Le Temps Retrouvé) dit que le plus beau jardin qu’il a vu dans sa vie, c’est celui de son père, je me suis mis à chialer en même temps que lui. Au montage, pas besoin de s’appesantir. On peut être touchant tout en restant juste. Même si l’image est belle ou que le mec dit un truc drôle, il faut éviter d’être outrancier. C’était ça qui me guidait. Moi je fais des films que je veux voir comme les vignerons nature font des vins qu'ils ont envie de boire.


Wine Calling de Bruno Sauvard, en salles mercredi 15 octobre

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