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Food

Comment la blockchain va modifier notre rapport à la bouffe

La technologie qui sert de registre au bitcoin pourrait être utilisée pour assurer la transparence et la traçabilité des produits alimentaires.
Photo via Wikimedia Commons user Davidstankiewicz

Imaginez que vous puissiez avoir la certitude que le morceau de mahi-mahi que vous avez englouti hier soir est exactement ce qu’il prétend être ; c’est-à-dire un filet de poisson frais. Imaginez aussi que la moindre transaction réalisée avant qu’il finisse dans votre assiette devienne soudain transparente. Que le moindre de ses mouvements soit traçable sans avoir à dépendre de la surveillance d’une tierce partie.

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La majorité de la nourriture que nous consommons aujourd’hui traverse une série d’interactions que l’on pourrait qualifier de « ridiculement longue » et qui forme les rouages de la chaîne agro-alimentaire. Le processus qui mène du producteur au consommateur peut s’avérer inefficace et coûteux. Il expose même la marchandise à de potentielles contaminations ou escroqueries.

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Angel Versetti, le PDG de la start-up suisse Ambrosus lancée en juin 2017, veut mettre fin à cette opacité. Il compte notamment introduire l’utilisation de la technologie blockchain sur le marché mondial. Comme il l'assure à MUNCHIES, « Ambrosus est une plateforme qui assure la qualité, la sécurité et la traçabilité des aliments de manière vérifiable. »

Sur son site web, la société Ambrosus indique qu’elle utilise effectivement une « combinaison unique de détecteurs, de biodétecteurs et de traceurs alimentaires très fiables qui permettent de contrôler en temps réel les caractéristiques physiques des aliments ainsi que leur environnement. » Versetti explique que l’aspect vraiment révolutionnaire de sa société est le suivant : « On s’attaque à la question de savoir comment tracer les actifs du monde réel tout au long de la blockchain. Cela n’a jamais été fait jusqu’ici. »

Pour le dire simplement, la blockchain est une technologie surtout connue pour être le « registre » du Bitcoin, la célèbre crypto-monnaie. Mais elle pourrait bouleverser le monde bien au-delà du simple échange financier en peer-to-peer. C'est un système de comptabilité public et collectif maintenu par un ensemble collectif d’ordinateurs, sans autorité centralisée chargée d’approuver les transactions. Chaque livre qui compose ce grand « registre » ne peut être changé qu’avec un consensus parmi les participants qui acceptent et valident les transactions. En substance, le collectif surveille et contrôle chaque transaction.

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Walmart a commencé à la tester sur ses systèmes de traçabilité des aliments, déclarant récemment que les résultats obtenus étaient « très encourageants ».

Ambrosus utilise Ethereum, une plateforme décentralisée fondée sur la blockchain et dirigée par une société suisse à but non lucratif. Lorsqu’une transaction par blockchain est validée, un « contrat intelligent » s’exécute automatiquement. D’après Nick Szabo, informaticien cryptographe qui a inventé la formule en 1996, un contrat intelligent est « un ensemble de promesses inscrites sous forme numérique, qui comprend des protocoles que les parties doivent respecter. » Pour valider des transactions au sein d’Ambrosus, nul besoin d’institutions qui fassent autorité – bye bye les banques – la confiance vient de la nature transparente et décentralisée de la plateforme. Le cofondateur d’Ethereum, Gavin Wood, déclarait dans une vidéo, que le système était censé éliminer la nécessité de l’intervention d’un tiers et permettait de résoudre immédiatement les motifs de conflits.

Ambrosus n’est pas la seule start-up, ni même la première, à mettre en avant l’utilisation des blockchains et de cette « comptabilité décentralisée » dans le secteur de l’agriculture. Une société du nom de Filament offre une technologie d’exploitation agricole intelligente et SkuChain propose un suivi le long des chaînes d’approvisionnement. Mais comme l’a dit Versetti, Ambrosus sera « la première place de marché de produits alimentaires fonctionnant grâce à des contrats intelligents ». Il souligne que « l’un des avantages que nous apportons à la chaîne d’approvisionnement, c’est son automatisation. On a donc le mécanisme de paiement et règlement ainsi que les solutions de dépôt, ce qui réduit drastiquement les risques inhérents à l’approvisionnement. »

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Les gros acteurs de l’alimentaire et de l’agriculture étudient également la possibilité d’utiliser cette technologie. Walmart a commencé à la tester sur ses systèmes de traçabilité des aliments, déclarant récemment que les résultats obtenus étaient « très encourageants ». Monsanto et Syngenta étudieraient activement le domaine des technologies agricoles. Mais Versetti se montre critique face aux systèmes de blockchains privés qui ne sont pas ouverts à tout le monde, et qu’il trouve « absurdes ». Il déclare à MUNCHIES : « On veut monter une blockchain publique et dirigée par la communauté où l’information serait digne de confiance. On ne va pas faire de remarques à telle ou telle compagnie sur la façon dont elle met cela en œuvre. On laissera la communauté s’en charger. »

La première transaction agriculteur-acheteur fondée sur des contrats intelligents et réglée par blockchain a été attribuée à David Whillock, producteur de blé australien, en décembre 2016. Une plateforme de gestion des marchandises baptisée AgriDigital a traité les contrats intelligents liés à cette transaction. Sarah Nolet, consultante en technologies agricoles auprès de AgriDigital confie à MUNCHIES que, en dépit de quelques avancées, « l’industrie agricole est la moins numérisée qui soit » et que les changements risquent de prendre du temps.

L’utilisation de cette technologie pourrait apporter des améliorations particulièrement importantes dans le domaine de la traçabilité de produits alimentaires comme les poissons qui font souvent l’objet de fraude.

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« Avant que les blockchains puissent donner la pleine mesure de leur potentiel, à l’instar de bien d’autres technologies, les infrastructures (numérisation, connectivité, etc… et finalement la monnaie numérique) doivent être mises en place. De plus, la valeur proposée doit être claire pour les utilisateurs. » Pour Nolet, l’utilisation de cette nouvelle technologie pourrait apporter des améliorations particulièrement importantes dans le domaine de la traçabilité de produits alimentaires comme les poissons, qui font souvent l’objet de fraude. Versetti nous a dit que, selon lui, les produits alimentaires de la mer, ceux destinés aux bébés et les produits alimentaires de luxe sont des marchés clés pour Ambrosus.

Versetti ajoute qu’Ambrosus commencera ses tests très prochainement. « Dans les 15 jours, peut-être même dès cette semaine, nous allons lancer le Testnet d’Ethereum, la première place de marché de produits alimentaires fonctionnant grâce à des contrats intelligents. » Mais à ses yeux, la participation de la communauté est indispensable à la croissance d’Ambrosus : « Nous fabriquons essentiellement un protocole, mais autour de lui, il y a un système de dApps – des applications décentralisées. Nous utilisons nous-mêmes les premières, dont nous diffusons également le code – qui est déjà en partie sur Github – afin que la communauté puisse développer des éléments additionnels permettant aux agriculteurs et autres membres de la chaîne d’approvisionnement d’en profiter. Tout est en open source. »

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« Un marché proposant des produits alimentaires tracés et dignes de confiance pourrait avoir un impact important, au-delà du simple fait d’assurer aux consommateurs que le poisson qui est dans leur assiette est bien du saumon sauvage », soutient Versetti. « On souhaite aussi voir se développer des systèmes alimentaires qui ne provoquent pas de dégâts sur l’environnement et soient viables sur le long terme afin de pouvoir produire une quantité de nourriture suffisante sans détruire la planète. Une question encore plus sérieuse demeure, le lobbying des puissants acteurs qui utilisent différents intrants chimiques pour produire de la nourriture. »

Ambrosus mise sur le fait qu’un marché fonctionnant grâce aux blockchains pourrait fournir ces garanties : « Ce sont là quelques-uns des défis posés par l’industrie alimentaire et que nous espérons pouvoir relever avec succès. »


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US.