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Je suis la preuve que le whisky n'est pas qu'un alcool pour mecs vieux et chiants

Avec son blog et ses critiques, celle que l'on appelle «The Whisky Lady » brise les clichés et renouvelle, à 26 ans, un univers perçu comme élitiste et très codifié.
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Anne-Sophie Bigot a.k.a « The Whisky Lady » devant quelques précieux flacons. Toutes les photos sont de l'auteur.

Ma vie a basculé lors d'un voyage en Écosse avec Roderick, mon compagnon, lui-même franco-écossais né à Aberdeen. Pendant ce périple, nous avons visité la distillerie d'Auchentoshan, au nord-ouest de Glasgow. Fascinée par cet endroit, j'ai eu une véritable révélation : ce jour-là, j'ai compris que j'adorais le whisky. Bon en fait – vous le comprendrez en me lisant – dans le whisky, tout n'est pas aussi simple et je ne savais pas si j'aimais ce whisky en particulier ou le spiritueux en général.

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En 2013, j'ai décidé d'ouvrir mon blog, que j'ai nommé The Whisky Lady. Je voulais briser le cliché selon lequel le whisky était la chasse gardée de l'homme quinquagénaire un peu bedonnant et essayer de faire souffler un vent de fraîcheur sur un univers perçu comme très codifié et très élitiste. « The Whisky Lady » me paraissait plutôt évocateur, facile à mémoriser et puis, bon, il faut avouer que ça sonnait assez bien ! À la base, je n'ai pas du tout créé mon blog pour me faire remarquer mais pour partager ma passion avec des personnes susceptibles d'être intéressées – chose que je ne pouvais pas faire avec mes amis ou ma famille.

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Cela dit, je ne suis pas un cas isolé : beaucoup de femmes évoluent dans le monde du whisky, à l'instar de Georgie Bell, l'ambassadrice de Bacardi, et de nombreuses femmes qui sont aujourd'hui derrière certaines des maisons les plus reconnues, comme Bowmore en Écosse ou Mackmyra en Suède. Autrefois, au temps des distillations illégales en Écosse, c'étaient même les femmes qui faisaient le whisky !

Auparavant, cet alcool me répugnait. J'avais eu l'occasion de goûter des trucs que tout le monde boit en soirée mais je détestais ça. Pour moi, il était absolument inconcevable que le whisky devienne un jour ma passion ni même mon gagne-pain. Plus jeune, je faisais beaucoup d'équitation, j'avais même mon cheval. J'y ai progressivement renoncé lorsque j'ai quitté Pau pour poursuivre mes études à Bordeaux. Là, j'ai obtenu une licence de chinois. J'avais vaguement l'idée de travailler ensuite dans le business du vin où les Chinois sont très présents. Mon choix n'était pas complètement arrêté, je me cherchais un peu. Après ce voyage en Écosse, tout est devenu plus clair. J'ai réorienté mon projet professionnel autour du whisky – à la grande surprise de ma famille ! Et puis je suis débarquée à Toulouse pour suivre un Master en management « Tourisme et Hôtellerie », que j'ai obtenu en juin 2015.

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Mes deux mémoires de Master s'articulaient autour des questions de stratégie touristique au sein des distilleries. Je me suis par exemple intéressée à la façon dont le tourisme opérait dans la distillerie des Cotswolds en Angleterre. C'est ce que l'on appelle le

spiritourisme

, une pratique qui permet d'associer au voyage la découverte des spiritueux locaux. Le spiritourisme est apparu dans les années quatre-vingt-dix chez nous mais il avait cours dès les années soixante, par exemple, en Écosse. La problématique est la suivante : comment améliorer l'expérience visiteur au sein d'une distillerie ? Je trouve que, partout, les visites se ressemblent trop, elles manquent d'originalité. Il y a pourtant tellement à faire dans le domaine ludo-éducatif. Un tel sujet de recherche était complètement inédit en France. Cette première a d'ailleurs suscité l'intérêt de professionnels et de grandes sociétés. On m'a même proposé de continuer dans cette voie-là et d'en faire un doctorat. Je n'ai pas donné suite mais peut-être un jour, qui sait…

Ce qui m'intéresse dans l'univers de whisky, c'est ce qu'il y a derrière le produit : les hommes, les techniques, le savoir-faire multiséculaire.

Ce qui m'intéresse dans l'univers de whisky, c'est ce qu'il y a derrière le produit : les hommes, les techniques, le savoir-faire multiséculaire… Au point que je considère une bouteille de whisky comme un véritable objet d'art. Après mon Master, j'ai été embauchée chez un distributeur de whisky à Bordeaux. Je m'occupais du marketing digital, mon autre dada. Mais je ne m'épanouissais pas. J'en suis partie avec l'envie de créer ma propre entreprise. Aujourd'hui, mes activités se partagent entre mon blog, des missions de consulting pour les distilleries et un rôle de commissaire-priseur lors des ventes aux enchères de whiskies sur la plateforme néerlandaise Catawiki, où l'on ne trouve que des biens d'exception.

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Le whisky occupe désormais tout mon temps. Dès le réveil, je saute sur ma messagerie pour lire les communiqués de presse et je vais consulter les dernières informations sur le secteur. Je passe facilement entre cinq et sept heures par jour à me documenter. C'est une addiction, je le sais, mais il n'y a rien d'extravagant pour moi à faire cela tant le whisky anime ma passion. Par chance, c'est aussi une passion de couple ! Roderick a quitté son poste d'ingénieur chez Airbus et s'apprête à ouvrir le premier bar à whisky de Toulouse, au sein duquel on trouvera même une micro-brasserie. L'objectif sera de proposer la plus grande sélection de whiskies dans le Sud de la France. Nous revenons justement d'Écosse : pour se perfectionner, Roderick a travaillé successivement au Pot Still à Glasgow puis à la Scotch Malt Whisky Society à Édimbourg, deux établissements très différents mais qui font référence.

J'ai un peu de mal avec toute la « hype » autour du whisky japonais.

Je me suis mise à m'intéresser au monde du whisky il y a cinq ans environ et je ne me considère pas encore comme une experte – en face, certains spécialistes ont jusqu'à vingt ans de pratique. Je me qualifierai plutôt d'amatrice éclairée : depuis cinq ans, je déguste, je teste du whisky tous les jours. Tous les jours, je reçois des échantillons du monde entier. Le nez est très important dans la dégustation, il faut parvenir à se créer une banque d'arômes. Il m'arrive bien sûr encore d'acheter une bouteille de whisky, le plus souvent lorsque la curiosité me pique, quand je ne connais pas la distillerie. Ou, au contraire, quand je suis déjà familière avec la distillerie ou la marque et qu'en plus, je succombe au packaging. Je peux aimer le single malt comme le blend. J'ai, par contre, un peu de mal avec toute la « hype » autour du whisky japonais. Celui-ci est susceptible d'atteindre des prix énormes pour les meilleurs flacons, juste parce qu'il reçoit une critique positive dans une revue spécialisée. Ailleurs, pour 50 € la bouteille, et même moins, il est possible de trouver un whisky de très grande qualité.

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Au reste, le whisky devient de plus en plus un produit très tendance pour les investisseurs. Il s'avère moins risqué que d'autres formes d'investissements puisque, en achetant certaines bouteilles, on est presque sûr de les revendre plus cher. En effet, à la différence du vin, le whisky ne vieillit pas en bouteille. Un whisky de 15 ans d'âge restera toujours un whisky de 15 ans d'âge, quelle que soit la durée de sa conservation. Il faut simplement veiller à le conserver dans de bonnes conditions. Ce qui fait la valeur d'une bonne bouteille de whisky, c'est principalement la rareté de son stock. C'est le cas des bouteilles provenant de distilleries fermées ou encore des éditions limitées.

Aux enchères, une bouteille exceptionnelle peut même atteindre les 150 000 dollars.

Sur l'île d'Islay, en Écosse, on compte 3 000 habitants pour huit distilleries en activité. On y produit en majorité un whisky tourbé/fumé. À Islay, la distillerie de Port Ellen a fermé au début des années quatre-vingt. On trouve encore sur le marché des bouteilles de Port Ellen et elles sont aujourd'hui particulièrement recherchées par les collectionneurs et les investisseurs. Aux enchères, une bouteille exceptionnelle peut même atteindre les 150 000 dollars. Dernièrement, les prix records atteints aux enchères ont été réalisés sur des bouteilles de Karuizawa (distillerie fermée japonaise), Pappy Van Winkle (whiskey américain) ou encore Macallan (distillerie écossaise du Speyside encore en activité).

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En fait, je me rends compte que le jour où j'ai découvert le whisky, j'ai eu beaucoup de chance. Je suis tombé sur un Auchentoshan, triplement distillé en Écosse… et je sais aujourd'hui que ses expressions sont très faciles d'accès. En effet, plus on distille un spiritueux, plus le distillat est fort à la sortie de l'alambic et donc plus son profil aromatique est léger. En outre, le whisky que j'ai goûté, le Springwood d'Auchentoshan, est très floral, typique des Lowlands, les basses terres écossaises. Je me demande encore aujourd'hui si avec un autre whisky, j'aurais été séduite pareil… Quoiqu'il en soit, c'est lui qui m'a fait plongé dedans et ce, pour encore un bon bout de temps.

Propos rapportés par Philippe Kallenbrunn.

Anne-Sophie Bigot aurait pu devenir cavalière ou prof de chinois mais c'est finalement dans la marmite du whisky qu'elle est tombée, presque par hasard. À 26 ans, elle a acquis une expertise de tout premier ordre et est devenue une figure pour les amateurs de whisky. Depuis 5 ans, elle parle, vit et boit whisky sur son blog : The Whisky Lady.