Dans les vignes de la Napa Valley avec celle qui murmure à l'oreille des faucons

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Dans les vignes de la Napa Valley avec celle qui murmure à l'oreille des faucons

En Californie, les vignerons font appel à Rebecca Rosen et ses faucons pour faire fuir les petits-oiseaux nuisibles qui dévorent le raisin.

Dans la lumière brumeuse de l'après-midi, tandis que le soleil brille sur le vignoble « Bouchaine Vineyards » à Napa Valley, Rebecca Rosen marche entre les vignes, une tresse épaisse de cheveux blonds coulant le long de son épaule gauche. Son faucon de race hybride Gyr-Prairie – un impressionnant spécimen marron et blanc d'à peu près trente centimètres de haut, avec des griffes jaunes et un casque en cuir qui couvre son crâne et ses yeux –, est perché sur son autre épaule.

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C'est le quatrième vignoble au programme de Rebecca aujourd'hui, et elle en visitera probablement deux de plus avant la fin de la journée. Pendant la saison des récoltes, ses services de fauconnière sont très demandés. Après avoir murmuré quelques mots d'encouragement dans le cou plumeux du faucon, Rebecca enlève son casque, le caresse doucement, et puis l'envoie en l'air dans le ciel bleu azur, où il déploie ses ailes et commence à faire de grands cercles autour du vignoble, donnant à voir son envergure de plus d'un mètre à des kilomètres. Depuis le sol, Rebecca le regarde fièrement ; après quelques minutes, quand le faucon a fait savoir sa présence à tous les oiseaux du coin, Rebecca envoie une corde en l'air pour lui signaler de revenir. Quand il est de retour sur son bras, elle lui remet son casque, et lui tend un petit poussin vivant – sa récompense pour ses efforts.

Si les vignobles profitent généralement de la biodiversité – certains des gros insectes présents dans les vignes mangent par exemple naturellement d'autres insectes les plus nuisibles – ils rencontrent en revanche pas mal de difficultés quand il s'agit de lutter les petits oiseaux qui se nourrissent de raisin. Une nuisance d'autant plus forte quand elle intervient au moment où les grappes atteignent la fin de leur croissance et que les vignerons comptent sur elles pour gagner leur vie – particulièrement ici, dans la Napa Valley, qui produit un vin qui se revend assez cher.

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Avoir recours à des prédateurs comme les aigles ou les faucons est une manière naturelle et simple de lutter contre les petits oiseaux nuisibles – le tout à distance et sans violence. Le faucon de Rebecca, baptisé Ziggy, n'est en fait qu'un leurre : il ne chasse pas vraiment, mais effraie juste les oiseaux consommateurs de grains de raisin par sa présence imposante.

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Rebecca Rosen. Toutes les photos sont de Jon McPherson pour Napa Valley Vintners.

« Pour une raison que l'on n'explique pas, Ziggy n'a jamais été intéressé par la chasse » explique Rebecca. « Et ça tombe bien car au final, la plupart de nos faucons ne chassent pas à proprement parler – ils sont entraînés à voler aux leurres. » Ziggy, l'un des neuf faucons avec lesquels Rebecca travaille, est né dans un élevage et sa nature unique le rend idéal pour ce type d'usage.

Rebecca a lancé sa boîte, Authentic Abatement, en 2011, après avoir passé plusieurs années à apprendre l'art de la fauconnerie. Elle gagne aujourd'hui sa vie dans ce qui est probablement l'une des professions les plus inhabituelles et difficiles de la planète. En plus des vignobles, Rebecca utilise ses faucons dans des exploitations laitières, des bases de l'armée de l'air, des centrales nucléaires et des raffineries industrielles. « C'est une compétence et un art, et chaque fauconnier le fait un peu différemment, explique Rebecca. Pour éduquer un oiseau, il faut prendre en compte son passé, s'il sort juste d'un élevage. Il faut d'abord le calmer et l'associer à la nourriture. Cela peut prendre plusieurs semaines comme plusieurs mois. »

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Même si la Californie est depuis longtemps dominée par l'agriculture, ce n'est que depuis les années soixante-dix, quand la réputation de la Napa Valley a commencé à grandir – grâce à un blind test appelé le Jugement de Paris, où un Cabernet de la Napa Valley a battu son équivalent français, à la surprise générale – que la culture du vin est devenue une monoculture efficace dans la région.

En Californie, un décret de préservation de l'agriculture a été promulgué en 1968 pour protéger les écosystèmes (forêts et rivières) d'éventuelles altérations qui pourraient leur être néfastes, et la prolifération des vignobles en fait partie – mais au final, seulement un total de 130 kilomètres carrés est protégé par ce décret. Si 9 % des terres de la Napa Valley sont des vignobles, cela représente quand même 182 kilomètres carrés de viticulture qui a bien sûr un effet sur l'environnement.

« À cause de la monoculture dans la North Bay, il y a une surreprésentation de certaines espèces – quelques espèces d'oiseaux qui sont vraiment adaptables à cet habitat, dit Rebecca. C'est ça qui a créé l'énorme augmentation de leur population ». Le problème, c'est que ces quelques espèces chassent les autres oiseaux originaires de la région comme les cailles, les moineaux, les moucherolles, qui préfèrent bouffer des insectes ou des graines plutôt que des raisins. Le réchauffement climatique et des hivers moins froids contribuent à la décimation des habitats des oiseaux de souche, dit Rebecca. Une fierté pour elle est que ses faucons adorés aident à combattre ce fléau des oiseaux-mangeurs-de-raisins.

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« Les oiseaux restent ensemble en blocs pour se sentir en sécurité, explique Rebecca. Le faucon brise le bloc, et les pousse à former de petits groupes, qui se séparent. Les oiseaux bleus, ils sont nécessaires aux vignobles, et ce sont ceux qui restent. On ne veut pas d'un vignoble stérile sans oiseaux. » Au contraire, les oiseaux natifs de la région provoquent seulement un « petit volume » de dommages dans les vignobles mais dans le même temps, « ils aident à répandre les graines et à manger les insectes. »

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L'auteur en compagnie d'un faucon encapuchonné.

En plus d'avoir recours à Rebecca et à d'autres fauconniers pour venir faire le ménage dans leurs vignobles, les vignerons de la Napa Valley ont installé des cabanes à oiseaux en bois dans leurs vignes pour que d'autres prédateurs naturels comme les hiboux viennent s'y installer. Mais les petits oiseaux qui se font le bec sur les grappes ne sont pas les seules menaces à la culture du raisin : les vignerons craignent aussi les dindes sauvages. L'animal, dont l'État de Californie a encouragé l'élevage pour les besoins de la chasse, est connu pour se nourrir des fruits qui poussent au plus près du sol, comme le raisin. Et surtout les cépages les plus sucrés, comme le merlot. Les dindes ne peuvent pas vraiment être chassées par les faucons, nous dit Rebecca. La fauconnerie n'est pas la solution miracle à tous les maux des vignerons, et Rebecca concède qu'elle a aussi ses inconvénients – parfois, explique-t-elle, les oiseaux mangeurs de raisin reviennent juste quelques heures après qu'elle ait laissé son faucon faire son travail, et elle doit répéter le rituel pour un double effet. Mais la fauconnerie apporte définitivement une partie de la solution face aux problèmes rencontrés par les professionnels de la monoculture du raisin. Les fauconniers contribuent quant à eux à la bonne santé générale de l'industrie du vin locale et permettent aussi par la même occasion à l'écosystème de prospérer.

Pour devenir un fauconnier de haut vol comme Rebecca, il faut commencer par être fauconnier amateur. Au bout de quelques années d'entraînement, on peut commencer à apprendre l'art de la chasse de haut vol. Ensuite, il y a une période de cinq ans avant de pouvoir légalement obtenir une licence. Mais le dur labeur finit par payer : Rebecca travaille sans discontinuité pendant les vendanges qui, dans la Napa Valley, courent entre août, pour les grappes qui doivent être cueillies le plus tôt, et fin septembre pour les variétés de Bordeaux qui ont besoin de plus de temps. Elle visite jusqu'à dix vignobles par jour pendant cette période, mais une fois que c'est fini, elle peut prendre quelques mois off. Il y a aussi un gros avantage à passer toute sa journée dehors, dans l'air frais et le soleil de Californie. Et pour les amoureux des animaux, c'est un super-boulot : « la relation avec les oiseaux est géniale. Je le comparerais au fait de monter à cheval », dit Rebecca. Chaque relation est « unique et individuelle » et basée sur la confiance.

Bien sûr, on se dit que l'un des avantages du job, c'est forcément que l'on doit avoir accès à quelques bouteilles de pinard pas trop dégueus. Mais pas de bol, les vins préférés de Rebecca viennent des vignobles du Coronado, dans son État originaire de l'Arizona ; elle est particulièrement friande de leurs rieslings. Quand ses clients de la Napa Valley lui donnent des bouteilles, Rebecca les garde pour des occasions spéciales, quand elle est le plus disposée à savourer quelque chose qu'elle – et sa flotte de faucons loyaux – a aidé à préserver.