Comment je me suis préparé à la future apocalypse qui attend les restaus

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Comment je me suis préparé à la future apocalypse qui attend les restaus

En 2050, Matt Orlando pense qu'il n'y aura plus que des fast-food dans les villes et que les chefs seront obligés de cultiver leur propre ingrédients.

On a fait une bonne journée aujourd'hui. On a même pu mettre des betteraves au menu. Ça faisait deux ans que ça n'était pas arrivé. qu'on a écrit. La nouvelle s'est répandue sur les réseaux sociaux et les clients ont commencé à faire la queue devant le restau. On aurait dit qu'Elvis était revenu d'entre les morts pour un dernier bœuf.

Après le service, on s'est tous réuni avec la brigade dans le jardin. Sur l'eau se reflétaient les néons de la ville et ses gratte-ciel. Ça faisait des années que le dernier vrai chef avait quitté le centre de Copenhague. Là-bas, on ne voyait plus que des fast-foods servant du gras et des tomates synthétiques. À part les multinationales, personne n'a les moyens de s'installer en centre-ville, surtout pour y vendre de la merde. Nous, on résiste ici, dans notre utopie auto-suffisante, avec pour seules armes notre compost, notre ambition culinaire et des restes fermentés.

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Quand je pense au futur des restaurants, ce que je décris au-dessus n'est pas qu'une scène de science-fiction qui me fait froid dans le dos. C'est aussi une perspective qui pourrait bien s'avérer plus réaliste que prévue. Depuis qu'on a installé notre restaurant, Amass, sur un vieux site industriel abandonné de Copenhague, on se prépare à un tel scénario dans le futur. 2050, on t'attend.

Le point essentiel de notre projet, c'est notre installation en dehors du centre-ville. Dans le futur, je suis persuadé que les très bons restaurants devront forcément sortir des métropoles. L'immobilier va devenir trop cher et il sera bientôt impossible de travailler en respectant l'environnement sans un espace dédié pour le compost, le recyclage et le triage des déchets. Seules les chaînes de fast-foods pourront survivre dans ces zones urbaines car le gouvernement imposera des taxes en fonction du rapport entre la quantité de nourriture servie et la quantité de déchets produits. Votre petit bistrot du coin n'existera plus. Il n'y aura que les géants de l'agro-alimentaire qui pourront continuer à déverser leur daube.

Pour faire de la bonne cuisine, vous serez plus ou moins contraints de cultiver vous-mêmes les produits. Impossible d'importer quoi que ce soit à cause des frais de transports. Dans le futur, les gouvernements imposeront des taxes exorbitantes sur les émissions de gaz carbonique. Comme il sera impossible de se faire livrer des ingrédients de l'étranger, la cuisine deviendra nécessairement locale. En tant que chefs, nous accueillerons la nouvelle à bras ouverts. Ce sera fascinant. En voyageant dans une autre région, on découvrira une vraie définition de son terroir – on le mangera pas parce que c'est à la mode mais parce qu'on ne pourra pas faire autrement.

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Si vous venez au Danemark par exemple, aucun plat ne contiendra de citrons ou de l'huile d'olive. Tout sera assaisonné au vinaigre. Cela va vraiment pousser les chefs à n'utiliser que ce qui est produit à proximité.

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Dans le futur, les chefs n'auront même plus les moyens de cuisiner les meilleurs morceaux. Le chateaubriand ne sera plus qu'un lointain souvenir. Actuellement, certains chefs adoptent déjà cette approche et redécouvrent les abats ou la cuisine au sang. Mais au niveau de l'industrie de la viande, ce n'est pas encore la norme. Un jour, on ne parlera plus de « sous-produits » mais de produits tout court.

Tout le monde sait qu'à l'avenir, il ne sera plus possible de manger du bœuf. Il sera relégué au rang d'aliment de luxe et les bêtes seront élevées avec grand soin. Ça ne s'arrête pas là. Certains fruits et légumes deviendront eux aussi des produits recherchés : les fraises mais aussi les carottes ou les betteraves. Dans ce futur apocalyptique la quantité de terre cultivable pourrait diminuer drastiquement, rendant presque impossible la culture des légumes racines.

Les chefs devront constamment adapter leur menu et leurs plats. Il n'y aura pas de place pour le manque de créativité, aucun filet de sécurité. Comme il sera impossible d'acheter des tomates cultivées en Espagne ou même en Hollande, les chefs ne pourront pas conserver un plat classique les utilisant jusqu'à l'automne. Les clients aussi vont découvrir que la nourriture est une ressource limitée. Les chefs apprendront à jardiner et à mettre en valeur tout le produit. Prenez le céleri, par exemple : il y a la racine, la tige et les feuilles. Il faudra utiliser tout ce qui est comestible.

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Je pense à tout ça – au futur des restaurants, à cette métropole dystopique remplie de néons et de fast-foods – quand je vais m'asseoir dans notre jardin de compostage utopique. Le principe de ce que nous faisons ici est de réfléchir dès maintenant aux enjeux de demain. Nous essayons d'être pro-actifs. Si nous ne réagissons qu'en tant que chefs, il sera trop tard. Ceux qui commencent à s'adapter aujourd'hui auront un train d'avance.

Une façon de relever ce défi est de ne cuisiner que ce qui vient de notre jardin. Bien sûr, il nous faut aussi du beurre ou de l'huile, mais c'est tout. Pas de protéine, pas d'ajout. Composer entièrement un menu à base des produits de notre jardin, voilà un challenge que j'ai envie de relever. On aurait des carottes, des topinambours, des tiges de choux rôties, du céleri braisé. Ce serait comme une machine à voyager dans le temps qui nous montrerait l'assiette du futur. Et on pourrait même peut-être se permettre de mettre des betteraves au menu.

Propos rapportés par Lars Hinnerskov Eriksen.

Matt Orlando est le chef et le proprio du restaurant Amass de Copenhague.