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Bienvenue dans le Kerala, le seul État indien où l'on mange les vaches

En Inde, pour la majorité hindoue de la population, les vaches sont considérées comme des êtres sacrés. Mais dans l'État du Kerala, on mange de la barbaque de bœuf depuis 200 ans.

En Inde, les traditions sont omniprésentes – particulièrement sur les plages et dans les rues, où il n'est pas rare de croiser des vaches allongées au milieu de la circulation. Pour la majorité hindoue de la population, les vaches sont considérées comme des êtres sacrés. Selon la mythologie, les vaches sont les enfants d'une déesse qui prend aussi la forme de la Mère Divine, Dev.

Les lois indiennes reconnaissent et respectent cette croyance spirituelle puisqu'il est illégal d'abattre des vaches dans plus de 29 états du pays. Un seul état l'autorise, cependant, c'est le Kerala : manger du bœuf y est non seulement légal et accepté, mais c'est aussi une tradition culturelle importante.

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Dans le Kerala donc – cet État indien de la côte connu pour ses coins peinards et sa production d'épices – on a commencé à consommer du bœuf il y a environ 2 000 ans, quand la coutume a été introduite par les Nasranis (les Syriens chrétiens). Dans certaines régions du Kerala, il y a même un dicton qui dit : « Un repas nasrani n'est pas complet sans beef fry », ce plat local, hyper populaire, composé de bœuf rôti en morceaux, assaisonné de piment, de cardamome, de poivre et de la cannelle.

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Le fameux « beef fry » du Kerala. Photo de l'auteur.

« Ici, tout le monde grandi en mangeant du bœuf », explique Prima Kurien, une chef qui a grandi à Kottayam, l'une des villes du Kerala. « On a du bœuf sur la table une fois par jour, au moins trois ou quatre fois par semaine. C'est pour ça que toute cette controverse sur le bœuf nous fait peur. »

Car historiquement, manger du bœuf est un sujet tabou en Inde et récemment, c'est un débat qui est devenu plus chaud que jamais. En octobre, sur dénonciation d'un groupe politique hindou conservateur, la police a fait une descente dans une cantine de New Delhi qui servait de la cuisine du Kerala – et de la viande donc, illégalement. La descente a fait scandale car pour les médias indiens, le restaurant servait en réalité du buffle – qui est souvent pris pour du bœuf mais dont la consommation de viande est autorisée.

Ce n'est pas tout. L'année dernière dans le nord de l'Inde, un homme musulman a été battu à mort après avoir été accusé de manger du bœuf régulièrement. Et depuis le raid de la police à New Delhi, les politiciens et citoyens du Kerala ont été scandalisés par ce qu'ils considèrent être un manque de respect envers leur culture, et une entrave du gouvernement à leur liberté de choisir ce qu'ils mangent.

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Prima Kurien est aujourd'hui traiteur et cuisine les plats traditionnels du Kerala à Delhi : elle prépare donc du bœuf, à la demande. Du bœuf au curry, mais aussi en petits steaks hachés, comme elle avait l'habitude d'en manger quand elle était enfant. Elle explique que l'une de ses priorités est que cela doit toujours rester assez secret et discret.

« Je fais très attention, dit-elle. Si je devais servir de la nourriture à un événement public, je ne ferais jamais de bœuf. Je le sers uniquement pour des événements privés et si c'est une demande spécifique. Pourquoi est-ce que je m'attirerais des problèmes inutilement ? »

Prima explique qu'au Kerala, le bœuf est un plat traditionnel qui est dégusté par tout le monde, quelle que soit sa religion, et que ses clients de Delhi ont aussi des profils très différents : « Il y a tous les types de gens – des Hindous, des Chrétiens, des Musulmans, peu importe – et ils veulent essayer quelque chose de nouveau. C'est une époque très intéressante pour être chef en Inde. Les gens s'ouvrent peu à peu à tous les types de cuisines – même les sushis. L'Inde est vraiment en train de s'ouvrir aux cuisines du monde en ce moment. »

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Du « beef fry » servi dans une dosa (une galette de lentille). Photo de l'auteur.

Mais alors que la classe moyenne émergente du pays s'ouvre à tout un tas de nouvelles cuisines, le Kerala se détache lui aussi peu à peu de ses traditions, à sa manière.

« Dans la ville ou je suis née, au fur et à mesure des années, j'ai observé que les gens mangaient de moins en moins de viande rouge pour des questions de santé », dit Prima.

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De la même manière, il n'est pas toujours facile de trouver du « beef fry » (ou ulariyathu, tel qu'il est connu dans le langage local malayi), sauf si on sait où aller.

LeZuri Kumarakom, un resort luxueux du Kerala, sert beaucoup de plats traditionnels locaux, mais le seul bœuf présent sur le menu est en fait du steak importé d'Écosse.

« On ne pourrait jamais le trouver dans la région parce qu'il ne correspondrait pas à nos standards d'hygiène et de qualité, explique le chef exécutif Macs Millan Colbey. Dans notre restaurant, nous avons dû créer un menu qui ne plait pas seulement aux touristes indiens, mais aussi à la grande majorité de nos clients qui viennent des pays arabes. Le bœuf n'est simplement pas une priorité. »

En 2006, une étude de l'ONG Kerala Shastra Sahitya Parishad a montré que seulement 7% des foyers de cet état du sud mangeaient du bœuf tous les jours, alors que 60% mangeaient du poisson quotidiennement.

« On a grandi avec une cuisine très variée », poursuit Macs Milan Colbey, de culture chrétienne et natif du Kerala. « Mais on mangeait plus de poisson frais et de curry de poisson qu'autre chose ».

Prima Kurien, quant à elle, pense que la cuisine des plats de bœuf est une tradition qui vaut la peine d'être entretenue : « On est assez fiers de notre bœuf, mais en fait on est fiers de notre cuisine en général, explique-t-elle. Le bœuf est l'un des plats de la cuisine traditionnelle du Kerala, et en même temps, c'est loin d'être le seul ».