Manger comme un Portugais un jour de finale
Photo : Philippe Kallenbrunn

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Manger comme un Portugais un jour de finale

Pieds de porc, pasteis de nata, Super Bock et rouge qui tache : on a cassé la croute chez Paulino, le petit troquet où se retrouve la communauté portugaise de Muret.

C'est un petit bout de Portugal que Paulino Fernandes Alves et son épouse Brigitte ont planté en plein coeur de Muret, au coin de la place de la République. Le couple a quitté Monçao il y a 17 ans, modeste cité thermale à l'extrême nord du pays. En 2007, les tourtereaux ont ouvert leur troquet dans la sous-préfecture de la Haute-Garonne. Très vite, la « Cafetaria Paulino » est devenue le point de rendez-vous des membres de la communauté lusitanienne, en nombre dans les environs de la cité natale de Clément Ader, pionnier de l'aviation.

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Muret brigitte et paulino 1

Les tauliers : Brigitte et Paulino. Toutes les photos sont de l'auteur.

Tôt le matin, les habitués, ouvriers du bâtiment pour la plupart, y prennent le café dans lequel ils glissent un shot de Porto blanc ou de Moscatel, tradition oblige, histoire de se mettre en jambe pour la journée.

Muret Brigitte 1

Au comptoir, on rallonge souvent son petit noir à l'eau-de-vie.

Pas n'importe quel expresso, évidemment. Ici, le café se nomme Delta, marque fondée au début des années 60 par Manuel Rui Nabeiro à Campo Maior, province de l'Alentejo. Un vrai bon petit noir, dont l'arôme puissant cartonne en bouche.

Au petit-déjeuner, les plus gourmands l'accompagnent de l'un de ces flancs pâtissiers portugais, les « pasteis de nata », qui garnissent l'étal des douceurs sucrées chez Paulino. Ces délicieux gâteaux croquants à la crême auraient été inventés et commercialisés par les moines du monastère des Hyéronymites, à Belem, soucieux d'arrondir leurs fins de mois, dans la première moitié du XIXe siècle.

Muret pasteis de nata 2

L'essence de la douceur portugaise, les Pasteis de Nata.

Côté bondieuserie, la « cafetaria » muretaine n'est pas pas en reste. Une dizaine de statuettes alignées en rang d'oignon à l'effigie de plusieurs saints dont Brigitte ignore les noms protègent le lieu, et c'est bien là l'essentiel. Anachronisme total : les figurines ultra kitsch qui montent la garde côtoient le dispositif de vidéosurveillance.

muret Fatima 1

Devant notre hébétement, la patronne pointe la plus haute d'entre elles : « C'est celle de Fatima, la première que nous avons installée. C'est un peu comme Lourdes ici en France. » Le Portugais est pieux, ce n'est pas un cliché.

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muret Astro

Ces jours-ci, à vrai dire, les clients de Paulino attendent surtout la Providence au tournant, un peu comme lorsqu'ils s'en remettent à la chance au grattage des Astro, ces tickets miracles de La Française des Jeux dont ils semblent tellement friands. C'est elle qui devra aider Cristiano Ronaldo et sa bande à battre la France lors de la finale de l'Euro.Un match pas tout à fait comme les autres qui suscite une longue attente : qu'un nouvel entrant passe la porte de la boutique et voilà que l'on se remet inlassablement à parler de foot.

muret Diego fils de Paulino

Chacun y va de son pronostic, tandis que, jouxtant une coupe, la photo de Diego, le fils de la famille, lui-même joueur de ballon rond, surplombe l'assistance.

Il existe une distinction très nette entre la cuisine du nord et celle du sud, à l'image de l'environnement naturel du Portugal : vert au nord, et de plus en plus sec au fur et à mesure qu'on descend vers l'Algarve.

Francisco Pinto, l'un des fidèles clients de Paulino, grande gueule, crâne ridé et tondu, mains de bucherons, se plaît à rappeler que la mère d'Antoine Griezmann, le Zorro des Bleus, est elle-même portugaise. Et que le meneur de jeu de la sélection lusitanienne, Adrien Silva, est né à Angoulême. Comme pour mieux se souvenir de la proximité de sang et l'amitié qui lient les deux pays.

Ce France-Portugal, point d'orgue de l'Euro 2016, sera d'abord le prétexte à une fiesta bon enfant sur la place centrale de Muret. Paulino ouvre exceptionnellement dimanche : la mairie l'a autorisé à diffuser la finale et à organiser une grillade géante en terrasse. La Sagres et la Super Bock, les deux bières portugaises, vont couler à flot. Si la Super Bock , made in Porto, est réputée comme étant la mousse la plus populaire, c'est la Sagres, la bière de Lisbonne (bien qu'elle porte le nom d'une ville de l'Algarve), qui se déguste le mieux devant le futebol. Et pour cause : la marque est le partenaire officiel de la « seleçao » nationale depuis 1993. À « beba com moderaçao », par contre !

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D'ici là, Paulino aura pétri quelques dizaines de pains de maïs. Ceux-ci comptent parmi les plus fameuses spécialités du Portugal, dont la croûte épaisse favorise la conservation pendant plusieurs jours. Dimanche, la grillade ne sera en réalité qu'un mets de circonstance, dicté par l'événement.

Dans l'assiette, au quotidien, on trouve plutôt chez Paulino des plats typiques : pieds de porc, sardines frites, gésiers de poulet, foies de porc aux poivrons et aux oignons. Ou encore cette sorte de ragoût de porc et tripes façon « minho », ainsi que nous le précise Brigitte, c'est-à-dire tel qu'on le cuisine dans le nord du pays.

Car il existe une distinction très nette entre la cuisine du nord et celle du sud, à l'image de l'environnement naturel du Portugal : vert au nord, et de plus en plus sec au fur et à mesure qu'on descend vers l'Algarve. Cette démarcation gustative se retrouve d'ailleurs aussi dans les vins : rouges pétillants au nord, mais sans bulle au sud, à l'instar du Carmim Reguengos, un breuvage de l'Alentejo pour les solides, qui affiche 13,5 degrés.

muret sardines frites

Chez Paulino, on peut aussi suivre l'actualité du Portugal à la télé. Qui n'est pas toujours rose. Domingos Pires, un habitué des lieux, lunettes d'intello et barbe blanche, nous raconte entre deux bouchées de tripes, comment la crise de l'immobilier a bouleversé sa vie. Chef d'une petite entreprise du bâtiment dans la région de Castelo Branco, il a fait soudainement faillite et s'est trouvé contraint de venir chercher du travail dans l'Hexagone, alors qu'il avait 49 ans.

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muret Domingos Pires et Francisco Pinto

Il approche les 60 ans aujourd'hui, oeuvre comme maçon pour 1600 euros par mois qu'il envoie presque intégralement à sa famille restée au pays, et vit à Noé dans un logement aménagé au sein même de l'entrepôt de la boîte qui l'emploie, en compagnie d'autres ouvriers.

Pendant ce temps, Sic Noticias, la chaîne d'information en continu, défile sur l'écran, non sans un je ne sais quoi de surréaliste. En ce jour de veille de finale de l'Euro, une émission consacrée au football se joue en effet sous nos yeux : en direct depuis les plages de la région de Lisbonne, les reporters interrogent les vacanciers en maillot, à même le sable. Pourquoi cette démesure ? Le Portugal n'a jamais remporté l'Euro et le football, Notre-Dame de Fatima nous l'accordera, campe une véritable religion au pays de Fernando Pessoa.

Si la « seleçao » vainc le signe indien dimanche, cela vaudra bien quelques rasades supplémentaires de Brandy 1920, cette « agua ardente » (eau de vie) délicate avec laquelle certains Lusitaniens rallongent à la louche leur expresso Delta d'après-repas.

muret supporters 2

Chez Paulino, si on a choisi son camp, forcément, on n'en reste pas moins beaux joueurs : « Que le meilleur gagne ! », nous dit-on. Fairplay.