Le mec qui avait testé toutes les pizzas de Manhattan

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Le mec qui avait testé toutes les pizzas de Manhattan

On a parlé à Colin Hagendorf, un fanatique qui a passé sa vie à noter les pizzas sur une échelle de 1 à 8 pour finalement toutes les condenser dans un livre.

Tout le monde aime la pizza. Les gens s'imaginent donc qu'en bouffant de la pizza, tout le monde va les aimer pareil. Mais en vrai, qui a envie d'être assimilé à truc consensuel comme ça ? On pourrait penser que, parce qu'elle revêt un certain caractère social, la pizza possède un certain charme. Mais pour cette même raison, elle n'en possède aucun. Se revendiquer fan de pizza, c'est vraiment le choix le plus foireux que l'on puisse faire – à part peut-être, celui de mettre un patch des Foo Fighters sur son sac à dos.

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– Sara Rocco, Why I Hate Pizza

À l'extrême opposé de Sara Rocco, qui déteste clairement les pizzas, on trouve des fanatiques comme Colin Atrophy Hagendoft. Dans son livre « Slice Harvester, A Memoir in Pizza », il part en quête de la part de pizza parfaite. Mais pas que. Car au détour de son bouquin, on découvre aussi à quel point il continue d'aimer la ville de New York malgré sa gentrification, comment il est un jour parvenu à sortir avec Phoebe Cates. On le suit aussi se prendre des cuites et aller dans des concerts de groupes qui n'ont rien à voir avec les Foo Fighters en même temps qu'il cite Frank O'hara et Tuli Kupfernberg et qu'il explique les nuances entre judéité et judaïsme. Enfin, au hasard de quelques pages, il prend aussi le temps de décrire le spectacle des pigeons en train de picorer son vomi.

Mais revenons à nos pizzas.

« Pour que je donne une bonne note à une part de pizza, il faut qu'un ensemble de facteurs soient réunis, consent-il à m'expliquer enfin. Il ne faut pas que la pâte soit trop épaisse. Il ne faut pas trop de sauce, sinon ça dégouline. Il ne faut pas trop de fromage non plus. Dans l'idéal, il faut que rien ne me choque. Je suis assez exigeant. »

On pourrait croire, naïvement, que la capacité à juger de la qualité d'une part de pizza est quelque chose à la portée de tout le monde mais à écouter Colin, j'en viens à penser le contraire. Partir en quête de la part de la pizza parfaite s'avère relever d'une entreprise beaucoup plus subtile, pleine de nuances : « Il faut que la pâte soit croustillante mais en même, elle doit pouvoir être capable de se plier facilement. Il ne faut pas que la part de pizza ne vous brûle le palais, évidemment. Et les proportions de sel sont importantes : est-ce que la pâte est trop salée ? Ou bien le fromage pas assez ? Et la sauce ? Il ne faut pas que la sauce soit trop sucrée, mais elle doit l'être un peu quand même. Il faut que la pâte soit légère, pas trop lourde – je dirais qu'elle doit faire idéalement un centimètre d'épaisseur. Il faut que je puisse me balader, évoluer dans l'espace avec la part de pizza dans la main, sinon ce n'est plus vraiment une part. »

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Colin, ce chevalier des temps modernes en quête de la Sainte-Part-de-Pizza, a noté toutes les pizzerias de Manhattan de 1 à 8 en se basant toujours sur la qualité d'une seule même recette : la quatre fromages. Cela fait donc 435 tranches goûtées et jugées par son exigeant palais et c'est une tâche qu'il a accomplie entre août 2009 et novembre 2011. Mais en fait, son odyssée avait déjà commencé depuis bien plus longtemps… C'est sur la magique St. Mark's Place, non loin de Greenwich Village, qu'il a eu pour la première fois un coup de foudre pour une tranche de pizza, à l'âge de 13 ans – cette fameuse part est désormais son étalon de mesure, sa référence ultime. À propos de celle à laquelle il lui arrive encore de rêver, il écrit : « C'est une tranche de nostalgie qu'aucune autre part ne pourra jamais égaler. »

Un sentiment extatique qu'il n'a pas retrouvé depuis. À part peut-être, quand il a goûté une part de chez New York Pizza Suprema. Ce jour-là, il s'est écrié : « C'est la part dont j'ai toujours rêvé ! »

Si on devait comparer ce que l'on ressent quand on mange une de ces pizzas magiques avec des sensations de la vie réelle, ça donnerait ça : quand la musique va parfaitement avec la météo, quand un crush sur qui tu fantasmes depuis des semaines te laisse entendre qu'il pourrait y avoir moyen et que tu te mets à stresser à fond ou au contraire, à être hypersoulagé. En fait, ce qui est commun à toutes ces expériences, c'est la sensation que finalement tout rentre dans l'ordre, tout revient à sa place. C'est le sentiment que malgré toutes les merdes qui t'arrivent au fil de la journée, et bien là, à ce moment, enfin, il y a un truc qui va dans ton sens.

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_– Extrait de « _Slice Harvester, A Memoir in Pizza_ »_

Cette critique dithyrambique est bien entendu remontée jusqu'aux oreilles du patron de New York Pizza Suprema, Joe Riggio. Il s'est empressé de faire un agrandissement de la couverture du livre pour la placer en devanture de son restaurant. Depuis, Joe et Colin sont devenus copains comme cochons – à tel point que sont livre a été réédité avec un chapitre supplémentaire qui vient décrire l'histoire mouvementée de la famille Riggio, dans le business des pizzas depuis trois générations.

Et devinez quoi ? Le hasard ne trompe pas puisque l'oncle de Joe (celui qui a appris à son père le secret de la pâte à pizza parfaite) n'est autre que l'ancien propriétaire de la Pizzeria de St. Marks – le lieu légendaire où l'histoire d'amour entre la pizza et Colin a commencé. L'unique pizza à laquelle il a mis un 8/8 dans son livre a donc été faite avec la même pâte que celle qu'il avait goûtée à l'âge de 13 ans. Belle coïncidence.

Photo courtesy of Simon & Schuster

S'il lui est arrivé de tomber sur des tranches de pizzas qui présentaient un équilibre parfait entre le fromage, la sauce et la pâte, il leur manquait toutes un petit quelque chose. Un petit truc capable de ramener Colin des années en arrière.

« Je n'arrive toujours pas à décrire ce qui manque aux autres pizzas par rapport à celle de mon enfance. Je l'ai sur le bout de la langue, mais je n'arrive pas à le formuler. C'est comme les Ramones : ils sont géniaux parce qu'ils écrivent des chansons à textes hyperbelles et qu'ils en parlent bien, mais quand c'est un autre groupe qui fait pareil, ce n'est jamais aussi puissant. C'est comme avec Becca, ma petite copine : je ne suis pas amoureux d'elle parce qu'elle est belle mais parce qu'elle est brillante. J'adore la voir avec des gens, interagir dans le monde. Tout le monde fait ça, mais elle le fait à sa manière, et c'est ça que j'aime. C'est compliqué à formuler, mais c'est exactement ça. »

« Toutes les choses qui sont belles ou carrément transcendantes possèdent toutes cette petite variable insaisissable. Je pense que la bouffe qui t'émeut fait partie de cette catégorie de choses – éprouver une telle sensation grâce à un plat, c'est du même ordre que de tomber amoureux ou d'avoir une expérience artistique. C'est indicible. C'est ce qui fait le charme. »

reviewhagendorf