À la recherche du meilleur des baklavas

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À la recherche du meilleur des baklavas

À Gazantiep, au sud-est de la Turquie, on compte plus d'une centaine de boutiques de baklavas dans la ville qui approvisionnent 90 % du marché turc. Parmi elle, il y en a une, fondée il y a plus de 160 ans, c’est celle de Cevdet Gullu.

Au carrefour des anciennes routes commerciales et au centre d'une longue histoire marquée par les alliances et les conquêtes, la région du Moyen-Orient et la partie orientale de la Méditerranée sont un condensé de cultures et de saveurs. C'est au croisement de toutes ces influences qu'est né le baklava. Ce délicieux dessert, à la fois croustillant et sirupeux, a connu son âge d'or sous l'Empire ottoman, au XVe et au XVIe siècles, quand il faisait la richesse des cuisines des riches palaces d'Istanbul. Les origines du baklava remontent quant à elles au XIe siècle et au savoir-faire des Turcs nomades. Le baklava est un mets tellement intemporel que chaque bouchée semble raconter l'histoire des empires dans lequel il s'est imposé – assyrien, romain, byzantin, mongol et ottoman.

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Que ce soit en Grèce, ou dans les pays du Levant, ou en Iran, en Géorgie, en Ouzbékistan ou encore, en Azerbaïdjan, on dit que le goût du baklava change en fonction de l'endroit où l'on se trouve quand on le mange. Depuis des siècles, les pays producteurs se disputent paternité et recettes du baklava. À tel point qu'il est difficile de déterminer avec exactitude où est-ce que l'on mange les meilleurs.

Une chose est sûre, ceux que l'on fait à Gaziantep, au sud-est de la Turquie, se défendent plutôt pas mal. Pas étonnant quand on sait que cette ville, coincée entre la Méditerranéenne et la Mésopotamie, est la capitale nationale de la pistache, l'ingrédient principal du baklava. On compte plus d'une centaine de boutiques de baklavas dans la ville qui approvisionnent 90 % du marché turc. Parmi elle, il y en a une, fondée il y a plus de 160 ans, c'est celle de Cevdet Gullu.

A man sprinkles pistachio over a layer of cream to make the filling

Un artisan saupoudre les éclats de pistache sur la crème.

La boutique Elmacı Pazarı Güllüoğlu est située dans la vieille ville de Gaziantep, sur le tracé historique de la Route de la Soie. C'est l'arrière-grand-père de Cevdet qui a ouvert la première boutique de ce qui allait devenir un siècle plus tard, un empire du baklava et une véritable institution – aujourd'hui, on trouve les baklavas de Gullu un peu partout dans le monde. À première vue, la boutique installée dans un recoin du bazar de la vieille ville passe assez inaperçue. Mais pour le connaisseur et aussi pour un grand nombre de touristes, la boutique de baklava de Cevdet est un vrai repère à décadence aromatique.

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« Chaque franchise du groupe porte le nom de celui qui la gère, afin de prouver la qualité », m'explique Cevdet alors que je suis en train de m'enfiler 220 grammes des six variétés de baklavas différentes qui sont disposées sur un petit plateau devant moi. Les treize propriétaires des différentes boutiques Güllüoğlu ont tous des liens familiaux et chaque génération transmet à la suivante le savoir-faire artisanal. La plupart des boutiques du groupe Güllüoğlu sont situées à Gazantiep. Parmi leurs propriétaires, Cevdet est l'un des rares capable d'expliquer en détail toute la complexité de la pâte feuilletée, que l'on étale ici sur plus de 40 couches pour former les baklavas.

The young apprentinces make sure the baklava is well cut after its baked

Les jeunes apprentis découpent les baklavas.

« On apprend à maîtriser la technique des baklavas dès le plus jeune âge » déclare Cevdet, qui a appris très tôt avec son grand-père. En bon artisan, il consent alors à quelques précisions : « C'est le travail des mains qui fait toute la différence. » Mais pour réaliser les meilleurs baklavas, le tour de main ne suffit pas, il faut aussi connaître les ingrédients sur le bout des doigts. « Le beurre, c'est tout le secret », me murmure Cevdet, plein de prudence.

La façade du petit bâtiment dans lequel les chefs de Cevdet produisent le baklava ne reflète en rien la subtilité des préparations qui sortent de ses murs. Dans la cuisine, qui ressemble plutôt à un laboratoire, on voit des nuages de grains de farine voler dans l'air. Environ vingt-cinq hommes forment l'équipe, et chacun s'affaire à son poste.

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Men kneading flour in the production facility

Les particules de farine volent dans l'atelier et recouvrent les artisans.

À l'étage, il y a ceux qui préparent la pâte feuilletée, faite à base de farine de blé dur, d'eau, d'œuf et de sel. La pâte est d'abord aplatie, jusqu'à obtenir la finesse d'une feuille de papier, puis elle est roulée sur elle-même. On la fait ensuite passer dans un laminoir à pâte avant de l'allonger manuellement à l'aide de rouleaux à pâtisserie. À ce stade, la pâte doit faire environ la longueur d'une raquette de tennis. Plus la pâte est fine, meilleure sera le baklava. Cette étape d'affinement de la pâte est tellement importante qu'elle en devient presque rituelle. Pour me prouver leur savoir-faire, les chefs ont déplié un drapeau turc sur une table et ont mis dessus plusieurs couches de pâte : les couches se superposaient, mais la pâte était si fine que l'on voyait toujours l'étoile et le croissant blanc apparaître en dessous par transparence. Quand il a vu ma réaction, Cevdet m'a fait un grand sourire de contentement.

Paper- thin dough

Les couches de pâte sont si fines que l'on peut voir le drapeau Turc au travers.

Pour obtenir le croustillant du baklava, on superpose quarante couches de cette pâte aussi fine que du papier à rouler. Dans la tradition chrétienne, le baklava est consommé pendant les fêtes de Pâques car les quarante couches sont censées symboliser les quarante jours de l'Avent – encore une preuve que ce dessert est un mets multiculturel. Les hommes qui pétrissent, allongent et recouvrent la pâte de beurre s'accordent une pause de temps à autre dans la cuisine à l'air remplie de particules de farine. Quelque part dans la pièce, il y a une radio qui joue un air de musique apaisant. Mes narines sont prises d'assaut par la forte odeur du lait frais, de la crème et du beurre.

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Pour monter le baklava, on place d'abord quinze couches de pâte dans un moule et on étale du beurre fondu dessus à l'aide d'un pinceau. Tel un aigle, Mehmet – le chef pâtissier de la boutique Elmacı Pazarı Güllüoğlu – surveille son équipe et intervient si besoin. Sur une table silencieuse, l'un des hommes de l'équipe est chargé de remplir les plats de farce, un mélange d'éclat de pistaches et de crème épaisse. Une fois la farce étalée, le reste des couches de pâte est disposé au dessus – on touche presque au but : il ne reste plus qu'à rajouter encore quelques louches de beurre fondu par-dessus. Le beurre qui coule ressemble à une fontaine d'or en fusion. Mehmet, le Willy Wonka de l'atelier, observe cet élégant cérémonial tapi dans un coin.

Master Chef Mehmet talking to Cevdet

Chef Mehmet en discussion avec Cevdet.

Les moules sont alors placés dans un four à chaleur tournante, ce qui permet au fond de plat de bien cuire. Ensuite, c'est Mehmet qui s'occupe d'ajouter le sirop – un mélange de sucre blanc, d'eau et de jus de citron. L'un des apprentis dispose alors les dernières fournées de baklava sur l'étage d'un four en pierre : c'est ici que les baklavas vont finir d'attraper cette teinte bien dorée qui les distingue. Une fois la cuisson terminée, on fait refroidir les baklavas en faisant couler de l'eau froide sur les parois des moules.

Baklava is put on cold water once its taken out of the oven

Une fois sortis du four, les baklavas sont refroidis à l'eau froide.

Et c'est ainsi que les fournées s'enchaînent au fil de la journée, depuis des décennies. Une partie de la production s'en va directement dans la boutique de Cevdet, tandis que le reste est emballé et envoyé dans les autres magasins du pays. Pendant bayram (le nom turc pour les fêtes de l'Aïd), il se vend des tonnes de baklavas.

Le 30 avril 1920, un peu avant la chute de son empire, le dernier sultan ottoman Vahideddin offrait des baklavas lors d'un déjeuner au Yildiz Palace. Aujourd'hui, on mange ce dessert chez soi, avec des amis ou de la famille, pendant les fêtes de l'Aïd, les mariages, les enterrements ou au petit-déjeuner. Ce n'est plus un mets réservé à la cour du sultan et chaque famille possède sa recette. En Iran, on fait des baklavas avec des amandes infusées dans des pétales de narcisse. En Grèce, on ajoute de la cannelle et un mélange de noix. La signature des baklavas de Gaziantep, c'est la pistache verte.

Young apprentices tidy the work stations

Un jeune apprenti fait le ménage sur le plan de travail.

Alors maintenant si vous me posez la question : pour moi, le vrai baklava vient de Gaziantep. Mais après tout, c'est aux papilles de chacun de se faire un avis, au gré des voyages et des différentes saveurs.