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Food

Ceux qui vous servent votre brunch le week-end vous emmerdent, bien cordialement

À tous ceux qui se font ce petit plaisir le week-end entre 10h et le moment où vous décidez que vous en avez marre et qu’il est temps de rentrer faire une sieste, vous servir est un putain de calvaire.
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Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu'il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants. Dans cet épisode, un serveur nous explique pourquoi le brunch est le pire moment de la semaine comparable à un des neufs Cercles de l'Enfer.

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À tous les bruncheurs,

Voici une lettre ouverte signée d'un serveur de brunch de la part de tout le secteur de l'industrie du service. Elle est écrite à l'intention de ceux qui s'offrent une petite escapade culinaire, le samedi ou le dimanche entre 10h et le moment où vous décidez enfin que vous en avez marre et qu'il est temps de rentrer faire une sieste, communément appelée « brunch ».

Il est vital de vous décrire exactement ce qu'il se passe dans la tête d'un serveur quand vous êtes en train de profiter d'un des derniers petits plaisirs socialement acceptables du week-end avant de plonger tête la première dans un nouveau lundi.

Primo, on ne se fend pas la poire. Et on ne partage pas du tout votre euphorie. En fait, tout ce que vous aimez à propos du brunch le rend particulièrement dur pour nous. Ce sont les mêmes raisons qui en font le pire shift de la semaine pour nous.

Malgré de nombreuses années passées dans le secteur tertiaire, je n'ai été confronté au brunch que récemment. Venant d'un pays étranger fort lointain où le brunch, qui sort d'une scène de Sex and the City et se déroule généralement le week-end, apparaît comme une expérience fabuleusement plaisante réservée à une élite financière et médiatique qui utilise l'expression « mon rendez-vous de 16 h 30 » plutôt que le nom de la personne. Avant de bosser dans ce resto de Los Angeles le week-end aprèm, je n'avais pas réalisé que le brunch était un événement bordélique auquel n'importe quel clown pouvait accéder.

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Vous prenez votre pied en lisant attentivement un menu composé de plats pourtant méga familiers que vous allez prendre un malin plaisir à « customiser » en modifiant chaque ingrédient en dépit du bon sens. Vous allez commander une boisson unique dans l'espoir d'être resservi le plus possible sans débourser un rond. Vous voulez surtout qu'on soit à la merci de vos moindres besoins gloutons lors des 4 prochaines heures tout en laissant un pourboire de merde.

Le plat signature du brunch – les fameux œufs Bénédicte – a été inventé par un vieux poivrot qui tentait de chasser sa gueule de bois chronique en commandant à manger en mode « shuffle ». Si c'est pas un putain de symbole.

Pour votre défense, le plat signature du brunch – les fameux œufs Bénédicte – aurait été inventé par un vieil agent de change beurré dans les années 1890. Un matin, alors qu'il se trouvait au Waldorf Hotel à New-York, Lemuel Benedict a tenté de chasser sa gueule de bois chronique en commandant à manger en mode « shuffle » :

« Un muffin toasté, du bacon croustillant, des œufs pochés et de la sauce Hollandaise, s'il vous plaît. Et vite parce que ça va pas fort là », a-t-il lâché.

FAIRE : Comment préparer un brunch

En élaborant son menu un peu comme le Dr Frankenstein avec sa créature, Lemuel espérait sans doute faire passer les effets de la mite de la veille. Pas de chance, il avait aussi créé le futur des déj'. Mais vous voyez ? La pierre angulaire du brunch a été taillée par un vieux poivrot qui a énuméré au hasard des aliments qu'il estimait capable d'atténuer sa gueule de bois. Un putain de symbole.

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Aujourd'hui, on est là à tenter d'innover plus que de raison, parfois même à l'encontre des préceptes de la cuisine contemporaine, de la culture culinaire ou de n'importe quel chef qui en connaît plus que vous en matière de bouffe, avec des œufs et des saucisses. Le même genre de plat que vous pouvez faire chez vous avec les compétences d'un enfant de 3 ans.

Comment voulez-vous vos œufs ? Brouillés ? Au plat ? Seulement le blanc ? Avec du fromage ? Du chèvre, du gouda ou du cheddar ? Et du bacon ? Des saucisses ? OK, de porc ou de poulet les saucisses ? Un steak de tofu ?

« Je ne pense pas mais je vais demander en cuisine ». Mon cul ouais.

Des fruits frais, des pancakes ou du hashbrown ? Un yaourt ? Des toasts ? Toasts blancs ou pain complet ? De la confiture ? Du Nutella ? Moitié moitié ? Du lait de soja ? Du lait d'amande ? Froid ou réchauffé ? Du sucre ? Merci !

« Ah, merci de me rappeler le steak de tofu. Je vais vérifier tout de suite. » Ben non.

Quand votre tête se redresse et commence à parcourir le restaurant à la recherche d'un serveur, le regard rempli d'une rage aveugle – vaguement contrebalancé par la présence d'un large sourire passif-agressif sur votre visage – on sait que quelqu'un a merdé quelque part et qu'on est responsable.

Vous nous traitez comme le personnel d'un buffet à volonté. Mais vous vous rendez compte du temps qu'on passe devant nos systèmes informatiques à entrer vos innombrables doléances ? La manipulation prend parfois plus de temps que de préparer la bouffe. La dramatique étendue de vos variations explique notamment pourquoi un service de brunch dans un resto blindé est capable de mettre à genoux la cuisine la plus robuste. Et c'est souvent pour cette raison que votre commande arrive en retard.

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Quand on pose un plat sur la table, il y a un moment de gigantesque appréhension. Vous êtes en train de scruter l'assiette pour voir si tous les ingrédients que vous avez spécifiquement commandés sont bien présents. Quand votre tête se redresse et commence à parcourir le restaurant à la recherche d'un serveur, le regard rempli d'une rage aveugle – vaguement contrebalancé par la présence d'un large sourire passif-agressif sur votre visage – on sait que quelqu'un a merdé quelque part et qu'on est responsable. Bien ouéj. Vous venez de retarder le repas de tous les autres clients !

Le moment est parfait pour tout vous déballer : vous n'aurez jamais le meilleur service pour un brunch mes petits potes. En prenant en compte tout ce qui a été susmentionné, cela ne devrait pas vous surprendre si je vous dis que les bons serveurs ne bossent pas lors des brunchs. Ils étaient sur le pont la veille au soir, à faire pleuvoir les billets et ils sont probablement encore en train de ronfler dans des oreillers fourrés de pourliche, alors que vous débarquez en titubant avant midi avec votre haleine de poney. Ne soyez pas trop susceptibles – le staff du brunch est généralement la bande de bras cassés la plus inepte réunie par l'établissement. Dans notre resto, on les appelle « Les Sous-doués du dimanche ».

Pour rendre le truc encore moins sexy, la durée de votre repas nous empêche de débarrasser la table et de servir de nouveaux clients – ce qui, désolé, est pourtant une priorité dans un resto.

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Bien sûr, la question ne se pose même pas. Si on faisait régulièrement de l'argent sur le brunch, le staff utilisé serait bien meilleur et aurait envie de bosser sur ce shift. Le problème ? La bouffe servie n'est pas assez chère donc il est quasiment impossible de faire des bénéfs. Comme quoi, vous n'êtes pas complètement coupable.

Un plat servi pendant le brunch coûte environ la moitié de celui servi lors du dîner. Il est accompagné d'une boisson qui se remplit miraculeusement en échange d'une partie de santé mentale et de notre voûte plantaire. Un cocktail mimosa et une omelette vont vous coûter 30 $ sans les tips alors qu'un carré d'agneau et deux verres de merlot atteindront les 70 $ ou plus. Surprise, moins vous dépensez, moins on gagne.

Pour rendre le truc encore moins sexy, la durée de votre repas nous empêche de débarrasser la table et de servir de nouveaux clients – ce qui, désolé, est pourtant une priorité dans un resto. Quelle que soit l'expérience de repas que vous avez, sachez que vous êtes juste une autre paire de fesses dans un océan de centaines de paires de fesses qui viennent régulièrement. Vous avez beau rester assis avec vos amis pendant des heures, souriant par intermittence et agitant des flûtes de champagne vides (le pire c'est quand vous brandissez des ramequins de ketchup vides, si seulement vous pouviez voir vos tronches quand vous le faites), ne vous la racontez pas trop, on attend juste que vous soyez à la moitié de votre plat pour vous virer.

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Et quand on finit par vous balancer l'addition, le mec le plus sympa de la bande, qui a travaillé dans un resto pendant trois mois quand il était au lycée, sourit bizarrement et demande que l'addition soit partagée en 14 cartes de crédit. Putain mais va te faire mettre.

Je ne dis pas ça pour être gratuitement méchant, mec. Crois-moi quand on vous dit qu'on vous aime vraiment et qu'on veut votre bonheur – surtout votre argent, même la somme la plus dérisoire. Il faut au moins ça pour accomplir tout ce qu'on fait. On essaie juste de vous donner une meilleure expérience, parce que si nous sommes heureux, vous allez l'être aussi. Et si vous lâchez un pourboire, vous allez avoir de meilleurs serveurs. Et si vous avez de meilleurs serveurs, vous allez vraiment apprécier votre repas.

Et si cette lettre ne vous convainc pas, imaginez-vous en train de vous coltiner votre bande de potes avinés à ce moment de la journée.

C'est une boucherie.

Beaucoup d'amour,

Tous les gens qui bossent dans la restauration.

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