La grande controverse de la course aux cochons

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La grande controverse de la course aux cochons

Pendant que chaque année, des milliers de personnes se réunissent à Sainte Perpétue, au Québec, pour voir des hommes courir après des porcs, les associations de protection animale appellent au boycott.

Il est techniquement impossible de rester propre quand on essaie d'attraper un cochon.

Il ne suffit pas d'être rapide et très agile, il faut aussi un peu d'entraînement : on doit réussir à contourner la bête, à l'enfermer dans un coin et à lui sauter dessus au bon moment, le tout en pataugeant dans la boue. S'il y a bien un endroit où les gens s'en sortent comme des pros, c'est au Festival du Cochon de Sainte Perpétue, au Québec. Chaque année, tous les amateurs du coin s'y donnent rendez-vous pour tenter d'attraper porcs, porcelets et autres sangliers à mains nues. Si pour certains, la pratique traditionnelle de ces « courses aux cochons » reste la manière la plus honorable de célébrer l'animal, les détracteurs du festival s'inquiètent eux des potentiels sévices dont souffrent les animaux.

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Toutes les photos sont de Dave Rose et Matt Joycey.

Les courses aux cochons existent depuis un bail et elles figurent au programme des festivités dans la plupart des foires rurales des États-Unis comme ailleurs sur la planète. Peu importe l'endroit, le but du jeu reste toujours sensiblement le même : on lâche des cochons dans un enclos et le plus rapide à en choper un et à le soulever, a gagné.

Au Québec, pour assister à ce rituel étrange il faut tracer jusqu'à Sainte Perpétue, un petit bled situé à 145 bornes de Montréal. C'est là-bas que chaque été, des hordes de gladiateurs des campagnes affrontent fièrement des cochons couverts de boue — ici, il faut aussi parvenir à les déposer sur un tonneau en moins de 90 secondes.

À Sainte Perpétue, les premières courses aux cochons remontent à 1978. À l'époque, les employés de l'abattoir du village passaient leur temps à chasser les porcs qu'ils devaient liquider, en extérieur sous la pluie. C'est en voyant ce spectacle plutôt comique que quelques membres du bureau des fêtes du village ont eu l'idée d'organiser les premières courses aux cochons « officielles ». Les courses existent aujourd'hui depuis plus de quarante ans et c'est pendant cinq jours en août, que le festival rassemble environ 35 000 personnes dans ce village qui ne compte habituellement que 983 habitants. L'événement local est également sponsorisé par le gouvernement du Québec et – preuve qu'il trouve une certaine résonance – Céline Dion y a même déjà chanté.

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Les cochons ont joué un rôle primordial dans l'agriculture et le patrimoine culinaire du Québec depuis que les premiers colons les ont ramenés de France il y a plus de 400 ans. Dans cette province francophone du Canada, il y a aujourd'hui presque autant de cochons (7,3 millions) que d'êtres humains (8,2 millions) et l'industrie porcine génère chaque année un marché de centaines de millions d'euros. Culturellement – dans l'esprit des Québécois qui habitent aujourd'hui majoritairement dans les villes – l'élevage de cochons reste emblématique du mode de vie rural à l'ancienne qui définissait jadis « La Belle Province ».

Résultat : le festival de Sainte Perpétue est une vraie célébration de la vie à la campagne, dans tout ce qu'elle représente. Et le programme en témoigne : on peut assister à des courses de tracteurs, prendre des cours de danse de salon et déguster beaucoup, beaucoup de spécialités à base de porc cuisiné au barbecue. Entre deux spectacles, on peut par exemple trouver de la poutine de porc braisé, de la saucisse enroulée de bacon, des côtelettes, du filet mignon, du lard ou encore ce genre de méchoui local délicieux servi avec de la sauce brune.

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Et en parlant de barbecue, cette année c'est un certain Smokey Joe Lavoie qui a remporté le concours annuel de cuisine au grill. L'ingrédient principal de son plat était le porc, évidemment. Quand on l'interroge sur ses secrets de cuisine, il évoque volontiers le subtil mélange d'épices maison et l'importance de sa sauce barbecue, mais la conversation dérive très vite sur les courses de cochons, comme s'il fallait à tout prix les justifier : « C'est juste une tradition ici, un spectacle pour divertir les familles. » Tous les gens du cru semblent d'ailleurs se mettre d'accord sur au moins un aspect : les porcs ne sont pas maltraités pendant les courses. En dehors des participants du festival et des habitants de la ville, c'est un point de vue qui fait pourtant polémique.

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« On reçoit aussi des plaintes de gens qui habitent dans le coin, affirme Ashley Byrne, membre de PETA, la célèbre association de protection des animaux. On a discuté avec des vétérinaires et on a envoyé des gens sur place et aux États-Unis pour observer la façon dont se déroulaient les courses. Lâcher des cochons au milieu d'une foule déchaînée, c'est de la pure torture. Il arrive qu'en courant, les animaux se brisent le dos ou d'autres membres et souffrent ensuite de traumatismes sévères. »

Mais pour tous les amateurs qui mangent ou préparent à bouffer au festival, la condition animale ne semble pas être une plus grande préoccupation que ça. Jean-François, traiteur sur un stand de gastronomie gourmet, pense d'abord au succès du festival : « L'année dernière, George Laraque a voulu faire tout un scandale autour des courses de cochons dans les médias. Au final, cela a été l'édition qui a reçu le plus de participants dans toute l'Histoire du festival. Comme quoi, il cherche peut-être un problème là où il n'y en a pas ! »

George Laraque est un joueur de hockey à la retraite devenu chef adjoint du Parti vert canadien. Il milite aujourd'hui pour la défense des animaux et il a maintes fois dénoncé les courses de cochons en les qualifiant de « dégoûtantes » avant d'appeler au boycott. L'année dernière, pour protester contre la pratique des courses, un militant s'est tatoué « Libération Animale » sur le torse et a sauté par-dessus la barrière directement dans la boue pour perturber le déroulement d'une course. Cette année, plusieurs associations de protection animale ont fait appel au boycott pur et simple de la compétition.

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« Il y aura toujours des gens prêts à payer pour se satisfaire d'un spectacle cruel, déplore Ashley Byrne, le membre du PETA. Il serait grand temps que ce genre d'événements cesse et ne subsiste plus que dans les livres d'Histoire. »

De son côté, l'Association canadienne des médecins vétérinaires (ACMV) condamne explicitement tout événement au cours duquel un animal est « forcé à réaliser des actions entraînant des séquelles physiques et/ou mentales » – force est de constater que, malheureusement, c'est bien le sort que subissent les bêtes pendant les courses de cochons.

Quand on a voulu contacter les organisateurs du festival pour connaître leur avis sur le bien être des cochons, ils nous ont tout simplement raccrochés au nez.

Le vent contestataire qui souffle sur les organisateurs ne semble pourtant pas avoir de conséquences sur l'affluence. Cette année, il n'y a pas eu un seul manifestant et les tickets pour la Course nationale du cochon graissé ont presque tous été écoulés. Pour les festivaliers, le respect envers le porc – au moins en tant qu'aliment – semble néanmoins sincère. D'après les organisateurs, la course aux cochons est surtout l'occasion de rendre un réel « hommage aux cochons. »

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Après quelques bières et une session de danse en ligne, le moment que tout le monde attend approche. Le coup d'envoi de la 38e Course nationale du cochon graissé est donné par un homme qui chante l'Hymne National du cochon – un hymne sans réelle mélodie mais qui est censé rassembler les troupes autour du concept de « victoire sur les cochons ».

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Après l'Hymne, place à l'action. Cette année, ceux qui nous font penser à des « gladiateurs porcins » sont rentrés dans l'arène au son de « American Idiot » de Greenday. Les commentateurs – des animateurs de radio venus de Montréal – ont rappelé aux candidats les règles élémentaires : ils ne peuvent « en aucun cas attraper un cochon par les oreilles, la queue ou les pâtes » et l'animal doit être « posé et non jeté » sur le tonneau. Ils ont aussi tenu à rassurer le public en affirmant que « les cochons n'ont qu'une seule façon de grogner » et que « ça ne veut pas forcément dire qu'ils sont en train de souffrir. »

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Mais une fois le spectacle commencé, il est apparu évident que les cochons grognaient plus par peur et par angoisse que par pur plaisir : à mesure qu'ils essayaient de garder la tête au-dessus de la boue et que la foule haranguait les participants, les cris des cochons, à la fois forts et aigus, résonnaient de plus en plus fort et de manière de plus en plus gênante dans l'arène.

Chacun à leur tour, les candidats se sont mis à patauger dans la boue en attendant le moment propice pour bondir sur les cochons, qui essayaient quant à eux de se réfugier en sécurité aux côtés de leurs congénères. À quelques secondes de la fin de la course, un Mexicain appelé Jesus a enfin réussi à porter et à poser un cochon sur le tonneau. Simultanément, deux gros feux d'artifice se sont déclenchés et ont explosé dans le ciel.

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Pour les locaux et les festivaliers, les courses de cochons sont une occasion de célébrer la culture rurale et de prendre part à une tradition plus ou moins amusante. Pour les défenseurs des droits des animaux et les vétérinaires, c'est perpétrer un acte de cruauté douloureux envers des cochons et ce, à des simples fins de divertissement. Enfin, pour les amateurs de barbecue, on dira que c'est carrément une bonne occasion de déguster la viande la plus savoureuse de la région.

Pendant que la lutte annuelle entre l'Homme et le cochon s'achève à Sainte Perpétue, le combat acharné entre les militants pour les droits des animaux et les organisateurs du festival du cochon perdure, quitte à se traîner dans la boue.