« Qu'est-ce que vous savez à propos de la religion jaïne ? » Au jeu des questions-réponses, Vinay Jain a lancé l'offensive le premier. À presque soixante-dix ans, bien accroché au volant de sa voiture, c'est lui qui pose les questions.Ce n'est qu'une fois installé devant sa tasse de thé au luxueux Taj Hotel de New Delhi qu'il accepte de lâcher les commandes de la discussion. « 'Vivre et laisser vivre' est le principe qui guide toute action dans la religion jaïne », résume ce retraité qui occupe une partie de son temps libre à gérer le temple de son quartier à Dwarka, dans la banlieue de la capitale indienne.
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Pour les quatre millions de disciples de cette religion née en Inde (soit 0, 4% de la population du pays), toute forme de vie est sacrée et doit être traitée avec respect et compassion. Tout un mode de vie fondé sur ce que l'on appelle l' ahimsa, la « non-violence », dont la première déclinaison chez les jaïns a lieu… dans l'assiette.
Une alimentation « non-violente »
Vinay s'est d'ailleurs rendu à plusieurs reprises coupable de manger des pommes de terre. « Difficile de ne pas y goûter, c'est un peu un aliment universel », se justifie-t-il. Lorsqu'il est en voyage, il se rabat généralement sur les menus végétariens, mais certains pays offrent peu d'alternative à la viande. « Lorsque j'ai voyagé en Turquie, j'ai été affamé pendant dix jours », se souvient celui qui n'a jamais touché un seul morceau de chair. Pour faire l'expérience de la cuisine jaïne, Vinay Jain finit par accepter de nous inviter à partager un repas chez sa sœur Geeta le lendemain soir.Selon la tradition, il nous faut manger de la nourriture fraîche alors nous cuisinons trois fois par jour.
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Manger comme le commun des mortels
À 18h30, les femmes retournent en cuisine pour faire frire les puris, ces pains indiens qui ressemblent à des ballons emplis d'air lorsqu'ils sont servis chauds. Les hommes nous invitent à nous installer avec eux pour déguster des pois chiches en sauce, des boulettes de calebasse et des combos grillés.
Au premier coup d'œil, il est difficile de voir la différence avec la cuisine indienne végétarienne. Mais au goût, la cuisine jaïn est plus clémente avec le palais des néophytes du masala food. La nourriture, moins épicée, est également servie en quantité raisonnable pour permettre à l'esprit d'être plus concentré. « De temps à autre, il faut savoir manger un peu trop », lâche tout de même NC Jain en nous invitant à nous resservir.Normalement, un jaïn ne doit pas manger après le coucher du soleil.
Il est plus de 19 heures lorsque Geeta a fini de s'occuper de ses invités. Ce soir, elle ne dînera donc pas, en accord avec les principes jaïns. Si aujourd'hui beaucoup ne se plient pas à cette règle, un jaïn ne doit normalement pas manger après le coucher du soleil. « La nuit tombée, de nombreux micro-organismes se développent et les risques de manger un insecte par mégarde sont plus grands », explique Vinay Jain. Et de poursuivre : « Lorsque la religion s'est développée, il n'y avait pas d'électricité et la flamme de la bougie pouvait aussi s'avérer redoutable pour ces organismes vivants. »
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Manger comme un saint
Vers 10h00, Sruthsagar ji Acharya entre dans la pièce. Il est entièrement nu, les moines ayant renoncé à toute possession matérielle. Lui, préfère nous dire qu'il « porte le ciel », en harmonie avec le monde environnant. Il reste debout, les paumes ouvertes, face aux fidèles qui forment un arc de cercle. Un à un les disciplines y déposent des petites portions de nourriture qu'il porte ensuite à sa bouche.
Le rituel débute avec des fruits coupés en petits morceaux le jour même. « Si la nourriture doit être fraîche, nous attendons 48 minutes avant de manger un fruit qui a été coupé car cet être vivant peut encore ressentir des sensations pendant ce laps de temps », nous explique Sruthsagar ji Acharya. Pour les jaïns, l'eau, la terre, le feu, le vent et les plantes, au même titre que les insectes et les animaux, possèdent une âme ainsi que différents niveaux de sensation et de pensée. Alors tout ce que Sruthsagar ji Acharya mange, il le mange en petite quantité.« Si je pouvais me passer de nourriture, je le ferais mais mon organisme en a besoin pour fonctionner », s'est-il résigné.La nourriture est finalement la seule chose à laquelle il ne peut renoncer totalement. Car en devenant moine à 19 ans, l'homme qui en a aujourd'hui 38, a laissé toute sa vie d'avant entièrement derrière lui. La communauté des jaïns est pourtant l'une des plus riches et influentes de l'Inde. « J'ai tout abandonné pour la paix et le bonheur car lorsque vous êtes mariés et que vous avez des enfants, vous redevenez impliqué dans le monde et cela est source de tensions et de problèmes ».
De l'Himalaya à Kanyakumari
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Pas d'attaches donc pour ces moines qui sillonnent constamment le pays à pied. Seule la saison des pluies les oblige à se sédentariser quelques temps. « À cette période de l'année, la nature est luxuriante et les insectes prolifèrent, alors nous ne vagabondons plus pour éviter de leur faire du mal dans nos déplacements », nous explique-t-il installé à sa table d'études et toujours dans son plus simple appareil.
Et les non-végétariens ? « Ils voient les choses différemment mais on ne peut pas leur en vouloir », tient à rassurer Sruthsagar ji Acharya. Car en Inde, certaines franges les plus radicales des communautés hindoue et jaïne jouent de leur influence pour pousser à l'interdiction de la viande. Dans certaines villes des sociétés de résidents refusent systématiquement de louer un appartement à des non-végétariens. Une politique qui porte en fait directement atteinte aux minorités religieuses du pays, à commencer par les musulmans. « Vivre et laisser vivre », reprend alors le sage comme réponse.Il repartira quant à lui dès le lendemain sur les routes indiennes. Muni de son seul balai en plumes de paon afin d'écarter les insectes de son chemin sans les écraser.
Il repartira quant à lui dès le lendemain sur les routes indiennes. Muni de son seul balai en plumes de paon afin d'écarter les insectes de son chemin sans les écraser. De « l'Himalaya à Kanyakumari », à l'extrême sud de l'Inde.Cette fois-ci nous prendrons congés le ventre vide, soûles d'une autre nourriture.LIRE AUSSI : Dans les faubourgs de New Delhi se réfugie la cuisine tibétaine