Le quotidien bien barré d'un célèbre critique gastronomique
Illustration by Manuel de Jong

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Le quotidien bien barré d'un célèbre critique gastronomique

Des difficultés de rester anonyme, de refuser des pots-de-vin et de calmer les chefs qui réclament votre tête.

Le mois dernier, le Néerlandais Mac van Dinther a fêté ses vingt ans de métier. Aux Pays-Bas, il est le critique gastronomique le plus connu et le plus expérimenté. Du coup, il est aussi le plus craint. Sa plume relate chaque semaine, dans les colonnes du journal de Volkskrant, sa quête des plats les plus innovants et des ingrédients les plus surprenants.

Se faire payer pour traverser le pays et manger à ses meilleures tables, c'est un job de rêve – sur le papier en tout cas. Car il faut aussi considérer l'envers du décor. Tout ce dont Mac ne parle pas dans ses critiques hebdomadaires. MUNCHIES est donc allé lui demander comment il a réussi à bouffer incognito si longtemps, s'il a déjà eu à gérer un chef bien énervé et quelle est la réponse à avoir quand on vous propose un pot-de-vin contre un article élogieux.

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MUNCHIES : Bonjour Mac, comment es-tu devenu critique gastronomique ?
Mac van Dinther : J'ai commencé à bosser pour le journal de Volkskrant il y a vingt-cinq ans. J'écrivais alors sur des sujets socio-économiques du type « marché du travail » ou encore « loi de financement de la couverture sociale ». Quand j'avais un peu de temps libre, je pouvais faire ce que je voulais. Parfois, je chopais une invitation que quelqu'un avait balancée – pour une dégustation de vin ou bien l'ouverture d'un restaurant – et j'y allais. Personne ne se déplaçait pour ce genre d'événements mais moi, j'en faisais un petit article. Au départ, mes collègues me regardaient un peu bizarrement. À l'époque, on parlait peu de gastronomie dans nos médias. Mais au fil du temps, la rédaction et le public se sont mis à s'intéresser à ces critiques de restaurants. Et de plus en plus souvent, c'est à moi qu'on envoyait les invitations. Finalement, j'ai pu en faire mon métier.

Tu viens de célébrer tes vingt ans de carrière. Est-ce que tu pensais durer si longtemps ?

C'est ce que je prévoyais de faire. Dès le départ, j'avais prévenu mon rédacteur en chef : j'allais être non seulement le critique le plus mince du milieu mais aussi le plus durable. Niveau longévité, j'ai assuré le contrat. Pour ce qui est de mon poids, j'en suis moins sûr.

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Et le plus redouté aussi non ?

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Ça, il faudrait le demander à un chef. Je dirais qu'un restau installé à Arnhem aura plus à craindre d'un journal local comme de Gelderlander alors qu'un restau dont la clientèle lit de Volkskrant me redoutera peut-être. Et si on prend un restaurant Van der Valk (une chaîne qu'on trouve dans les hôtels du même nom), alors là, je ne suis pas du tout redouté. Enfin, je crois.

Le grand public ne connaît pas ton visage. Comment as-tu réussi à préserver ton anonymat pendant toutes ces années ?

Je fais vraiment des efforts pour rester incognito. Je refuse toujours qu'on me prenne en photo, contrairement à d'autres critiques. Et puis je ne me rends pas dans beaucoup d'événements. Certains chefs ont pu me croiser lors des annonces des étoiles du Guide Michelin. Mais je reste discret et je ne révèle jamais mon nom.

Comment sais-tu que tu n'as pas été reconnu quand tu vas manger dans un restaurant ?

Je réserve une table sous un faux nom. J'emmène quelqu'un dîner avec moi. J'essaye d'être le moins fouille-merde possible. C'est tout. À côté de ça, je sors toujours mon carnet et je le laisse à côté de mon assiette. Quand les serveurs me demandent ce que je fais, je leur réponds que j'ai l'habitude de lister tout ce que je mange. Ce n'est pas un mensonge, en soi. S'ils continuent à me poser des questions sur ma prise de notes, je leur dis que ça ne les regarde pas. Mais certains s'énervent parce qu'ils pensent que je leur vole les recettes.

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Tu t'es déjà déguisé ?

Non. Je ne bosse pas pour les services secrets, je ne suis qu'un critique gastronomique. Je refuse de me déguiser pour faire mon boulot.

Si je sais que j'ai été reconnu par l'équipe, ça va forcément affecter ma critique. Je vais avoir des attentes un peu plus élevées

Certains critiques mentent quand un inconnu leur demande ce qu'ils font. Et toi ?

Je commence par répondre que je suis journaliste et si on continue à me demander, je dis que je suis critique pour de Volkskrant. Parfois, ça déclenche des : « Ah, alors c'est toi, le Mac van Dinther ! » parmi ceux qui lisent mes critiques. Je n'en fais pas un secret. Tous mes amis et ma famille le savent.

Est-ce que, parfois, on te reconnaît quand tu travailles ?

Oui ça arrive. Un jour, on m'a accueilli dans un restaurant d'un « Bonjour M. van Dinther, sous quel nom avez-vous réservé ce soir ? » J'ai adoré cette formule de bienvenue. Bon, je préfère quand même arriver incognito parce que je veux avoir le même service qu'un client lambda. Je ne veux pas de traitement de faveur. Si je sais que j'ai été reconnu par l'équipe, ça va forcément affecter ma critique. Je vais avoir des attentes un peu plus élevées.

Est-ce que certains restaus tentent par tous les moyens de reconnaître les critiques ?

J'ai entendu dire que certaines adresses prestigieuses gardent des images des critiques les plus connus dans les cuisines. Mais j'ai l'impression que ça arrive surtout à l'étranger. Ici, je n'en entends pas vraiment parler.

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Comment les restaurateurs s'y prennent pour être sûrs de te satisfaire ?

Ils peuvent me resservir en vin à l'œil ou bien me rapporter des bouteilles de vin plus chères que ce que j'avais commandé. Un jour, on m'a servi du vin et j'ai directement senti que c'était une bouteille exceptionnelle. J'ai plus tard consulté la liste des vins et j'ai réalisé que c'était une bouteille à 150 € – le genre de came qui est censée être réservée pour les menus accords mets-et-vins. Ce genre de combine est tellement prévisible qu'on le repère vite.

J'ai aussi eu affaire à un chef qui tenait absolument à retirer toutes les boissons de l'addition. C'était débile. Je lui ai dit : « Écoute, c'est le journal qui paye pour tout ça. Je ne règle pas moi-même l'addition. » Mais il insistait pour me faire une ristourne. Qu'est-ce que je pouvais y faire ? Je n'allais pas lui mettre un couteau sous la gorge pour le forcer à m'encaisser.

Un chef, furax parce que j'avais fait une mauvaise critique de son établissement, a écrit une missive énervée à mon rédacteur en chef où il y réclamait ma tête

Et tu te souviens d'une réaction particulière à la suite d'une de tes critiques ?

Je ne reçois pas tant de retours que ça. Parfois on m'envoie un gentil e-mail après un papier positif. Par contre, un chef furax parce que j'avais fait une mauvaise critique de son établissement, a écrit une missive énervée adressée directement à mon rédacteur en chef et réclamait ma tête. Ses arguments consistaient à dire : « Pour qui il se prend, ce critique ? Il ne sait pas de quoi il parle ». Je lui ai répondu : « Bon, ça fait deux décennies que je fais ça, je crois que je sais de quoi je parle. Au lieu de tenter de me mettre des bâtons dans les roues en envoyant des lettres de mécontentement, tu devrais plutôt consacrer ton temps à améliorer tes restaurants. Ta clientèle te remerciera. »

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Quelles leçons peux-tu tirer de ses vingt dernières années ?

Plus j'en apprends en matière de gastronomie et plus je deviens nuancé. J'ai pu être un peu trop dur et tranché dans mes jugements par le passé. Maintenant, je me demande souvent qui je suis pour émettre de tels jugements.

Est-ce que tu sors encore dîner juste pour le plaisir ?

Oui, ça m'arrive. Mais parfois ça prend une tournure gênante. Par exemple, un jour ma femme et moi voulions aller dans le restaurant d'un ami. Mais comme il était plein, il nous a dégoté une table dans un autre restau. Il a bien précisé au chef que je ne venais pas pour écrire une critique mais, quand nous sommes arrivés, on sentait que toute l'équipe était en stress. Les serveurs ont passé la soirée à remplir sans cesse nos verres et à nous parler en long et en large de la carte. Ce n'est pas très plaisant d'être traité comme si on était en sucre.

Est-ce que tu aurais un conseil à donner pour les aspirants critiques ?

Non. Il faut se faire son expérience par soi-même. C'est la meilleure école.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES Netherlands.