Aux origines de la cachaça, avec les producteurs de l'alcool national « auriverde »

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Aux origines de la cachaça, avec les producteurs de l'alcool national « auriverde »

Au Brésil, on distille le jus des cannes à sucre depuis le XVIe siècle. Avant, c’était pour faire chier les colons portugais. Là, c’est juste pour se la coller.

Impossible d'entendre distinctement Cida Zurlo. La voix de mon interlocutrice est couverte par le bruit de la batucada à l'extérieur de son magasin.

Le 7 septembre est un jour de fête au Brésil. On y célèbre l'indépendance du pays. Zurlo, installée sur la place Tiradentes dans la petite ville à l'architecture coloniale d'Ouro Preto, est au premier rang pour profiter de la parade.

Dans sa boutique, elle vend de la cachaça, cette liqueur obtenue par la fermentation du jus de canne à sucre. Et de manière assez appropriée, elle a décidé d'installer son magasin sur une place baptisée du surnom de Joaquim José da Silva Xavier, leader révolutionnaire qui s'est battu pour l'indépendance du pays contre le Portugal aux XVIIIe siècle.

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Ce spiritueux est distillé ici depuis presque 500 ans. En 1649, il est même banni pendant un temps par l'autorité coloniale qui tente de stimuler le marché du vin portugais. Mais au lieu de s'effacer, la modeste liqueur devient un symbole de l'émancipation auriverde et de la lutte contre la Couronne.

Plus vieille que le pisco péruvien, la tequila mexicaine ou le rhum caribéen, la cachaça vient du nord du pays, une région où l'on cultive la canne à sucre en plantations. Elle fait son apparition entre 1516 et 1532 à Itamaraca.

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Contrairement au rhum caribéen, qui est fait à partir de mélasse, la cachaça est le produit de la fermentation du jus de canne à sucre, distillé pour produire un liquide dont la teneur en alcool oscille entre 38 et 48 %.

Mélangé aux ingrédients qu'on trouve en abondance dans les plantations – sucre et citron vert – on obtient la caïpirinha, cocktail national qui fait aujourd'hui sa vie dans tous les rades du monde. Au Brésil, on y ajoute des fruits frais pressés et des copeaux de canne à sucre, connus sous le nom de rapadura.

La cachaça la plus connue est probablement la Milagre de Minas, produite par Zurlo à Outo Preto, ville inscrite au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.

Son nom – – fait référence à la région, Minas Gerais, où la plupart des producteurs de cachaça récompensés pour leur liqueur sont concentrés.

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Techniquement, le produit à l'allure plutôt pâle et dorée est une aguardente, un dérivé de la cachaça. En plus du jus de cannes à sucre distillé, la Milagre de Minas est aussi composée d'une quinzaine d'herbes, mélange qui lui donne un arôme et goût totalement différent.

La recette a été élaborée par Zurlo il y a 40 ans, alors qu'elle était encore étudiante en botanique.

, raconte-t-elle. « J'ai commencé à m'intéresser à leurs caractéristiques. Mon prof avait toujours de la cachaça avec lui. J'ai pratiqué mon premier mélange en 1975. Et j'ai continué à en faire jusqu'à ce que je trouve la bonne méthode. Cette sélection de plantes aromatiques, je l'ai fait parce que je voulais que la boisson ait bon goût. Je les ai donc choisies en fonction de leur arôme. »

Parmi les herbes utilisées, on trouve par exemple un aphrodisiaque brésilien connu sous le nom de nó de cachorro, des infusions à base d'écorce d'arbre ou des saveurs plus communes comme le basilic ou le clou de girofle. Rassemblées en bouquet, les herbes infusent pendant trois mois, donnant au Milagre de Minas, son goût profond et sa robe dorée. Nombreux sont ceux qui en vantent les mérites.

« Certains disent qu'elle aide à retrouver l'appétit après un rhume ou une grippe – il y a beaucoup d'histoires » précise Zurlo.

Fan de cachaça, Silvio Luiz de Oliveira, le patron du restaurant Adega à Ouro Preto, la décrit comme la

« J'aime la cachaça des petits producteurs », explique-t-il. « La cachaça revigore, remplit d'énergie et donne une meilleure caïpirinha. Quel que soit votre milieu social, vous en buvez. Tout le monde en boit, que ce soit les hommes ou les femmes. C'est même assez commun dans notre région de trouver des fermes qui ont leur propre moulin à canne à sucre pour distiller leur propre cachaça. »

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Quand elle a commencé dans les années 1970, Zurlo était une des premières femmes productrices de cachaça. Elle a donc logiquement pris la tête de la Women's Cachaça Association.

Depuis, dans la région de Minas Gerais, plusieurs ont franchi le pas et décidé de se lancer dans la liqueur, se réappropriant une tâche traditionnellement dévolue aux femmes – les hommes travaillant plutôt dans les mines qui ont donné leur nom à l'État brésilien.

« J'ai été une des premières femmes à gagner ma vie avec la cachaça. Maintenant, il y en a beaucoup plus. Le paysage a pas mal changé », raconte Zurlo. « Pendant la période coloniale, le commerce de la cachaça était réservé aux femmes. Les hommes s'occupaient des mines. Mais quand ces dernières ont fermé, ils se sont tournés vers les moulins de cachaça. Il y a beaucoup de producteurs dans un secteur qui génère du boulot. C'est une boisson à l'image du Brésil. Un emblème national. »

Aujourd'hui, la cachaça est considérée comme une « appellation d'origine contrôlée », ce qui veut dire que son nom n'est utilisé que pour des produits faits au Brésil.

Alors que la caïpirinha est un cocktail plutôt répandu dans les soirées étudiantes du monde entier, la cachaça galère pour percer sur le marché international.

Sur les 800 millions de litres distillés par 2 000 producteurs chaque année, seulement 1 % est exporté.

L'année dernière, les exportations se sont élevées à 13,3 millions de dollars selon l'institut brésilien de la cachaça. Un pet de mouche comparé au milliard que fait la tequila mexicaine.

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Pour Zurlo, un des problèmes de la cachaça artisanale, c'est que son coût de production et trop important par rapport à son prix de vente. Même une bouteille de Cupula da Cachaça, la rolls des liqueurs récompensée par de nombreux prix et produite à Porto Morretes dans l'État de Parana, n'est vendue que 30 dollars la bouteille.

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C'est une des raisons de sa popularité. De la cachaça vieillie à celle plus claire qu'on utilise plus souvent dans les caïpi', la boisson est restée aussi modeste qu'à ses débuts. Une bouteille de Milagre de Minas ne coûte par exemple que 12 dollars.

« Tout le monde la boit, tout le monde l'achète pour en faire un cadeau. Il n'y a pas de profil type de client », assure Zurlo. « Avant ça venait directement de la ferme, mais aujourd'hui, c'est mieux organisé. Et puis on peut faire des chouettes cocktails avec. »

Dernier conseil, mélanger la cachaça avec des fruits de la passion. Et profiter de ce petit rayon de soleil brésilien.