Le jour où un chef bouddhiste zen m'a appris à écouter les légumes

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Le jour où un chef bouddhiste zen m'a appris à écouter les légumes

Dans la tête de Toshio Tanahashi, disciple de la cuisine végétarienne « shojin-ryori » où peler les légumes est un acte de philosophie.

Alors que je débarque au Skip Garden, un jardin communautaire situé dans le quartier de King's Cross à Londres transformé en potager collectif, je commence à flipper. J'arrive au milieu des travaux, des marteaux-piqueurs, des véhicules de chantier et des grosses voix d'ouvriers. À travers tout ce boucan, je suis censée écouter des légumes.

Et ouais.

« Pour moi, les légumes ne sont pas seulement des ingrédients. Ce sont presque des divinités. On ne peut pas vivre sans les légumes, les cultures agricoles et les plantes. »

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C'est Toshio Tanahashi qui le dit. Le chef japonais est connu pour son approche bouddhique zen de la cuisine. Il vient de s'installer dans celles du Carousel, restaurant du Marylebone, et y restera pendant deux semaines. Entretemps, il a accepté de me rencontrer ici pour m'expliquer la philosophie de shojin-ryori, la cuisine bouddhique végétarienne qu'il pratique.

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Toshio Tanahashi dans le Skip Garden à Londres. Toutes les photos sont de l'auteur.« C'eut été probablement mieux pour vous de la goûter mais je vais faire de mon mieux pour vous l'expliquer »

, s'excuse Tanahashi dans un sourire poli. « Généralement, les gens la perçoivent comme une cuisine sans viande ou poisson. C'est un moine qui en a établi les règles en revenant de Chine au Japon vers le XIIIe siècle. »

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Alors qu'on traverse le potager, je note la présence de choux kale, de sauge ou de verveine citronnée et me remémore une interview donnée par Tanahashi dans laquelle il dit : « La vraie compréhension n'est pas possible sans l'écoute de la voix silencieuse des légumes ».

Je note que Tanahashi n'arrache aucune feuille des différentes plantes que nous croisons. À la place, il les touche délicatement et se penche pour en humer les effluves. J'ose enfin lui demander pourquoi nous devrions les écouter.

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« Se confronter aux légumes et avoir le temps de le faire, c'est très important. Pour moi, ils sont tout », me répond-il énigmatique. « Par exemple, hier, dans la cuisine du Carousel, j'ai rencontré de nouvelles personnes. C'était un environnement plutôt stressant dans lequel j'allais devoir travailler. Mais quand j'ai commencé à peler des légumes et à les toucher, je me suis calmé et j'ai oublié ce que j'avais autour de moi. C'est là que la cuisine prend tout son sens selon moi. »

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Ollie Templeton, chef cuisinier du Carousel, nous accompagne lors de notre petite sortie ambiance classe verte. Il concède que la présence de Tanahashi a déjà un effet sur son restaurant.

« C'est la première fois que nous faisons un truc comme ça chez Carousel. Nous ne servons pas de viande ou de poisson », raconte-t-il. « Lundi, on est allé voir notre fournisseur de légumes. Plutôt que de prendre des ingrédients en suivant une liste préétablie, on a décidé du menu sur place, en regardant, en touchant et en sentant les produits. »

J'étais, du coup, un peu déçue qu'il n'ait pas tendu l'oreille.

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Dans la cuisine shojin, cuisiner des fruits et des légumes et aussi une question de vitesse. Il faut savoir ralentir et prendre le temps de considérer la tache que l'on est en train de faire. Il n'y a pas de « machinerie » pour accélérer les choses. Chaque procédé doit être fait manuellement : il faut peler chaque légume individuellement avec un couteau après l'avoir complètement nettoyé et faire des purées au tamis uniquement.

« Chaque jour, j'essaie de trouver cette vérité. Je crois que c'est ça la cuisine », renchérit Tanahashi. « Pour moi, c'est de la méditation et c'est très philosophique. On doit avoir conscience de l'expérience que l'on fait. »

Je demande s'il pense que les gens peuvent justement trouver une forme de réconfort en cuisinant dans leur vie de tous les jours. Tanahashi secoue négativement la tête.

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« Je ne pense pas que la cuisine propice à la relaxation. La plupart du temps, j'ai l'impression qu'elle est plutôt un lieu agité et stressant », précise-t-il. « Les gens ont tendance à vouloir rendre la cuisine plus pratique et rapide. Ils n'ont pas le temps de prendre le recul et d'observer ce qu'ils sont en train de faire comme je le fais. C'est la différence entre la cuisine shojin et les autres. »

À 27 ans, Tanahashi raconte qu'il a décidé d'envoyer valser sa vie de businessman tokyoïte pour se consacrer à la cuisine shojin aux côtés d'une nonne bouddhiste qui a passé sa vie à la pratiquer.

« J'y ai appris les bases : broyer les graines de soja deux heures par jour pour faire du tofu », explique-t-il. « Tout en broyant, je devais conserver une certaine posture et me concentrer sur ma respiration. Je continue de le faire tous les jours. »

À l'évocation du soja, je vois Templeton rouler des épaules. Il en a fait l'expérience hier, quand Tanahashi a fait une démonstration de ce labeur éprouvant dans la cuisine du Carousel.

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Les principes du shojin-ryori peuvent paraître extrêmes mais ces concepts centenaires sont devenus particulièrement pertinents avec le temps. Aujourd'hui, on est tous en train de prendre conscience que ce serait mieux de manger moins de viande – à la fois pour le bien de la planète et pour notre propre santé.

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« C'est triste que les gens ne mangent pas plus de produits de saison ou de produits locaux. La raison c'est que manger est devenu un business », dit Tanahashi. « Les gens ne pensent pas à la provenance de leur nourriture. Ils ont tendance à oublier et à chercher simplement le confort de manger. »

Même si je ne suis pas encore totalement prête à broyer du soja pendant des heures pour me sustenter, je constate que Tanahashi et ses histoires de légumes qui parlent ont quand même, comme on dit dans le jargon, marqué un point.