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On a rencontré le plus gros dealer de champignons sauvages des États-Unis

Je connais un mec qui a un plan en or pour choper des matstutakes japonais qui vont vous faire tourner la tête. Il s'appelle Joe Daughtery et c’est le plus gros dealer de champignons sauvages des États-Unis.
Photo via Flickr

Pssst hé, vous avec la toque de chef sur la tête, là— Vous cherchez pas des champis par hasard ? Je connais un mec qui a un plan en or pour choper des matstutakes japonais qui vont vous faire tourner la tête. Il s'appelle Joe Daughtery et c'est le plus gros dealer de champignons sauvages des États-Unis. En vrai drogué de nature, Joe entretient un rapport assez intime avec la forêt : c'est un ancien champion de course sur rondins de bois et il part à la cueillette aux champignons depuis qu'il a l'âge de savoir marcher. Il a commencé à construire son empire en vendant des champignons sur le parking d'une prison à l'époque où il était maton pour prisonniers dans le couloir de la mort.

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Aujourd'hui, Joe est un des plus gros acheteurs de champignons sauvages de la côte nord-ouest des États-Unis, une région sauvage et humide dans laquelle beaucoup de personnes pauvres vivent de la récolte et la revente des champignons. Un business plutôt rémunérateur si l'on considère qu'entre 85% et 95% des champignons sauvages vendus sur le sol américain viennent justement des forêts des états du nord-ouest comme l'Orégon, Washington, la Californie et la Colombie Britannique.

Le boulot de Joe consiste à installer des petites stations d'achat éphémères en plein milieu de la forêt et d'attendre que des cueilleurs viennent lui vendre leurs récoltes. Ensuite, ça ressemble assez à une opération de traffic de drogue : il déballe des balances électroniques, des sachets en plastiques et des grosses liasses de billets. En plein milieu de rien, loin des distributeurs et des cartes de crédits, cet argent liquide lui sert à conclure les transactions et s'assurer de mettre la main rapidement sur un maximum de champignons. Une fois qu'il a fait son petit marché, il part les livrer aux quatre coins des États-Unis à une poignée de chefs renommés qui les serviront à leur carte dès le lendemain. Loin de l'univers feutré des cuisines, dans les camps de fortune que fabriquent les cueilleurs au fond des bois, Joe se retrouve aussi parfois confronté à de vraies histoires de drogue et de prostitution à mesure qu'il croise des anciens taulards et des toxicos à la recherche de ces quelques variétés de champignons rares qui valent un petit pactole à la revente.

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MUNCHIES : Tu peux nous dire ce que tu faisais avant de devenir dealer de champignons ?

Joe : Quand je suis sorti de l'école de police, j'ai été directement affecté à l'administration pénitentiaire du Wyoming. Je suis rentré dans la vie active en devenant maton dans le quartier pour les condamnés à mort d'une grosse prison . J'ai aussi bossé dans un petit centre pénitentiaire en Oregon quelques années plus tard. J'avais un collègue là-bas qui était complètement flippé par le fait que je suis imberbe. Il disait : « Mec ça va être dur d'imposer ton autorité aux détenus si t'as pas de barbe ». Je suis toujours imberbe.

Navrés d'apprendre ça. C'est à ce moment-là que tu t'es lancé dans le business du champignon, c'est ça ?

En fait, je vends des champignons depuis que je suis gamin, mais j'ai vraiment commencé à gagner ma vie grâce à ça en 2007 quand j'ai commencé à approvisionner beaucoup de restaurants de la côte nord-ouest.

Donc chaque jour, tu jonglais entre les détenus condamnés à mort d'un côté et la vente de champignons de l'autre ?

J'appelais les acheteurs potentiels depuis mon téléphone portable et je les faisais venir directement sur le parking de la prison. Je me servais de ma pause déjeuner pour sortir de l'enceinte de la prison et faire le plus gros de mes affaires à ce moment-là. C'est à peu près à ça que ressemblait mon quotidien au début.

Ça consiste en quoi le boulot d'acheteur en champignons, exactement ?

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Ça signifie que tu achètes tes champignons directement aux cueilleurs qui vont les ramasser dans la forêt. On installe des petites stations d'achats itinérantes constituées d'une table et d'une balance électronique pour peser les champignons. On paie ensuite les cueilleurs en fonction de la quantité et la qualité de leurs récoltes. Il faut vraiment bien connaître le métier, se tenir au courant du prix du marché, connaître les cueilleurs les plus productifs et savoir repérer ceux qui sont susceptibles de te faire chier.

Il y a beauoup d'anciens détenus parmi les cueilleurs. Est-ce que tu as déjà acheté des champignons à un détenu que tu connaissais ?

Je venais de quitter mon boulot de maton et un mec s'est pointé dans ma station d'achat et a commencé à me regarder bizarrement. J'ai cramé qu'il avait des tatouages de gangs sur tout le corps. Il a demandé si sa tête me disait quelque chose. J'avais mon 357 magnum à portée de main et il a dû se douter que j'étais prêt à lui faire exploser la tronche s'il tentait quoi que ce soit. Je lui ai sorti à peu près ça : « Je ne bosse plus pour la prison, on est à l'extérieur ici mec ! ».

Et tu lui as acheté sa récolte ?

Bah ouais. Je tombe souvent sur des anciens détenus et il m'arrive parfois d'acheter leurs récoltes. Je ne porte plus l'uniforme du maton redresseur de torts et dans l'absolu, ce n'est pas cool de discriminer ou de juger les gens.

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Mais les anciens taulards font toujours partie de ton quotidien, pas vrai ?

Les régions dans lesquelles poussent les champignons comme Washington, la Caroline du Nord et l'Oregon sont très rurales et très pauvres. Les boulots dans les scieries se font de plus en plus rares et il y a beaucoup de chômage. Beaucoup de gens finissent par vivre de la fabrication ou la vente de la drogue. Du coup, pas mal de gens passent à un moment ou un autre par la case prison.

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C'est quoi le profil type du cueilleur de champignons ?

Il y a les cueilleurs de la première heure qui ont connu la grande époque du business des champignons sauvages. Vers 1995, les champignons les plus recherchés comme les matsutakes se revendaient aux alentours de 170 dollars la livre alors qu'aujourd'hui le prix tourne autour de 11 dollars. C'est ces mêmes vieux briscards qui essayent toujours de marchander leurs récoltes. Ensuite, il y a le cueilleur un peu branleur qui s'étonne de ne pas gagner beaucoup de fric alors qu'il ne travaille que trois heures par jour et qu'il picole en même temps. Il y a aussi le profil du cueilleur hyper-professionnel, souvent un Cambodgien, qui prend le job très au sérieux, récolte à l'année sur toute la côte nord-ouest et travaille plus de dix heures par jour. Et puis il y a les mecs accrocs à la meth qui vont à la cueillette des champignons pour payer leur drogue, mais je ne fais jamais affaire avec ces types.

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Je n'aurais jamais imaginé que les mecs accrocs à la meth étaient du genre à partir à la cueillette.

La cueillette c'est une manière de faire de l'argent assez rapidement. La plupart de ces mecs ont aussi des démêlés avec la justice et n'ont pas vraiment le choix. Ils ne peuvent pas trouver un boulot dit « normal », c'est pour ça qu'ils viennent dans la forêt. C'est le genre de profil que je repère rapidement et que j'essaie d'éviter.

Tu portes un flingue quand tu pars tout seul dans la forêt ?

Oui, je suis armé jusqu'aux dents : j'ai un 357 Magnum, un 38 Spécial et j'ai acheté un flingue à ma femme il n'y a pas longtemps. Je pense faire l'acquisition d'un Glock. Ma maison ressemble à une putain d'armurerie.

C'est pour te protéger contre quoi ?

Les méchants monstres à deux jambes, deux bras et une tête. Plus sérieusement, la plupart des gens savent que je suis un acheteur et que je prends plein de cash sur moi dans la forêt. Parfois j'ai jusqu'à 20 000 dollars en liquide quand je pars acheter des matsutakes, des girolles ou des morilles. Les temps sont durs, on ne sait jamais, alors je suis toujours armé quand je m'aventure dans les bois.

As-tu déjà eu à faire usage de ton arme ?

Une fois, j'étais en train de cueillir des girolles avec ma fille dans la forêt du côté de l'état du Washington et j'ai failli me faire braquer. Une femme est sortie de nulle part en disant qu'elle était perdue. Il y a quelque chose qui m'a paru louche parce qu'il pleuvait des cordes et ses vêtements étaient secs. Je lui ai dit de ne pas faire un pas de plus. J'ai jeté un coup d'œil vers ma bagnole et il y avait un mec qui rôdait autour. J'étais à peu près sûr qu'ils m'avaient déjà repéré et qu'ils étaient chaud pour me faire les poches. J'ai commencé à flipper car j'étais avec ma fille et que sa sécurité était en jeu, alors j'ai dégainé mon 357 et j'ai dit à la femme de reculer. Je l'ai prévenu que si elle tentait quoique ce soit, je lui faisais exploser la tête. Quelques jours plus tard j'ai appris qu'ils s'étaient fait coffrer pour traffic de meth.

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Le commerce des champignons en pleine forêt, avec les balances et l'argent liquide, fait penser à celui de la drogue. T'es sûr qu'il n'y a pas de substances illégales qui circulent dans les stations d'achats perdues au fond de la forêt ?

Dans certaines stations, à côté des champignons, tu peux choper toutes les variétés de weed existantes, comme dans un coffee shop. J'ai déjà vu ça de mes propres yeux. Le problème c'est que cette économie parallèle a une influence néfaste sur le cours des champignons sauvages à l'achat.

On peut trouver de la drogue dure, aussi ?

Je n'ai jamais vu de cocaïne ni d'héroïne tourner. Je reste vraiment à l'écart de ce genre de trucs. Ça peut sérieusement mettre en péril mon business. Par contre, il y a beaucoup de gens qui font des paris et jouent de l'argent dans les campements de cueilleurs à côté des stations d'achats. Il y a aussi beaucoup de soirées karaoke.

Tu as bien dit : « des soirées karaoké » ?

Ouais. Exclusivement avec des chansons populaires asiatiques, il faut pouvoir suivre. Mais je ne veux pas donner l'impression que tous les campements s'adonnent à ce genre de trucs. La plupart d'entre eux respectent la loi et tournent de manière très professionnelle.

Si on résume, dans certains campements on trouve de la drogue, des jeux d'argents et des soirées karaoké. C'est le moment où tu nous parles des putes, normalement.

Oui, il y a aussi de la prostitution dans certains campements de cueilleurs. C'est pas systématique, ça fait longtemps que je n'en ai pas entendu parler, mais ça existe.

Et comment se porte le secteur de la cueillette de champignons sauvages actuellement ?

Le marché des champignons sauvages est en pleine perte de vitesse. L'état des forêts se dégrade de jour en jour car beaucoup de gens n'ont aucun respect pour la nature. Le business est un peu trop saturé actuellement mais je pense qu'il y aura toujours du fric à se faire dans ce secteur.

OK, merci beaucoup Joe.