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Food

La cheffe qui sortait avec un chef

Papillons, émulsions et concessions : des avantages et des inconvénients à bosser avec une moitié qui fait le même métier.
Alexis Ferenczi
propos rapportés par Alexis Ferenczi
Paris, FR
Photo : avec l'aimable autorisation de Karime Lopez.

Après plusieurs années au Pérou, à travailler dans les cuisines du Central [le restaurant de Virgilio Martinez à Lima], j’ai décidé d’épouser un Japonais qui bosse à Modène [Taka Kondo, sous-chef de Massimo Bottura à l’Osteria Francescana]. Si vous voulez tout savoir, un de nous deux allait devoir quitter son taf. Comme on était à peu près au même niveau dans la matière, j’ai décidé de tout plaquer et de m’installer en Italie.

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Je ne vais pas vous faire un couplet romantique sur la beauté du pays genre « Je suis immédiatement tombée amoureuse de la Botte et j’ai décidé de m’y installer ». Si j’ai accepté d’ouvrir un restaurant à Florence, c’est parce que mon mari travaille en Italie. C’est pour ça que j’ai dit « oui » quand le projet m’est tombé dessus. La vérité, c’est que j’ai débarqué en décembre et que je commence doucement à m’attacher et à apprécier la vie ici.

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Pendant les trois premiers mois, je me suis surtout beaucoup reposée. Et un des trucs qui m’a fait tenir pendant cette période, c’est la bouffe locale. J’ai eu le temps me faire un vrai topo de la cuisine italienne. C’était une forme d’apprentissage . « Ah j’aime bien ça ! » ou « Ça c’est intéressant ! ». Il y a des choses qui me branchaient moins mais j’ai pu faire pas mal de tentatives – comme des pâtes maison – et Taka a été d’une aide précieuse en apportant des explications et des idées.

Est-ce que c’est plus facile de travailler quand son mari fait le même métier ? Je crois qu’il y a des moments où c’est très utile et d’autres beaucoup moins. Quand on réfléchit à un plat ensemble, on doit souvent trouver un équilibre entre nos deux goûts. Il y a des choses qu’il aime mais que je ne peux pas voir en peinture et vice-versa. Finalement, tout est une histoire de petites concessions jusqu’au résultat final. Parfois c’est chiant, mais je pense qu’il y a clairement plus de choses positives que négatives.

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Même s’il est encore trop tôt pour l’envisager concrètement et vous dire où et quand, je suis sûre qu’un jour, on sera content d’avoir un projet à nous. Peut-être que ce sera moi toute seule, Taka tout seul ou un truc ensemble mais vous pouvez être certain que ce sera quelque chose de personnel.

Quand j’ai atterri en Italie, je me suis demandé où je foutais les pieds. Et puis j’ai décidé d’embrasser les contraintes. Peut-être qu’ils n’ont que deux semaines de cerises mais au moins, elles sont géniales.

À Florence, je ne veux pas me concentrer uniquement sur la cuisine italienne. Je penche plutôt pour une sorte de relecture internationale des produits locaux. Au début, j’étais paumée. Au Pérou et au Mexique, on a des légumes et des fruits toute l’année. Mon Dieu. Quand j’ai atterri en Italie en plein hiver, je me suis demandé où je foutais les pieds. Et puis j’ai décidé d’embrasser les contraintes. Peut-être qu’ils n’ont que deux semaines de cerises mais au moins, elles sont vraiment géniales.

Tous les chefs que j’ai côtoyés ont des perspectives différentes et des cuisines diamétralement distinctes. Pour trouver ma propre identité, j’ai dû faire le tri dans tout ce que j’avais emmagasiné au fil de mes expériences auprès de Seiji Yamamoto, Enrique Olvera ou Santi Santamaria. Mais plus on apprend et plus on est capable de construire un édifice solide à la base de sa cuisine. On goûte, on mange et on retient par exemple que tel ingrédient péruvien fonctionne bien avec telle sauce mexicaine.

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Karime & Taka. Avec l'aimable autorisation de Karime Lopez.

J’ai beaucoup voyagé et je pense que c’est quelque chose de vraiment important – notamment parce que j’ai choisi de cuisiner dans un pays qui n’est pas le mien. C’est même dans mon cas une condition sine qua non. Le voyage, c’est une manière d’ouvrir ses sens à la nourriture qui existe à travers le monde, de découvrir d’autres saveurs, d’appréhender la cuisine différemment.

Après, je sais qu’il y a énormément de grands chefs qui n’ont commencé à voyager qu’après avoir atteint un niveau incroyable. Mais, il y a dix ans, tout le monde se demandait « À quoi ressemble cet endroit ? » ou « Quel est le goût à ce truc ? » alors qu’aujourd’hui, tout est à portée de « clic ». J’ai l’impression que le voyage est quelque chose qu’on nous encourage à faire – et pas seulement dans le secteur de la gastronomie – mais qu’il demande une véritable implication.

Au milieu des pâtisseries et des viennoiseries, je me suis dit que je voulais apprendre à cuisiner. C'était comme un prolongement de la sculpture. Là aussi, j’allais façonner quelque chose avec mes mains.

En tout cas, les plats que je fais sont un reflet de ce parcours. À Lyon [dans le cadre des dîners organisés par À la Piscine avec des chefs invités], je vais servir une sorte de kaiseki mexicain ; des champignons accompagnés d’eau d’huître et d’une crème wasabi-avocat. Il y a aussi des gyozas épicés avec un bouillon de lentilles. Et pour ceux qui connaissent le jeu « Whac-a-mole » où l’on doit taper sur des taupes, on a immergé du maquereau sous une salsa verde. On a aussi des pâtes avec le jus du ceviche – qu’on mange traditionnellement plutôt le midi que le soir.

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Une fois le lycée terminé, j’avais décidé de suivre des études d’arts plastiques à Paris. Je voulais me spécialiser dans la sculpture. Pour apprendre le français avant les cours, j’ai passé un peu de temps dans la capitale. C’est là que j’ai découvert tout un pan de la cuisine que je ne connaissais pas. C’était ma première fois en Europe et j’étais vraiment fascinée par ce que je voyais.

Au milieu des pâtisseries et des viennoiseries, je me suis dit que je voulais apprendre à cuisiner. Et que ce n'était qu'un prolongement de la sculpture puisque, là aussi, j’allais façonner quelque chose avec mes mains. C’était une décision difficile à prendre mais j’ai dit à ma famille que j’arrêtais l’art plastique et que j’allais me mettre à cuisiner. Ils m’ont encouragée. J’ai lu pas mal de conneries, comme quoi personne ne m’avait soutenu. Et bien figurez-vous que ce n’est pas du tout le cas.

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En tant que femme, le métier n’a pas toujours été facile et ce dans tous les sens du terme. Ça fait à peine plus d’un an qu’on me demande ce que ça fait d’être une meuf en cuisine. Avant, c’était quelque chose dont on parlait peu. Je ne suis pas le genre à balancer « Nous les nanas, on va conquérir le monde ! » mais on doit pouvoir trouver un meilleur équilibre.

Par contre, je suis contente de voir de plus en plus de femmes en cuisine. C’est une présence qu’on observe dans les brigades. Et en termes d’énergie, on se sent mieux. Mais il y a encore du boulot et je ne parle pas juste de l’Amérique du Sud, de l’Italie ou du Japon. Tout le monde doit travailler - main dans la main - pour améliorer cette situation.


Karime Lopez est invitée par À la Piscine vendredi 10 et samedi 11 novembre. Vous pouvez découvrir son menu entier ici. À la Piscine, 8 quai Claude Bernard 69007 Lyon.