On a mangé un couscous révolutionnaire avec les soutiens de Philippe Poutou

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On a mangé un couscous révolutionnaire avec les soutiens de Philippe Poutou

Olivier Besancenot a même lâché quelques Scuds avant de laisser les militants anticapitalistes au milieu des merguez et des cubis de rouge.

Bienvenue dans « Buffets de campagne », notre nouvelle rubrique qui s'invite dans la course à la présidentielle et appréhende la politique par le prisme de la nourriture. Dans ce quatrième épisode, notre envoyé spécial est allé prendre la température des anticapitalistes du NPA.

Il y a dans la vie des concepts qui m'attirent immédiatement. Ce fut le cas du débat-conférence en présence d'Olivier Besancenot organisé dans un endroit appelé Au Roi du Couscous. Et pour cause, comment pourrais-je mieux explorer la bouffe de campagne du candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste Philippe Poutou qu'en m'y rendant ?

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Après une série de coups de fil au NPA de Saint-Denis (93), où se trouve le restaurant, on finit par me dire que c'est un évènement semi-public et que je peux donc venir faire un papier. Le ton est tout de même hésitant et je sens bien que ce n'était pas prévu, que quelque chose coince un peu.

Au Roi du Couscous à Saint-Denis. Toutes les photos sont de l'auteur.

Quand j'arrive devant le restaurant quelques jours plus tard, tout est calme. Dedans, un homme affable et affublé d'une petite moustache me guide à travers une enfilade de pièces aux tables couvertes de nappes blanches pour déboucher sur une salle en longueur où une vingtaine de personnes discutent debout. Immédiatement, je repère les deux équipes télé - BFM TV et France 3 - et le photographe qui sont là. Je comprends mieux le malaise de mon interlocuteur qui, de toute évidence a été dépassé par l'intérêt des journalistes pour un événement de petite ampleur.

Sur l'un des côtés de la salle s'ouvre une grande cour, de l'autre, des carafes d'eau attendent sagement près d'une sélection d'affiches, de tracts et de bouquins allant des manifestes anticapitalistes au Talon de fer de Jack London. « Interdisons les licenciements ! », « Réquisitions des grandes entreprises capitalistes », etc. Tout l'argumentaire traditionnel de l'extrême-gauche radicale est couché sur le papier. L'ambiance est tranquille, les gens semblent tous se connaître ou presque. On se salue, on me salue, on se tutoie et on se fait la bise. En arrière-plan, Olivier Besancenot, casque de moto sous le bras, s'apprête à répondre à une interview face à une caméra.

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Voter FN = manger de la merde

De toute évidence, on attend encore du monde mais il est décidé que la soirée doit commencer. « Il y a pas mal de monde coincé sur la route », lâche un homme qui s'avérera être Julien, l'un des intervenants du soir et l'un des responsables du comité dionysien. Tout ce petit monde s'installe dans une salle visiblement faite pour les réceptions. Dans un coin, on a poussé l'estrade et les trônes rouge et or destinés aux mariés.

La présence des médias chagrine au premier rang. Une femme aux beaux cheveux blancs ne cesse de se retourner vers les rangées de sièges clairsemées en murmurant des « Il faudrait enlever des sièges. Mais si ! Ça fait vide là ! » Une première intervention se concentre sur l'affaire du lycée de Suger. Dans cet établissement de Saint-Denis, 55 élèves - dont 44 mineurs - ont été brutalement arrêtés après des violences liées à l'affaire Théo.

Puis, c'est le champion anticapitaliste qui prend la parole et il ne mâche pas ses mots. Incontestablement, l'homme n'a rien perdu de son charisme ni de sa verve. Au moment où se tient cet événement, Philippe Poutou n'est pas encore devenu une star des réseaux sociaux pour avoir fracassé Marine Le Pen et François Fillon au cours du débat à onze. Du coup, une question qui me taraude depuis longtemps me revient à l'esprit : pourquoi ce type a-t-il laissé sa place ? Par volonté de renouvellement des visages ? Parce que, comme le dit la rumeur, il a une légère tendance à l'autoritarisme ? Probablement un peu des deux. En attendant, il cogne dur sur les concurrents du camarade Poutou.

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« Ils ont tous la dalle les candidats, ils veulent tous occuper ce trône là-bas », assène-t-il en désignant les fauteuils de mariage. « La Ve République va craquer, à un moment ou à un autre. Et ils se battent tous pour piloter un véhicule qui va droit dans le mur ». Il moque les meetings d' En Marche où Emmanuel Macron doit crier tant il est loin du peuple. À Jean-Luc Mélenchon, son voisin politique, il reproche d'avoir abandonné le drapeau rouge pour sa version tricolore.

Quant au FN, ce n'est à ses yeux qu'une imposture qui reproche aux étrangers de ne pas travailler tout en volant le travail des bons Français. Mieux, il nous raconte l'un de ses postes Instagram. Car oui, l'homme qui veut mettre le capitalisme à genoux a cédé à l'appel d'une entreprise ne créant rien et pourtant valorisée à (au moins) 37 milliards de dollars. Il faut bien vivre avec son temps ma bonne dame. Quoi qu'il en soit, la citation, apparemment tirée d'un sketch quelconque, vaut le détour. « Voter FN parce qu'on est déçu de la gauche et de la droite, c'est comme ne plus aimer ni la viande ni le poisson, et décider de bouffer de la merde ! » La salle rit, mon estomac pas trop. Il faut bien dire que l'heure tourne et que le couscous me semble encore lointain. Et ce malgré les plaisanteries d'Olivier Besancenot sur le sujet.

Du Frantz Fanon pour l'apéro

Bref, le facteur-politicien continue sa rhétorique travaillée et habile, en alternant propositions et citations. Au menu, on citera notamment la régularisation de tous les sans-papiers et le passage des secteurs bancaire et énergétique, dans leur ensemble, sous contrôle du peuple. Mais pas une nationalisation, hein ! Parce que ça, c'est remplacer un patron privé par un patron public. Enfin, il nous offre une citation de Frantz Fanon dont la force m'oblige à la retranscrire ici.

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« Politiser les masses, ce n'est pas, ce ne peut pas être, faire un discours politique. C'est s'acharner avec rage à faire comprendre aux masses que tout dépend d'elles, que si nous stagnons c'est de leur faute et que si nous avançons c'est aussi de leur faute, qu'il n'y a pas de démiurge, qu'il n'y a pas d'homme illustre responsable de tout, mais que le démiurge c'est le peuple et que les mains magiciennes ne sont en définitive que celles du peuple. »

Je ne sais pas trop si ces mecs sont en avance, en retard ou en décalage. Par contre, je me dis qu'il sera difficile de séduire la France de 2017, toujours plus obsédée par l'idée de l'homme providentiel, avec ce genre d'idées.

Enfin, arrive une série de questions – corroborant presque systématiquement le contenu des interventions – à laquelle Olivier Besancenot répond avec la véhémence qu'on lui connaît. Même à celle d'un type qui a mal vécu d'avoir été traité de nazillon par l'employé des postes quelques années plus tôt. Le malheureux sera renvoyé dans les cordes. Encore quelques questions, et c'est enfin l'heure de l'apéro.

Beaucoup d'autres militants sont arrivés et les carafes d'eau se sont transformées en jus de fruits, en sodas, en kirs, en bières et en chips. Tous, sans exception, issus de l'agroalimentaire mondialisée la plus condamnable qui soit. Les convictions c'est avant l'apéro, les gars. Et quand je parle bio et circuits courts avec les militants, il y a comme un malaise. Bien entendu, ils sont tous conscients du problème, tous convaincus qu'il faut se libérer de la mainmise des grands groupes sur notre alimentation. Mais ce n'est pas une priorité. Et on arrive là devant l'un des grands paradoxes de cette partie de la gauche, qui dénonce le productivisme tout en en vivant et en le faisant vivre par sa consommation.

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Julien, du NPA de Saint-Denis, reconnaît volontiers qu'il y a un manque à gagner politique sur le sujet. « Nous avons peu de temps d'antenne et nous ne sommes pas très nombreux sur le terrain donc on doit se focaliser sur certaines idées clés, au détriment d'autres ». Et d'ajouter à propos de la présence du parti dans les campagnes : « On y est mais dans la mesure de ce qu'on peut faire. On a peu de moyens et on est un petit groupe. Du coup, c'est vrai que les parcours et les regroupements sont plus simples en ville ». Quant à la qualité de la nourriture, il invoque aussi la responsabilité citoyenne, la capacité de chacun à se renseigner et choisir ce qu'il veut manger.

Un couscous révolutionnaire, sans Besancenot

C'est finalement l'heure du couscous et on nous emmène vers une salle attenante. Je cherche Olivier Besancenot, je demande où il se trouve pour l'interroger, mais le facteur-clasheur a disparu. Pas de couscous pour lui. En bon homme politique, il vient faire son intervention et s'évapore.

Très vite, les saladiers de semoule arrivent. Puis ce sont les plats de légumes dans leur jus et enfin le bœuf. Pas de merguez ? Après avoir frôlé la syncope, je respire à nouveau : un serveur pose un petit plat métallique qui en déborde. OK, ce n'est pas le meilleur couscous du monde, c'est sûr, par contre, c'est franchement convivial.

Autour des longues tables, on se passe les plats et les pichets de rouge. On parle avec ses voisins, qu'on les connaisse ou pas. Je découvre d'ailleurs que tout le monde ici n'est pas anticapitaliste. À ma gauche, deux jeunes qui étudient dans une école de commerce sont venus jeter un œil à tout ça. « C'est elle qui m'a amené. C'est un peu ma copine de gauche », annonce le garçon qui confesse même voter François Fillon.

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À ma droite, c'est une autre histoire. Nino, 18 ans, est fils de militant NPA. Des bouffes Au Roi du Couscous, il en a connu. Et pour cause, l'endroit est l'un des QG du parti depuis cinq ans. « C'est grand, c'est populaire et le proprio est sympa même s'il n'est pas militant », m'avait soufflé un peu plus tôt Julien.

Nino n'est pas le seul à être un enfant de l'anticapitalisme. Ses amis qui l'entourent le sont presque tous. Sauf Léa, 18 ans également, qui votera PS. « Presque une social traître ! ». Bref, ici, on fait converger les gauches avec humour, tout le monde sait que Philippe Poutou ne gagnera pas. Alors on compose. Un des ados me révèle même que sa mère envisage de voter Macron. C'est dire si tout est sens dessus dessous dans cette élection.

Personne ne meurt de faim au NPA

Mon estomac a tout juste commencé son travail de digestion que des oranges, puis des gâteaux sont distribués sur toutes les tables. C'est pas ce soir qu'on mangera bio, mais c'est pas parce qu'on défend les classes populaires qu'on va se laisser mourir de faim. Ni de soif. D'ailleurs, alors que le repas se termine, les cubis de vin rouge et les bouteilles de bière n'ont pas disparu des tables. Loin s'en faut.

Pour ma part, je m'apprête à m'éclipser quand je suis arrêté par Tristan*, un militant de 31 ans, avec lequel j'ai discuté un peu plus tôt. Il tient à me redire que même si dans les faits, le NPA n'est pas très loquace sur les problématiques de la bouffe de qualité et de l'agriculture productiviste, tout ça n'est pas oublié dans la vision sociétale du parti. Qu'il faut réorienter notre vision de l'agriculture pour alimenter en priorité les territoires les plus proches et qu'il ne faut pas voir notre production comme un outil d'export. Qu'en instaurant un travail plus humain, on régulera aussi les dérives de l'agroalimentaire.

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Théo, une fringante sexagénaire d'origine grecque, me précise quand même qu'en général les militants essaient d'éviter l'écueil de la malbouffe. Et que si je viens à leur soirée d'été, j'aurais l'occasion de goûter les salades et les plats faits maison avec les légumes de l'AMAP dont elle est membre. Enfin, on admet « qu'entre militants, il faudrait faire mieux sur le sujet ». Surtout pour les jeunes du parti qui, dans les réunions, vendent des sandwiches pour financer leur action. Des sandwiches faits à la va-vite et avec les produits les moins chers qu'ils trouvent, pour gagner le plus possible.

C'est avec cette image comique en tête que je me lance sous la pluie dionysienne, quand Nino m'interpelle. « Hey, on a croisé un soutien de François Fillon tout à l'heure ! », lance-t-il amusé par son info.

Autour d'une bonne table, on accueille tout le monde au NPA. Des sans-papiers aux fillonistes. Au moins pour manger, parce que le jour de la Révolution, ça risque d'être un peu différent…

Jean-Baptiste est sur Twitter.


* Le prénom a été modifié